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OOLER

7 AUG 1935

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DE

LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

LIVRE CINQUIÈME.

Au milieu de la société française, tout entière en proie à l'anarchie, les misères du présent s'accroissaient des incertitudes de l'avenir : la révolution, maudite par ses victimes, était déjà accusée par ses adorateurs de mettre bien du temps à tenir ses promesses. Le culte de la force et le mépris des devoirs, hautement érigés en principes, livraient le pays à la concurrence et à l'égoïsme, des convoitises insatiables de pouvoir et de tyrannie s'éveillaient dans tous les cœurs; les saintes notions du juste et de l'injuste étaient oubliées; la complicité de la peur venait en aide au crime; et, comme la pompe des mots recouvrait bien ou mal des réalités hideuses, la tyrannie exercée par la multitude s'appelait alors liberté, et la défiance et ia haine

RÉVOL. FRANC.

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Oct. 1791.

Situation politique.

Oct. 1791. étaient partout installées sous les emblèmes d'une fraternité menteuse.

Sentiments du roi et de Marie

Le roi, malgré les faux semblants de liberté dont Antoinette. sa personne était entourée, n'en était pas moins le prisonnier du peuple, l'otage naturel de la révolution. Les humiliations de Varennes avaient laissé dans son cœur le double sentiment de la douleur et de la crainte : vaincu par le parti constitutionnel, il subissait le joug des lois qu'il avait jurées, mais sa conscience troublée hésitait entre les engagements de la veille et le repentir du lendemain. Héritier des glorieux priviléges de Philippe-Auguste et de Louis le Grand, il se demandait jusqu'à quel point un serment prêté à la jacquerie pouvait le lier; et, reportant alors ses yeux avec une inquiétude mêlée d'un vain espoir vers les frontières du Rhin, au delà desquelles campaient l'émigration et l'avant-garde de l'Europe, il attendait des circonstances, plus fortes que lui, tantôt le comble de ses misères, et lantôt aussi la restauration de son trône. La reine, moins résignée, mais non moins impuissante, détestait le triomphe de ses ennemis et tremblait pour ses enfants. Madame Élisabeth offrait à Dieu sa propre vie en sacrifice, et, quoi qu'il pût advenir, elle n'ambitionnait d'autre destinée que de partager la bonne ou la mauvaise fortune de son frère. Autour d'eux, enfin, se pressaient les seuls courtisans dignes de respect, ceux qui se consacrent à honorer le malheur; mais leurs épanchements et leurs espérances étaient épiés par des traîtres, et c'est à peine s'ils osaient encore s'attendrir

Dispositions des

royalistes.

en secret.

Pendant que la plus grande partie de la noblesse,

convoquée par le comte d'Artois et M. de Calonne, cher- Oct. 1791. chait à Coblentz un refuge et un drapeau, ceux de la noblesse et du clergé qui n'avaient point encore voulu abandonner le roi à sa fortune et à ses dangers cherchaient à lutter, en France, contre les menaces de la révolution. Les uns continuaient à propager ou à solder des gazettes et des pamplets monarchiques; d'autres entretenaient avec les émigrés ou avec les nobles des provinces des correspondances actives, à l'aide desquelles ils faisaient circuler le mot d'ordre de la cour; peu d'entre eux cependant osaient avouer en public leur fidélité et leurs sympathies: les bravades qu'ils se permettaient à huis clos eussent soulevé trop d'orages. Mais, comme de tous les partis que nos discordes ont mis en évidence celui de la vieille royauté se repaît le plus promptement d'illusions et accueille avec le plus d'enthousiasme les fausses lueurs, les ennemis de la révolution continuaient à se nourrir des chimères les plus décevantes, acceptant comme autant de signes de salut des bruits de ville sans base certaine, et d'absurdes rumeurs colportées par les journaux. On ne saurait dire à quelles fautes et à quelles imprudences se laissaient entraîner des hommes réchauffés dans cette atmosphère de puérile crédulité.

Presse royaliste.

Fausses

De petits journaux malicieux, des feuilles plus sérieuses, quelques écrivains, Suleau, l'abbé Royou', et rumeurs. parfois Rivarol, ravivaient encore avec courage le feu monarchique. Ceux-là du moins ne se cachaient pas

Le premier, rédacteur des Actes des Apôtres; l'autre, de l'Ami du Roi.

Bravades.

Oct. 1791. pour faire appel à l'émigration et aux puissances étrangères, pour montrer dans un prochain avenir, aux chefs de la révolution, les vengeances que l'Europe allait exercer, et le châtiment inexorable promis à quiconque aurait participé aux lois nouvelles. Tantôt on annonçait l'approche si longtemps souhaitée des armées autrichiennes ou de la flotte russe; tantôt, quand l'événement avait démenti cette première menace, on consolait les vaincus de la révolution en étalant sous leurs yeux la liste supplémentaire des émigrés, les revues passées à Coblentz par les frères du roi, la désertion des officiers nobles, et la désorganisation des régiments français. En regard de ces fortes troupes impériales, naguère occupées à combattre les Ottomans et tout fraîchement concentrées sur le Rhin, on exposait avec dédain l'inexpérience et l'indiscipline des gardes nationales de France; on se plaisait à dire que, malgré toutes les bravades des journaux, quelques centaines d'hommes mal équipés et mal disposés avaient seules répondu encore à l'appel des jacobins et consenti à s'enrôler sous le drapeau tricolore. On attendait que les Prussiens fissent justice à coups de plat de sabre de ce ramas de garçons tailleurs et de bourgeois, si vaniteux sous leurs épaulettes rouges; puis c'étaient tour à tour Amiens, Metz, Strasbourg, Toulouse, d'autres villes encore, qui refusaient obéissance à la révolution, et se tenaient prêtes à revenir à la cause du roi. Enfin, on tenait registre des plaintes du commerce et de l'industrie; on se félicitait de la dépréciation des assignats; on calculait le peu de temps que tout ceci pouvait encore durer, et l'on redressait la tête.

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