Page images
PDF
EPUB

point modifié sa nature de Bonaparte, il a haine de tout principe libéral. Patience! il faut le renverser!» Les journaux patriotes attaquèrent l'Acte additionnel avec violence. Fouché, qui était aise de démoraliser la dictature de Napoléon, laissa dire et écrire tout ce qu'on voulut, sous prétexte de la liberté de la presse, et quelques jours après la publication de l'Acte additionnel, le système de l'Empereur était frappé de mort, sa perte fut résolue; on entoura la dictature de restrictions, de surveillances; le souverain ne fut plus libre de ses mouvements; on ne le prit définitivement que comme une transition.

Les royalistes accueillirent cet Acte additionnel avec l'esprit d'une opposition non moins vive, non moins acharnée; l'article dirigé contre les Bourbons leur paraissait un outrage non seulement à la famille légitime, mais encore un attentat au principe même de la souveraineté du peuple, dont on niait si tristement la puissance. A ce sujet, il se fit des protestations fermes et ardentes; des magistrats ne voulurent point signer l'Acte additionnel; des démissions furent données au conseil d'État, dans les tribunaux; et la plus ferme, la plus noble de ces protestations, fut celle du comte de Kergorlay, esprit dur et breton, qui ne transigea jamais sur rien de ce qui touchait à ses devoirs et à ses convictions

1 Motif du vote négatif de Louis-FlorianPaul de Kergorlay sur l'acte intitulé : Acte additionnel aux constituions de l'Empire, en date du 22 avril 1815.

« Je crois devoir à mes concitoyens et je me dois certainement à moi-même de leur rendre compte du motif qui m'a déterminé à voter contre l'acceptation de l'acte intitulé: Acte additionne aux Constitutions de l'Empire, en date du 22 avril 1815.

« Ce motif est que l'art. 67 de cet acte est attentatoire à la liberté des citoyens français, en ce qu'il prétend leur interdire l'exercice du droit de proposer le rétablissement de la dynastie des Bourbons sur le trône. Je suis forcé de protester contre cet article, parce que je suis convaincu que le rétablissement de cette dynastie sur le trône est le seul moyen de rendre le bonheur aux Français. L'expérience que nous venons de faire du bonheur pratique dont

politiques; il motiva son vote négatif contre l'Acte additionnel, en déclarant à la face de Bonaparte : « que le rétablissement de la dynastie des Bourbons était le seul moyen de rendre le bonheur à la France. Le pays les regrettait, le rétablissement de Louis XVIII pouvant seul mettre un terme aux infortunes du pays. » M. de Kergorlay protestait encore contre l'article 6, qui appelait le vote de l'armée; l'armée devait obéir et non délibérer; «< la formule de l'acte additionnel semblait dire au peuple Votez, grande nation, mais en votant conformez-vous à l'injonction qui vous est donnée; votez, non en hommes libres, mais en sujets soumis; votez, mais n'oubliez pas que le vœu de l'armée étant connu d'avance, il faut bien que la nation fléchisse devant les baïonnettes. >> Quant à moi, je n'ai pas encore appris à prendre les baïonnettes pour règle de ma conscience. » Et cette hardie protestation en face de la dictature était signée L. F. P. de Kergorlay.

La double opposition des royalistes et des patriotes devenait tous les jours plus vive; en vain MM. Benjamin de Constant et de Sismondi multipliaient des articles développés dans les journaux, ou publiaient des brochures pour défendre leur œuvre et les intentions libérales du pouvoir; on les lisait à peine; tandis que l'opposition

a joui la France pendant la Restauration n'a pu laisser à personne aucun droit à cet égard, et l'unanimité du vœu national en faveur de Louis le Regretté est pleinement confirmée par le soin qu'ont pris les auteurs de l'article que je réprouve d'interdire la manifestation de cet unanime vou. La confusion combinée qu'ils ont mise dans cet article, en y mêlant divers fantomes impopulaires qui n'ont aucun rapport

avec le rétablissement de la dynastie des Bourbons, est une preuve de plus de l'évidence du désir général de la nation; ce n'est que faute d'objets réels qu'on évoque des fantômes; et le plus magnifique éloge que l'on puisse faire des actes d'un gouvernement, est de se voir réduit à reconnaître que le seul moyen de le dépopulariser est de lui supposer des intentions, « Je dois protester aussi contre l'art 6

faisait ravage dans la presse. Il parut des articles d'une remarquable hardiesse dans le Censeur européen; on y posait les questions suivantes : « L'ordre de l'Éteignoir étant tombé, ne serait-il pas possible de le remplacer par un autre qui, sans être moins avantageux aux progrès des ténèbres, serait cependant plus analogue aux circonstances? Il nous semble que l'ordre du Sabre aurait évidemment ce double avantage. Un des rédacteurs du Mercure s'occupe, dit-on, d'un ouvrage qui, vu les circonstances, ne pourra manquer de faire une grande sensation; il a pour titre : De l'influence de la moustache sur le raisonnement, et de la nécessité du sabre dans l'administration. Qu'est-ce que la gloire ? un lion qui fait trembler tous les animaux de la contrée a-t-il de la gloire? un peuple misérable, qui ne sait pas se gouverner, et qui ne peut inspirer à ses voisins que la terreur ou la haine, a-t-il de la gloire ? S'il est vrai que la gloire soit exclusivement le partage des hommes qui se sont rendus célèbres par le bien qu'ils ont fait à leurs semblables, à quoi se réduit précisément la gloire d'un peuple conquérant? Ces questions seront sans doute résolues quand nous serons fatigués de parler sans savoir ce que nous disons. La bravoure considérée en elle-même, et abstraction faite de toute vertu morale, est-elle une qualité estimable? Celui qui brave la mort sans utilité pour ses semblables

du décret du même jour, portant que l'acte additionnel aux Constitutions sera envoyé à l'acceptation des armées. Il est contraire aux principes admis chez toutes les nations civilisées, d'envoyer des actes constitutionnels à l'acceptation des armées. Chez tous les peuples libres, chez tous les peuples qui ont le sentiment de leur dignité, les armées sont des corps des tinės, non à voter sur toutes les constitu

tions, mais à obéir à la volonté nationale. Aussitôt qu'une nation souffre que ses armées volent, elle se soumet au pire des esclavages.

« Cet esclavage se décèle assez dans l'art, 5 d'un second décret du même jour. Cet article ne dit pas que, suivant que le recensement des votes sera favorable ou contraire à l'Acte additionnel aux constitutions, cet acte sera promulgué ou ne sera

mérite-t-il l'estime des hommes ? Mérite-t-il l'estime des hommes, celui qui brave les voyageurs pour leur enlever leur argent, celui qui brave les mers pour faire des esclaves, celui qui brave des armées pour mettre les peuples en servitude? Nous abandonnons ces questions à la méditation des journalistes qui ne cessent de nous parler de braves et de bravoure. Oh! s'il n'avait fallu, pour être libres, que de chanter les hymnes de liberté, quel peuple que le peuple français ! Est-ce par des chants fanatiques, par de puériles déclamations, que l'on se prépare à établir solidement la garantie des droits et l'équilibre des pouvoirs? Laissons-là toutes ces parades révolutionnaires. Quel est ce Champ-de-Mai que l'on va former pour nous donner une constitution? Est ce une assemblée de seigneurs feudataires qui viennent se réunir autour de leur suzerain, pour soumettre à l'assemblée générale leurs démêlés particuliers, et pour régler en leur propre nom les services qu'ils se doivent les uns aux autres ? Rien de tout cela; c'est une réunion des colléges électoraux de nos départements qu'il nous plaît de considérer comme représentants de la nation, que nous chargerons de faire ou de défaire, d'abroger ou de sanctionner une Charte constitutionnelle, et que nous invitons par la même occasion à la cérémonie où seront sacrés l'Impératrice et le prince impérial. Cette dernière circonstance

pas promulgué; mais il dit que le recensement du résultat général des votes sera proclamé, et que l'Acte additionnel aux constitutions sera promulgué Cette étrange certitude du succès est un langage assez clair, ce me semble, et chacun de nous peut l'entendre Peut-on nous dire plus clairement: « Votez, grande nation ! mais en votant, conformez-vous à l'injonction qui vous est donnée; volez, non en hommes

libres, mais en sujets soumis : votez, mais n'oubliez pas que le vœu de l'armée étant connu d'avance, il faut bien que la nation fléchisse devant les baïonnettes. »

« Quant à moi, je n'ai point encore appris à prendre les baïonnettes pour règle de ma conscience. »>

L. F. P. de Kergorlay. Paris, 28 avril 1815.

présente heureusement quelque analogie avec les occu pations de nos anciennes assemblées au Champ-de-Mai, sans quoi on ne comprendrait absolument rien à cette bizarre dénomination; mais il est singulier de voir cette haine de la féodalité que l'on nous fait si bien sentir, emprunter au régime féodal une de ses formes les plus solennelles.» Ainsi s'exprimait le Censeur européen avec une haute indépendance; mille journaux étaient publiés, comme à toutes les époques d'une liberté décousue et de la ruine des pouvoirs. Était-il possible au régime impérial de supporter longtemps de telles atteintes ? La dictature était attaquée dans sa force, le gouvernement par l'épée était blessé par la plume; on fatiguait les veilles de l'Empereur, on tourmentait son existence; la fatalité semblait lui dire : « Les avocats sont là pour t'arracher le glaive; nous que tu as jetés par les fenêtres de SaintCloud, nous aurons notre 18 brumaire; nous t'assom merons sous la parole, comme tu nous as accablés sous les baïonnettes. »>

L'effet de l'Acte additionnel fut si mauvais que chacun s'empressa de se séparer de cette œuvre; Fouché, qui voulait démoraliser le pouvoir de Napoléon, ne se gênait pas avec les patriotes ses intimes; il leur disait : « Vous voyez, il n'est pas changé; cet homme-là est le même ; il n'a pas reculé d'une semelle; il est entouré de Rœderer, de Cambacérès, de Regnauld, et que voulez-vous faire avec cette séquelle? Au reste, la Chambre des représentants arrangera tout cela; c'est ce qui nous importe. » Carnot, avec plus de sincérité que Fouché, n'attaquait pas publiquement l'Empereur, il était frappé du mauvais effet de l'Acte additionnel; les censures des journaux le blessaient profondément, il se sentait compromis avec ses amis les républicains. Comme il

« PreviousContinue »