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ont-elles à leur égard la même valeur que des condamnations françaises?

La solution affirmative, qui nous semble incontestable, résulte implicitement d'un arrêt de la Chambre des Requêtes du 14 avril 1868, cassation (Montmayeur); cet arrêt exige seulement, et avec raison, qu'il y ait identité entre le délit pour lequel la condamnation a été prononcée et un délit français emportant incapacité électorale. Nous le citons plus loin (n° 46).

29. Il est bien certain que les condamnations qui emportent l'incapacité électorale sont celles seulement qui sont passées en force de chose jugée. Ce principe a été reconnu par l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 9 mars 1864, cassation (Lipmann), et, une seconde fois, implicitement, par l'arrêt de la même Chambre du 22 du même mois, cassation (Besnard); arrêts sur lesquels nous aurons à revenir (n° 165 et 166).

Peu importe d'ailleurs que la condamnation ait été prononcée contradictoirement ou par défaut, si elle est désormais inattaquable. Ainsi jugé par l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 26 mars 1862, rejet (Achard), dans un cas de condamnation par défaut pour outrage à la morale publique et religieuse.

30. Mais faut-il que le jugement prononce expressément l'incapacité électorale qui découle du genre de condamnation qu'il porte?

On l'a soutenu en argumentant par analogie de l'article 42 du Code pénal qui, en donnant aux tribunaux correctionnels le droit de frapper les condamnés de certaines incapacités, leur impose de procéder

à cet effet par voie de disposition spéciale. Mais l'analogie a dû être écartée, puisqu'ici l'incapacité est une conséquence attachée par la loi elle-même à la condamnation prononcée; l'incapacité étant de droit, il est inutile de l'exprimer. Ainsi l'ont jugé les arrêts de la Chambre des Requêtes du 18 avril 1865, rejet (Lastrajoli) (1), et du 15 avril 1868, rejet (Ancelet) (2).

31. Les effets d'une condamnation prononcée peuvent disparaître, en tout ou en partie, soit par la grâce, soit par l'amnistie. Lorsqu'une condamnation qui eût entraîné par sa nature l'incapacité électorale est l'objet de l'une ou l'autre de ces mesures, quelle en sera la conséquence relativement à l'incapacité? Il faut distinguer entre la grâce et l'amnistie.

32. L'amnistie est réputée effacer non pas seulement la condamnation, mais le fait même qui y a donné lieu. Par une fiction de la loi, il n'y a pas eu condamnation; donc pas d'incapacité électorale. Aucun doute sur ce point.

C'est ce qui a été implicitement reconnu par deux arrêts de la Chambre des Requêtes, l'un du 30 avril 1861, rejet (Mattei), l'autre du 30 avril 1866, rejet (Noiret), dont nous reparlerons tout-à-l'heure, et c'est ce qui a été directement jugé par l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 8 avril 1867, rejet (Millot), dans un cas où il s'agissait, il est vrai, non d'une condam

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(1) Attendu qu'il est établi, par un extrait d'arrêt produit, que Lastrajoli a été, en 1860, condamné à l'emprisonnement pour vol d'épaves maritimes; qu'il importe peu que cet arrêt ne porte pas que Lastrajoli sera privé du droit de vote; que cette privation résulte textuellement des dispositions de l'article 15 du décret organique du 2 février 1852; que c'est donc avec raison que la radiation de Lastrajoli a été prononcée. (2) Sir., 1868, 1, 184.

nation, mais d'un fait assimilé à une condamnation. Cette dernière circonstance nous donnera l'occasion de revenir sur cette décision (n° 70).

33. Il en est tout autrement de la grâce.

La grâce dispense le condamné de tout ou partie de la peine (dans le second cas, elle s'appelle commutation de peine), en laissant subsister la condamnation; par suite, l'incapacité électorale persiste. Cette solution, rigoureuse mais seule juridique, déjà admise par la jurisprudence antérieure à 1852, a été consacrée, sous le régime actuel, par les arrêts suivants :

Arrêt de la Chambre des Requêtes du 30 avril 1861, rejet (Mattei), dans l'espèce d'une condamnation à deux mois d'emprisonnement pour vol suivie de grâce;

Arrêt de la Chambre des Requêtes du 14 mars 1864, rejet (Orsini), dans l'espèce d'une condamnation à cinq ans de fers suivie de commutation en trois années de travaux publics, puis de grâce (1);

Arrêt de la Chambre des Requêtes du 6 mars 1865,

-

(1) « Attendu qu'aux termes du paragraphe 1er de l'article 15 du décret organique du 2 février 1852, ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales les individus privés de leurs droits civils et politiques par suite de condamnation soit à des peines afflictives et infamantes, soit à des peines infamantes seulement; -Attendu que le demandeur en cassation ayant été condamné en 1848 à la peine de cinq années de fers, avait, d'après ce paragraphe, encouru la privation de ses droits électoraux, la peine des fers ayant un caractère afflictif et infamant aux termes de la loi des 25 septembre-6 octobre 1791; - Attendu, à la vérité, que le demandeur entend se prévaloir, pour soutenir sa prétention, d'une première décision aux termes de laquelle la peine des fers prononcée contre lui a été commuée en trois ans de travaux publics, et d'une seconde qui lui a fait remise du restant de cette dernière peine; · Mais attendu que la commutation et la grâce qui peuvent transformer la peine ou dispenser de la subir n'ont pour effet ni d'abolir une condamnation, ni d'en supprimer les conséquences légales, et que la réhabilitation seule pourrait roduire ce résultat ; Rejette.

cassation (Roccaserra), dans l'espèce d'une condamnation à un an d'emprisonnement pour escroquerie suivie de commutation (1).

34. Il peut y avoir quelquefois difficulté sur le caractère de la mesure qui intervient à l'égard de certaines condamnations. C'est ainsi qu'on s'est demandé si le décret du 15 septembre 1860, ainsi conçu: Remise est faite de toutes les condamnations prononcées jusqu'à ce jour dans le département de la Corse en matière correctionnelle et de simple police, contenait une amnistie ou simplement une grâce collective. La question a été jugée dans ce dernier sens par l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 30 avril 1861, rejet (Mattei).

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C'est ainsi encore qu'il s'est agi de savoir si le Décret du 29 février 1848 portant: « Toutes condamnations pour faits politiques et pour faits de presse, sous le dernier règne sont annulées» contenait une véritable amnistie ou une simple remise de peines. L'arrêt de la Chambre des Requêtes du 30 avril 1866, rejet (Noiret), a décidé, contre l'intention évidente du Décret, qu'il ne portait pas amnistie; l'arrêt n'a cependant pas osé dire que le gouvernement provisoire de 1848 avait accordé aux condamnés une simple grâce, il se tire d'embarras en disant que ce Décret

s'oppose à ce qu'aucune peine soit désormais subie en vertu de ces condamnations,» sans pour cela, ajoute-t-il, anéantir le fait de la condamnation. Nous reviendrons encore sur cet arrêt (n° 45).

35. Si l'individu condamné, sans obtenir de grâce et sans qu'aucune amnistie soit intervenue, parvient (1) Dall., 1865, 1, 238; Sir, 1865, 1, 384.

à échapper à l'exécution de la peine et la prescrit, peut-il se prévaloir de ce fait pour repousser l'incapacité électorale?

Non. Cette solution découle à plus forte raison de celle qui refuse tout effet à la grâce. C'est, d'ailleurs, la condamnation et non l'exécution de la peine qui entraîne l'incapacité.

Ainsi l'ont jugé l'arrêt Mattei, déjà plusieurs fois cité, dans une espèce où la condamnation, non suivie d'exécution, remontait à vingt-deux ans ; et l'arrêt, également de la Chambre des Requêtes, du 30 mars 1863, rejet (Bousseau), dans l'espèce d'une condamnation à deux mois d'emprisonnement pour abus de confiance, remontant à trente-deux ans et non suivie de l'exécution de la peine (1).

36. De ce qui précède il résulte que l'amnistie seule, parmi les faits qui surviennent postérieureinent à une condamnation définitive, a pour conséquence d'effacer cette condamnation et par suite de faire disparaître l'incapacité électorale. Elle a cet effet, soit que la peine ait été exécutée, soit qu'elle ne l'ait pas été.

Mais il y a un moyen pour le condamné qui a subi sa peine ou qui a obtenu sa grâce, d'effacer non plus la condamnation mais les effets subsistants de cette condamnation, y compris l'incapacité électorale; ce moyen, c'est la réhabilitation. La réhabilitation s'obtient dans les conditions et selon les formes indiquées par les articles 619 à 634 du Code d'instruction criminelle, teis qu'ils sont rédigés depuis la Loi du 3 juil(1) Dall., 1863, 1, 135.

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