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vèrent en effet peu de défenseurs. Un seul orateur, M. də Cazales, se fit distinguer par la chaleur et par l'éloquence qu'il déploya en faveur de ces cours; mais dans son dévouement il porta lui-même le coup qui devait les frapper. En finissant M. de Cazalès, dans une intention contraire à l'avis du comité, posa aussi cette question : « l'ordre judiciaire actuel sera-t-il détruit ou seulement réformé ? » Aussitôt une grande partie de l'Assemblée se lève, et veut aller aux voix. Après une discussion fort courte, mais très orageuse, M. de Toulongeon reproduit ainsi la question: « L'ordre judici ire sera-t-il, ou non, reconstitué en entier ? » et l'Assemblée décrète l'affirmative.

Trois projets d'organisation du pouvoir judiciaire se partageaient les voix pour la priorité; le projet du comité, celui de M. Chabroux et celui de M. Duport : l'Assemblée ne l'accorda d'abord à aucun ; mais, sur la proposition de M. Barrère, elle décréta une série de questions formant la base de tous les projets, et sur lesquelles s'établit la discussion. La première portait: Etablira-t-on des jurés tant en matière civile qu'en matière criminelle? Celte question et les suivantes donnèrent lieu à de longs débats que nous réunirons dans le prochain volume, en les faisant précéder de l'excellent ouvrage d'Adrien Duport sur l'établissement des jurés.

FIN DU TROISIÈME LIVRE.

AVIS AU LECTEUR

Sur la division de l'ouvrage, et principalement sur les livres III et IV de ce volume.

Le peu d'étendue donné aux livres III et IV de ce volume pourrait faire croire que nous avons négligé les matières auxquelles ils sont consacrés : nous devons donner le motif de cette apparente stérilité, que rendrait sans excuse la richesse de la mine que nous exploitons, et qui serait une infraction à nos engagemens si elle n'avait pour but de les mieux remplir. Le livre Ier est complet; il parcourt tout entière l'année 1790. Le second n'offre qu'une discussion, très importante à la vérité; mais avant la délibération sur le droit de paix et de guerre d'autres matières constitutionnelles se présentaient à notre choix : le livre III s'arrête précisément où commence la discussion relative à l'établissement des jurés le livre IV donne un rapport et une adresse sur l'émission des assignats, et se tait également sur la discussion relative à cet objet. Dans chacun de ces trois derniers livres se trouve donc une lacune elle était indispensable; en voici les raisons. Nous n'avons pas cru devoir couper en plusieurs parties des discussions d'un aussi grand intérét; nous avons pensé au contraire que notre travail consistait principalement à réunir ce qui était épars, et à former de toutes ces discussions autant de tableaux d'action dont l'unité ferait surtout le mérite, en offrant à l'esprit une étude sans distraction. La discussion relative à l'exercice du droit de paix et de guerre est en son lieu rapportée en entier fallait-il la couper pour donner place à deux ou trois discours sur le juri, à deux ou trois discours sur les finances? De cette façon aucune de ces grandes discussions ne se fút présentée complète, et tout intérét diminue du moment qu'il est partagé : nous devions craindre ce danger, et nous croyons l'avoir évité par la division de

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l'ouvrage, dont la marche ne cesse pas pour cela d'étre chronologique et historique : nous pouvons d'ailleurs assurer que, sous ces deux rapports, le volume de tables qui terminera l'ouvrage ne laissera rien à désirer. Une méthode contraire nous cút été plus facile; mais elle eút jeté le lecteur dans un grand inconvénient. En suivant, par exemple, l'ordre des temps d'une manière absolue, nous n'eussions fait qu'une vaste gazette; le premier livre, si riche par les incidens, et les trois autres, si importans pour l'étude suivie des différentes législations, se seraient trouvés confondus en une seule narration grossie des matériaux les plus incohérens, et le lecteur, autant de fois détourné de l'objet de son attention que les ordres du jour subissent d'interruptions, n'aurait souvent obtenu qu'après plusieurs mois de date le résultat d'une discussion à laquelle il eút voulu principalement s'attacher.

Ces explications ne nous ont point paru déplacées au milieu des grandes opérations de l'Assemblée; elles sont faites une fois pour toutes. Notre intention bien soutenue est que cet ouvrage réunisse tous les genres d'intérét dont il est susceptible: l'encourageant accueil qu'il a reçu fait de notre zèle un devoir.

Ainsi, d'après notre plan, il nous reste à former un tableau général des discussions arriérées relatives à la constitution, au pouvoir judiciaire, aux finances, etc., et c'est ce que nous ferons en terminant le choix des travaux de l'Assemblée constituante. Dans la partie constitutionnelle nous rapporterons en note, mais textuellement, pour l'intelligence des discussions, la constitution proclamée en 1791; précieux dépôt que cette immortelle Assemblée, par ces paroles sublimes, avait remis a à la » fidélité du corps législatif, du roi et des juges, à la

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vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, » à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français!...»

LIVRE IV.

FINANCES.

DE L'IMPÔT SUR LE LUXE. DISCUSSION. Orateurs: MM. l'abbé Maury, l'abbé de la Salcette, Blin, le comte Charles de Lameth, etc.

Dans le premier volume nous avons fait connaître les trois premières opérations financières de l'Assemblée nationale, afin d'offrir sons ce rapport une idée de la situation critique de la France au moment de la révolution. Laissant ensuite tout ce qui se liait trop intimement aux circonstances, nous ne nous sommes plus attachés qu'aux faits qui posent des principes: c'est dans le système des impositions et dans celui du papier-monnaie que pous remplirons surtout notre tâche. Auparavant nous nous arrê→ terons à une proposition souvent renouvelée depuis, alors rejetée comme en se jouant, et sur laquelle néanmoins l'opinion de l'Assemblée nationale est encore une autorité.

Séance du 18 janvier 1790. M. le marquis de Lancosme venait de proposer la création d'un comité de onze personnes, chargé spécialement de s'occuper d'un nouveau plan d'impositions. M. l'abbé Maury prend la parole:

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Messieurs, depuis huit mois nous sommes assemblés ; depuis huit mois nous désirons de régénérer le royaume, et nous nous sommes à peine occupés des finances! Le mot peuple est souvent prononcé dans nos discours, et une révolution faite en son nom n'a encore rien fait pour lui! Le poids presque entier des impôts porte sur le peuple, et on ne le soulage pas! Depuis huit mois que nous sommes assemblés les voiles qui couvrent l'étendue de la dette publique ne sont pas levés

encore! N'est-il pas extraordinaire que cette dette, qui est placée sous la garantic de la loyauté nationale, ne soit pas encore connue ! Si vous la laissez dans cette indétermination, messieurs, on peut la faire croître d'une manière indéfinie, et la nation aura beau être loyale, elle ne sera jamais assez riche pour la payer. Occupons-nous donc à connaître, à fixer la dette; occupons-nous surtout du soulagement du peuple ; que les impôts portent sur le superflu, et non pas sur le nécessaire; qu'ils soient payés par ce luxe si funeste aux bonnes mœurs, et d'un si dangereux exemple pour le peuple qu'il dévore.

» Il est temps enfin que ce peuple soit pour quelque chose dans nos décrets. Le peuple de Paris est surtout bien digne de pitié: il ne vit que de ses capitaux ou de son commerce: ses capitaux sont sans produit, puisque les rentes sur l'hôtel-de-ville sont suspendues; son commerce est nul, puisque les gens riches ou s'éloignent de Paris ou resserrent leurs richesses.

>> Sans doute les classes privilégiées ont déjà fait de grands sacrifices; ce n'est pas assez pour le peuple. Je demande qu'on abolisse dès ce moment tous les droits qui se perçoivent aux barrières sur les consommations communes. Je ne propose pas de faire ce qui est arrivé si souvent, c'est à dire de détruire sans remplacer.... (Murmures.) Je propose au contraire de remplacer sur le champ la perception abolie par un impôt sur le luxe. »

(Plusieurs voix interrompent l'orateur pour le rappele à la question; il reprend :)

« Je ne crois pas que ces réflexions soient étrangères à la question. Personne sans doute ne prendra la défense du luxe; il doit enfin devenir utile au patriotisme, après n'avoir servi qu'à la dépravation des mœurs.

» Je demande 1° qu'il soit établi un comité pour rechercher et pour faire connaître toute la dette de la nation, sous quelque dénomination qu'elle soit désignée ou déguisée; 2° que les impositions sur les commestibles communs à l'entrée des villes, ainsi que le droit des aides dans tout le royaume, soient

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