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Le peuple fentit tout le mérite de ce rapprochement, & en tur gré à fes mag ftrats.

Dans des nuages de parfums qu'on brûloit autour, lè farcop age des citoyens moris au maflacre de la SaintLaurent etort traîné lentement par des Bœufs, à la manière antique, & laifioit aux fpectateurs le temps de payer un tribut de larmes à la mémoire de leurs frères traitreufement immolés à la journée du 10; mais ce fentiment naturel de trifteffe: & de regrets faifoit bientôt placé à un autre plus convenable aujourd'hui, à la vue d'un groupe de tédérés tenant leurs fabres nus entrelacés de branches de chêne.

Une bannière exprimoit leurs intentions dans ces deux gaes qui furent répétées de cœur & dé bouche tout le long de la route :

Pleurez, épouses, mères & foeurs,

La perte des victimes immolées par les traîtres
Nous jurons, nous, de les venger."

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Une autre bannière fans contredire celle ci-deffus, tenoit u autre langage, convenable aux objets qu'elle

annonçoit :

Si les tyrans ont des affaffins

Le peuple a des loix vengereffes.

Et tout de fuite paroiffoit la ftatue de la loi, armée de fon glaive, & fuivie des juges de tous les tribunaux.

La municipalité marchoit enfuite devant la liberté, qué portoient une foule de gardes nationales, fières de leur fardeau. Puis venoit la commiffion administrative prov foire qui remplace le département, & enfin l'affemblée nationale, dont le préfident tenoit à la main plufreur: couronnes civiques pour être dépofées au pied du "monument pyramidal des Tuileries. A l'arrivée du cortége par le pont tournant, on alluma les quatre autels qui accompagnoi nt le tombeau, dont l'élévation & la belle mafle eachoit la vue de l'odieux château. Il n'étoit pas nuit encore quand la tête du cortege entra dans le jardin; & à neuf heures, à peine étoit il parvenu tout enwer autour du baffin, theatre de la fête, parcé que beau

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coup de citoyens des deux fexes voulurent en être; chacun au rang de fa fection. Il y avoit bon nombre de fans culottes avec leurs piques; mais ils étoient de beaucoup furpaffés par la multitude des uniformes de tous les bataillons qui s'empreffèrent de fe montrer à la fête, pour le dédommager apparemment de ne s'être pas montrés le jour même de l'action.

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En arrivant, on fit le tour du tombeau pyramidal de granit, & on y pofa les bannières & les couronnes au bruit de la marche des morts, compofition grave & févère de Goffec, dont le talent mufical eft plus sûr que les principes qu'il manifefta en prenant place dans le club de la bafle Sainte-Chapelle, & en fignant la pétition Guillaume.

Ainfi donc l'architecte, le muficien, l'orateur & poëte choifis pour cette folennité nationale fe trouvent tous trois entachés d'incivifme. Certe remarque eft affez fingulière.

Une tribune aux harangues, dans le ftyle de celle de la tragédie de Gracchus au théâtre de la rue de Richelieu, étoit placée entre l'amphitéâtre occupé par les députés, adminiftrateurs, juges & magiftrats, & Forchestre rempli d'un grand nombre de virtuofes plus patriotes que leur chef. Après la marche des morts Chenier monta à la tribune, & y prononça un difcours qui fut applaudi, & dont le peuple lui-même vota l'impreffion. La mufique reprit & termina la fête par des morceaux vifs & brillans, espèce d'apothéofe des illuftres victimes dont on célébroit la mémoire. Tout fut terminé à dix heures; & cette pompe, où prefque tout Paris affifta, ne fut attrillée par aucun accident, ainfi qu'il fe pratique depuis quatre ans c'eft-à-dire, depuis que le peuple fe charge lui-même de fa police.

Qu'on nous permette une obfervation. Cette cérémonie lugubre, & dont le fujet devoit tour à tour inspirer fle recueillement de la trifteffé & une fainte indignation contre les auteurs du maffacre dont on célébroit la commémoration, ne produifit pas généralement cet effet fur la foule des fpectateurs. Dans le cortége, le crêpe étoit à tous, les bras, mais le deuil n'étoit point fur tous les vifages Un air de diffipation, & même une joie bruyante, conftraftoit d'une manière beaucoup trop marquée avec les fymboles de la douleur, & en détruifoit l'illufion.

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Le lendemain, M. Sergent, au lieu de faire enlever les deux figures de la liberté & de la loi, eut l'attention au contraire de les placer convenablement devant & derrière la pyramide, afin de laiffer au peuple tout le loifir de contempler à fon aife les deux feules divinités dignes du culte d'une nation éclairée. Mardi matin ces deux belles figures fe trouvèrent dépouillées de toutes leurs draperies, & malicieufement expofées à tous les regards dans la nudité la plus hideufe & la moins décente. Ce délit mérite punition. Il eft dû fans doute à quelques prêtres jaloux de l'encens brûlé la veille fur Jautres autels que les eurs.

Coup-d'œil fur l'état préfent de la France.

Un vafte complot menaçoit la liberté publique; légiflateurs, pouvoir royal, organes de la loi, magistrats du peuple, par-tour on comptoit des confpirateurs. Les juges pourfuivoient, accabloient les meilleurs citoyens; les adminiftrateurs empêchoient la propagation de l'ef prit public; la majorité abusée de l'affemblée nationale faifoit caufe commune avec la faction de la cour; celleci étoit le centre & le moteur de la foule immenfe des conjurés; enfin le patriotifme étoit devenu un titre de perfécution, & l'énergie française fembloit avoir disparu de deffus la furface de la France. Les citoyens étoient en divifion; un funefte efprit de modérantifme, adroitement foufflé par la cour, avoit gagné le cœur de beaucoup d'hommes honnêtes; & naguère, même la veille de l'infurrection du 10 août, l'on eût dit que Paris étoit compofé de deux efpèces de patriotes; les uns voulant la liberté, les autres voulant la conftitution las ; craignant le peuple qu'on avoit calomnié dans tant d'écrits, les autres craignant la cour, dont le coupable def fein perçoit à travers le nuage de la diffimulation.

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Cet état de chofes, cette donnée politique étoit la bafe de toutes les fpéculations fanguinaires du château des Tuileries. L'infâme Mottié s'étoit fait le chef visible des hommes pufillanimes, & le chef invifible de Coblentz. Par cette manoeuvre, beaucoup de citoyens fe trouvoient, fans le favoir, rangés fous les drapeaux de la contre-revolution; & le fait eft que le peuple, le vé ritable peuple, le fouverain, avoit prefque autant d'en

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nemis qu'il y a en France de propriétaires; de gros marchands, de gens de finance & d'hommes riches.

Le fyftême de déforganisation ainfi établi, la cour, en empruntant des gens riches, avoit attaché leur exiftence à la fienne; elle les avoit rendus royaliftes & conftitutionnels par l'intérêt; elle en avoit fait autant de perfécuteurs de la liberté. Dès-lors tout changea de face à Coblentz; on n'y parla plus de contre-révolution : les émigrés, conjointement avec l'empereur & le roi de Prufle & le château des Tuileries, voulurent feulement rétablir l'ordre en France, en promettant de refpecter & protéger les propriétés; de forte que ceux-là mêmes qui avoient tant coopéré à la révolution de 1789, pour que l'état ne fit pas banqueroute, faifoient, en 1792, de conftans & coupables efforts pour que le roi, devenu une feconde fois leur débiteur, ne fût pas inquiété, lors même qu'il ouvriroit aux Pruffiens les portes de la France.

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Ce fut cet engagement, de la part des riches, qui dé termina Lafayette à fe mettre à leur tête, à dénoncer les fociétés d'amis de la conftitution, à qualifier de factieux tous les hommes que la cour n'avoit pu féduire : ce fut ce même engagement qui fit écrire au duc de Brunswick cet infenfe manifefte, dans lequel on invite les Français à n'oppofer aucune réfiftance à l'introduc tion des troupes pruffiennes, par-tout où elles fe préfenteront; c'est-à-dire à paffer volontairement fous le joug du defpotisme de Vienne & de Berlin. Qu'on relife les lettres de Coblentz, celles du traître Lafayette, celles du géneral Brunswick, les proclamations de la cour & les libelles des écrivains de la contre-révolution; qu'ori relife toutes les pièces, qu'on les compare entre elles, & par-tout on verra régner le même efprit, le même fens, la même fcélérateffe; en forte qu'il eft aujourd'hui plus clair que le jour que Léopold, que fon fucceffeur, que Frédéric-Guillaume, que d'Artois, que Lambefc que Lafayette, que Brunfwick, que Louis XVI, que tous les Fueillans de France n'agilloient que de concert, n'avoient qu'un même but, celui de fufciter des défor dres & de faire croire à l'anarchie, afin de réprimet sette anarchie prétendue par les armées étrangères.

Lafayette avoit conftamment refufé de fe prêter a fou lévement de la Belgique; il avoit impudemment dégarni

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toute la partie de notre, frontière qui nous fépare de ce pays révolutionnaire; il ne l'avoit fait que pour donner lieu à l'ennemi d'en retirer une partie de les troupes, afin de les joindre au gros de l'armée, fur les bords du Rhin. De fon côté, il avoit porté Farmée française dans les environs de Metz & de Sedan, en laiffant un vide de plus de dix lieues entre la partie de cette même armée qui étoit fous fon commandement, & la partie qui étoit fous le commandement de Luckner; de forte que, fans rencontrer le plus léger obftacle, la colonnel des Pruffiens pouvoit en effet fe porter, en peu de jours, jufqu'à Paris or voici quelles étoient en détail les efpérances de tous ces contre-révolutionnaires. Les commandans de Strasbourg, Landau, Kuningue, Thionville, Longwy, Verdun, Metz, &c. euflent ouvert leurs places; les Pruffiens y euffent placé des garnifons; on leur eût particulièrement défendu toute repèce d'excès jufqu'à nouvel ordre; le gros de l'armée ennemie eûti dirigé fa marche vers la capitale; la cour y eût excitéun mouvement partiel & non concerté entrelles fections; les chevaliers du poignard, les gardes fuiffès une partie de l'ancienne garde nationale euffent chargé le peuple, à coups de canons on eût opéré la diffolution du corps législatif on eût répandu des brigands dans tous les quartiers de la ville, qui euffent pillé,incendié, égorgé; on fe fût battu corps à corps dans les rues; cette guerre civile eût duré quelques jours: alors fe fuffent prefentés les Pruffiens, les Allemands, les Autrichiens; alors fe fuffent joints à eux tous les contre révolutionnaires de l'intérieur; alors cette armée de bourreaux eût été renforcée par les propriétaires par les gens riches les citoyens mides alors le par tous 99 peuple fût devenu le plus foible par le nombre; alors eût paru une proclamation infidieufe de Louis XVI; alors la contre-révolution eût été faite, & faite par l'efprit de modérantime, contre lequel nous nous sommes imperturbablement élevés depuis près de quatre années.

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Une fois maitre de Paris, Lafayette eût été proclamé le reftaurateur de l'ordre & de la paix, le protecteur de la monarchie, & dès-lors notre fuperbe empire, nos magnanimes citoyens étoient livrés à toutes les horreurs du defpotifme outragé on élevoit des potences dans toutes les rues; on rafoit tous ces temples où les focié

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