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'horreurs, & toutes les horreurs la précèdent; toutes difparoiffent au moment où le coup mortel eft frappé. » Nous l'avons donc fubie cette peine tertible; car > nous nous sommes vus, les uns pendant plufteurs heures, les autres pendant plufieurs jours, menacés, »vironnés de toutes fes horreurs. Pendant plufieurs jours, nous avons fouffert toutes les tranfes, tout le fupplice » de la mort. Voudriez-vous les faire recommencer pour nous? Il y a eu des philofophes qui ont penté que la peine de mort et trop: cruelle, qu'elle fait trop féwmir & trop fouffrir l'humanité, pour que la fociété

ait le droit de la prononcer. Eh bien! lorfque le droit » de faire fubir une feule fois la peine de mort eit au » moins douteux,' croiriez-vous avoir le droit de nous la » faire fubir deux fois? Sous l'ancien régime même » fous ce régime, dont les loix pénales étoient féroces, » s'il arrivoit qu'un coupable, en fubiffant le fupplice, » échappât à la mort, ta vie étoit refpectée; on: le res

gardoit comme ayant fubi la peine de mort, comme » recommençant une nouvelle vie, comme étant pour ≫ ainfi dire un autre homme. Comment pourriez- vous

prononcer que nous devons être punis encore fuivant la rigueur de vos loix, lorfqu'on ne vous parle pas » même de ceux qui, en nous délivrant, nous ont fait fouffrir les fupplices auxquels ils nous déroboient, » de ceux qui nous ont fait fortir des prifons à travers Is flots de fang qu'ils avoient fait couler fous nos >> yeux »?

Il nous femble que les prifonniers élargis auroient une Taifon bien plus forte à alléguer en leur faveur, & qu'au lieu de toutes les fubtilités que le miniftre Gatat met dans leur bouche, ils pourroient dire: Repréfentans de la nation, c'eft la nation entière qui s'eft infurgée le 2 Leptembre comme le 10 août; c'eft la nation entière, fupérieure aux loix, qui elle-même alors jugea tous les coupables; c'eft la nation entière qui nous a renvoyés abfous. Quand la nation a prononcé, il n'y a plus de tribunal d'appel; ni la convention nides tribunaux n'ont plus le droit de nous traduire devant eux; on n'appelle point du jugement du peuple; il nous a déclarés innocens.

On ne nous accuferá pas, fans doute, d'affoiblir.& d'atténuer les raifons dont s'appuie l'opinion contraire à la nôtre; c'est à nous maintenant à les combattre & à rétablit la loi dans tous fes droits. Répondons d'abord à l'argument du ministre.

1 175 Tome 14:

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Nous avons toujours vu avec douleur que la peine de mort fouilloit notre légiflation; mais ce n'eft point à caufe de l'appareil qui la prépare, qui l'annonce, qui l'approche de l'être vivant que nous l'avons condamnée, & que nous avons dit qu'elle crioit vergeance; c'est, au contraire, parce que le coup qui la donne eft trop inftantané, trop rapide, pour effrayer falutaireinent les grands coupables; c'est parce qu'il n'y a aucune proportion entre un inftant de fouffrance & des mois, des années, une vie toute entière de crimes; c'eft parce qu'il eft impoli tique d'ajouter à la perte de ceux que le crime a im molés, la perte d'un criminel que la fociété pourroit employer utilement pour elle; c'eft enfin parce que la fociété n'a aucun droit fur la vie des hommes qui la compofent. Le corps de la peine, fi l'on peut parler ainfi comme le tort de la loi, eft donc la privation de la vie, & non pas dans ce qui la précède. La fociété pourroit condamner les fcélérats à des travaux tels que le defféchement des marais & l'exploitation des mines; elle pourroit leur affigner des occupations où la fatigue fe joignît à la honte, où chaque jour, chaque inftant, pire que la mort même, les fit foupirer fans ceffe après la fin de tous les maux, fans que la lenteur d'un fupplice fi terrible pût la faire accufer d'inhumanité.

On nous parle de l'horreur qu'infpire la vue d'hommes égorgés & du fang qui coule à grands flots; mais ces hommes élargis n'ont pas été long-temps dans l'incertitude que leur caufoit un pareil effroi; & la peur d'un moment fuffit-elle pour expier des forfaits? Une fois la crainte paffée, le fpectacle de ce théâtre de mort ne peut être confidéré comme une punition: nous l'avons partagé tous nous qui n'étions pas même foupçonnés. Qui des Parifiens n'a pas été témoin de ces fanglantes exécutions? Qui n'a pas vu le fol teint de ces traces effrantes? Qui n'a pas vu les cadavres obftruant les rues & chargés par monceaux fur des voitures? Croit - on d'ailleurs que ce fpectacle foit bien affligeant pour un affaffin dont les mains fe font déjà plongées dans le fein de fon femblable?

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Anciennement, dit-on, fi l'homme jufticié, en fubiffant fon fupplice, échappoit à la mort, fa vie étoit refpectée. Oui fans doute, parce qu'il avoit fubi le fupplice, parce qu'il avoit fatisfait à la loi: encore l'arrêt portoit-il : Jufqu'à ce que mort s'enfuive. Mais la peur eft - elle un fupplice du code pénal? Les malheureux dont il s'agit ont fubi un jugement, & non pas un fupplice. Ils

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font dans le cas d'un homme qui fe trouveroit en cause à la fois pour deux crimes & à deux tribunaux différens. Blanchi dans l'une des deux caufes, pourroit-il pour cela fe fouftraire à un fecond jugement, & dire qu'il ne doit plus être jugé ni condamné à aucune peine; que s'il a mérité quelque fupplice, il l'a bien fubi déjà par les angoiffes, par les terreurs que lui a caufés fon premier jugement, par l'afpect de la mort qu'il a toujours eu préfent à fes yeux.

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S'il y a de l'humanité & de la philantropie dans les intentions du miniftre, elle est mal entendue, & elle est plus mal étayée. La loi, après les momens d'infurrection doit reprendre fon cours; elle est comme un fleuve dont on arrête les eaux pour les faire refluer dans les campagnes. Dès le que temps néceffaire à cette heureuse inondation eft fini, le fleuve eft rendu à fon premier lit, il rep end & recouvre de nouveau fon premier terrain qu'il fembloit avoir abandonné.

Si l'on s'étoit formé une idée jufte des événemens du 2 septembre, on n'eût jamais propofé à la convention de pareilles difficultés. Dans ces jours terribles, le peuple, la nation entière n'avoit qu'un objet, qu'une espèce d'ennemis; elle ne voyoit pour le moment qu'une forte de fcélérats redoutables, les amis des Pruffiens, Brunswick étoit en France, il s'avançoit vers Paris. On ne pouvoit fonger qu'à ce feul péril, qu'au crime de trahifon; tout le refte n'étoit plus rien dans ce grand danger commun; tous les crimes alors difparoiffoient, rentroient dans la claffe des infiniment petits, comparés à celui qui pouvoit livrer la France entière à fes ennemis. les plus acharnés. Un tribunal prévôtal s'élève pour juger d'une manière expéditive tous ceux qui peuvent être les complices de l'Autriche & de la Pruffe. Voilà le feul objet de ce tribunal qui, dans ce moment, prit la place des autres; tous les crimes étrangers à celui de conspiration n'étoient plus de fa compétence; il devoit les renvoyer hors de cour, & il l'a fait. Aujourd'hui les premiers juges fe font replacés fur leurs fiéges; c'est à eux à pourfuivre tous les coupables qui fe trouvent encore refponfables aux loix anciennes, fans s'embarraffer fi ces prifonniers ont pu avoir peur de la mort; car fi le feu prenoit à une prifon, & que les captifs s'échappaffent, il s'enfuivroit qu'on ne devroit pas les pourfuivre, parce qu'ils auroient eu devant les yeux le fpectacle d'une mort terrible.

On pourroit encore envifager cette affaire fous un autre

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point de vue. Ces coupables détenus ainfi étoient de véritables ennemis publics; ils étoient femblables à des ennemis pris les armes à la main. Si lorsqu'on eft furcharge de prifonniers, on fe voyoit fur le point d'être attaqué par ceux de leur parti, & qu'on fût de fcience certaine qu'un nombre de ces prifonniers vont forcer les prifons , courir eux-mêmes aux armes le droit de la guerre ne permettroit-il pas de fe défaire de tels hommes fur le champ en le réservant néanmoins de prononcer enfuite fur le fort des autres prifonniers?

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Il eft vrai que le peuple auroit mieux fait peut-êtrè de laiffer dans les prifons ceux qui, par la nature de leurs crimes, n'étoient pas foumis à l'efpèce de tribunal qu'il avoit établi, mais le tribunal ne pouvoit s'empê cher de les élargir, puifqu'il ne les trouvait pas coupar bles des délits dont il connoiffoit. D'ailleurs cette gér nérofité peu réfléchie du peuple qui n'avoit pas le temps d'en calculer toutes les fuites, cette générofité qui a bien dû dédommager les prévenus de toutes leurs terreurs momentanées, doit-elle détruire le cours de la juftices, qu'on n'avoit voulu que fufpendre ?

D'après cela, l'objection que nous nous fommes propofée nous-mêmes, quelque puiffante qu'elle paroiffe d'abord, tombe entiérement. La nation les a renvoyés abfous, c'ft à-dire, abfous du crime de haute trahison, du feul crime dont elle connût alors; & fi elle les a relâchés, c'eft qu'au moment où elle croyoit que tous les habitans de Paris fortiroient de leurs murs pour voler à la rencontre de Brunswick, elle ne vouloit. pas même y laiffer le nombre d'hommes fuffifans pour garder ce reite de prifonniers; c'est qu'elle croyoit que ces prifonniers eux-mêmes partiroient, qu'on en fercit autant d'enfans perdus, & qu'ils échangeroient un fupplice honteux contre une mort glorieufe. Ces conjectures n'ont point été réalitées, tout rentre donc dans l'ancien état de chofes, & les loix doivent reprendre leurs droits fur tous cès êtres coupables qui n'ont pas facrifié pour la patrie une vie qu'on ne leur laiffoit que pour cet ufage.

Ce n'eft donc pas un appel à un fecond tribunal auquel on veut les aftreindre, c'eft un autre jugement qu'on veut leur faire fubir, & pour d'autres faits. L'interrogatoire qui les a fait fortir de prifon fe réduifoit en fubftance à ce peu de mots : êtes-vous l'ami des Pruffiens? Dès que le contraire étoit prouvé, le tribunaf à fon tour répondoit en fubftance: votre affaire ne nous regarde plus

Sur Jérôme Pétion & fon dernier difcours.

Nous nous étions bien promis de ne plus revenir fur les perfonnalités affligeantes qui ont occupé fi long-temps la convention nationale; mais voilà que Pétion s'explique enfin, & denne par écrit fon opinion fur Robespierre: nous ne pouvons guère nous difpenfer d'en citer les paffages importans:

Pétion commence par jeter un coup-d'œil fur la révolution du 10 août; il regarde comme momentanément utile le pouvoir dont s'emparèrent les commiffaires des sections, Mais,continue Pétion : « La foif de dominer s'empare d'eux; dès lors la commune ne fe borna pas à administrer, elle s'inveftit de tous les pouvoirs: on y dénonçoit, on y arrêtoit; on y jugeoit; on y prenoit une foule de délibérations les plus illégales; alors tous les fils furent coupés dans mes mains, car je me ferois bien gardé d'attacher mon nom à des actes aufli irréguliers. Robespierre prit alors de l'afcendant dans le confeil général : il ne voyoit que précipices ouverts fous fes pas : il ne parloit que de complots liberticides, que de trames contre le peuple; il fignaloit les prétendus confpirateurs. Je voulus lui donner quelques confeils, ils furent repouffés ; enfin Robefpierre & fes partiíans entraînèrent la commune dans des démarches inconfidérées les partis les plus extrêmes. Des nouvelles fâcheufes, la trahison de Longwy, la prife de Verdun vinrent encore augmenter l'agitation des efprits; l'abfolution de Montmorin; la publication du complot tendant à faire évader les prifonniers qui devoient fe répandre dans la ville pour s'y livrer à tous les excès & enlever le roi, le décret qui ordonnoit la levée de trente mille hommes pour marcher aux frontières, tous ces incidens augmentèrent l'agitation des efprits. Le comité de furveillance de la ville, ayant Marat pour chef, commande des arrestations, lance des décrets, comble les prifons.... On annonce à la commune qu'on va immoler les prifonniers : cette annonce ne reçoit aucune cenfure, elle est même applaudie. - Le 2 feptembre arrive, le canon d'alarme fe fait entendre, le tocfin fonne. On fe porte aux prifons, on égorge, on affaffine. Manuel & plufieurs députés volent au champ du carnage; ils parlent au nom de la loi : efforts inutiles! Et moi, fequeftré de toutes fonctions, je n'apprends que le dernier ces horreurs: comment encore? d'une manière vague & défigurée. On m'annonce même que tout eft fini, mais les détails les plus déchirans me font fortir de cette lé

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