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lui transmettre secrètement ses ordres, le compte qui lui étoit demandé; qu'il se trouveroit, soit dans sa correspondance avec les ministres, dont l'assemblée avoit demandé la communication, soit dans les registres de son état-major. « Tous ces » objets, purement militaires, ajoutoit-il, ont une grande connexité avec les opérations subsé» quentes de la campagne, sur lesquelles la pru»dence et mon devoir me commandent le secret; » c'est à l'assemblée nationale à examiner ce qui, » dans la direction de la guerre, est absolument étranger à ses fonctions, et ce que la constitu»tion lui permet de connoître, par des interpel

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lations faites au ministre de la guerre. Il a déjà » eu l'honneur d'informer l'assemblée que je » m'étois rendu ici sur un ordre du roi, pour con»férer avec sa majesté de notre systême de dé» fense........ Quant à la demande qui m'est faite, » relativement à ce qui est nécessaire pour assu»rer le succès des opérations à venir, je répondrai

que nous avons à desirer une grande augmen»tation de forces, et cette grande réunion de » moyens que sembloient nous promettre les pro» testations de zèle civique et d'enthousiasme » guerrier, qui souvent retentissent dans l'assem» blee nationale; mais que jusqu'à présent, ces » brillantes espérances se sont peu réalisées ; que » l'armée est encore incomplète, peu nombreuse, » et nullement recrutée; et que si l'assemblée

» perdoit un moment pour la renforcer, par tous » les moyens qui peuvent dépendre d'elle, nos » forces seroient dans une immense disproportion » avec celles de nos ennemis. »

Cette réponse dissipa toutes les inquiétudes sur l'objet du voyage du maréchal; mais les tristes vérités qu'elle contenoit, et les leçons constitutionnelles qu'il donnoit à l'assemblée, lui déplurent infiniment. Les membres du comité de la guerre attestèrent que le maréchal y étoit venu la veille, et leur avoit parlé dans un sens tout opposé, et qu'il avoit paru ne pas craindre les ennemis. Mais c'étoit dans la soirée que se tenoient les comités; et, après un bon dîner, ce vieux général, réconforté, ne craignoit rien, voyoit tout en beau, et disoit tout ce qu'on vouloit. Ce fut ainsi que, le lendemain, à la commission des douze, on lui fit avouer que la lettre qu'il avoit écrite à l'assemblée n'étoit pas de lui; qu'il n'avoit fait que la signer, qu'on la lui avoit arrachée, etc., etc., etc. Cette nouvelle contradiction fut dénoncée à l'assemblée, etydiscrédita entièrement le maréchal de Luckner. « Comment compter, disoit-on, sur un général, qui, soit radotage, soit ivresse, change d'opi ≫nion et de langage du matin att soir?»>

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Dumouriez, à qui le maréchal de Luckner avoit confié, en partant pour Paris, le commandement par interim de l'armée, où il étoit déjà employé, comme lieutenant-général, à la tête de l'aile

gauche, saisit adroitement cette occasion, pour tâcher d'attirer à lui la confiance que MM. de Lafayette et Luckner avoient perdue on alloient perdre. Il adressa, pour cet effet, à l'assemblée, le 17 juillet, une lettre, dont elle eût trouvé, sans doute, le ton un peu leste, si cette inconvenance de style n'eût pas été rachetée été rachetée par une forte dose de jactances patriotiques les plus rassurantes, entremêlées de réflexions critiques ou malignes, très-propres à lui concilier la faveur des ennemis des deux généraux et du ministère (1). On remarquoit dans cette lettre, entr'autres fanfaronnades, celle d'avoir, avec six cents hommes et deux pièces de canon, défendu pendant deux heures entières, pied à pied, et de vue en vue, la petite ville d'Orchies, non fortifiée, et attaquée à-la-fois à trois postes différens par-les Autrichiens, au nombre de plus de six mille hommes, avec plusieurs pièces de canon et obusiers, et d'avoir fait une retraite très-honorable, après avoir perdu huit hommes seulement et une pièce de canon, tandis que les Autrichiens avoient laissé vingt morts, et emmené onze chariots de blessés.

Quels succès ne promettoit pas un début aussi brillant! Et comment ne pas avoir une grande confiance aux talens d'un général qui, avec six

(1) Voyez la lettre de Dumouriez, Pièces justificatives, n°. XII.

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cents hommes, en avoit presque battu six mille? Dumouriez feignant toujours d'ignorer qu'il y eût un ministre de la guerre (1), écrivit le lendemain (18 juillet ) à l'assemblée une seconde lettre sur le même ton que la première; il y joignit la copie d'une lettre qu'il écrivoit à M. de Lafayette, et un long mémoire sur la position critique où il se trouvoit, sur les dangers du plan de campagne qui s'exécutoit, sur les changemens qu'il faudroit y faire, etc. etc. etc. Il écrivit en même-temps au roi, à qui la connoissance de tous ces objets étoit exclusivement dévolue par la constitution, et lui adressa des copies de ces mêmes pièces. Cette dernière lettre eût donc été la seule que Dumouriez auroit écrite dans cette circonstance, s'il n'eût voulu que remplir son devoir; mais celle qu'il écrivit à l'assemblée étoit, par son irrégularité même, infiniment plus utile à ses vues. Ce n'étoit en effet que s'élever à la hauteur des circonstances, et anticiper un évènement très-prochain,

que

de regarder 'l'assemblée comme déjà investie. du pouvoir exécutif qu'elle tendoit évidemment à envahir. Elle sut gré à Dumouriez de son hom

(1) La lettre par laquelle le roi informoit l'assemblée! que les ministres qui avoient donné leur démission continueroient leurs fonctions jusqu'à ce que sa majesté eût trouvé à les remplacer, avoit été insérée dans tous les journaux.

mage, tout inconstitutionnel qu'il étoit; et malgré les représentations énergiques de quelques membres du côté droit, elle renvoya sa lettre, non au pouvoir exécutif, comme elle l'auroit dû, mais au comité militaire.

Les ennemis de M. de Lafayette, puissamment renforcés par leur coalition avec les partisans de Dumouriez, redoublèrent d'acharnement dans leurs poursuites; et quoique la conduite de ce général eût été pleinement justifiée par le rapport de la commission des douze, ils ne désespérérent pas de faire prononcer contre lui le décret d'accusation, demandé chaque jour à la barre de l'assemblée par les pétitions les plus insolentes. Cette farce misérable, si souvent employée par les jacobins, étoit trop connue et trop usée, pour produire seule un effet décisif: on eut donc recours, à d'autres manoeuvres. Les principaux membres du parti de la Gironde (1), s'étant trouvés un jour chez leur digne ami l'abbé Gobet, évêque constitutionnel de Paris, avec le maréchal de Luckner, le firent beaucoup parler (c'étoit après dîner), et prétendirent qu'il leur avoit avoué que M. de Lafayette lui avoit fait proposer de marcher sur Paris. L'un d'eux (Lasource) dénonça le lendemain cet aveu à l'assemblée, dans la discus

(1) Brissot, Guadet, Delmas, Gensonné, Lamarque, Lasource, Hérault de Séchelles,

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