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de l'armée et de l'infériorité relative de nos forces militaires; de là l'explication de toutes les concessions honteuses, de toutes les lâchetés diplomatiques dont l'imminente nécessité nous a fait une loi; de là, enfin, l'impossibilité motivée de sauver la Pologne et l'Italie.

Cependant le plus simple bon sens suffit pour faire justice de ces arguties. Comment, en effet, supposer qu'après les événemens de juillet, la Prusse, l'Autriche, la Russie et l'Espagne (car l'Angleterre était hors de cause), étaient assez aveugles pour vouloir attaquer la France soulevée par une immense révolution, et ayant pour avant-garde une ceinture de peuples en insurrection? Comment renouer, alors, une coalition, déjà scindée par la levée de boucliers de la Belgique, de la Pologne, de l'Italie et de quelques provinces allemandes? N'était-il pas évident qu'avant de menacer le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, la sainte-alliance eût dû attendre le résultat de quelques campagnes sur la Vistule, l'Elbe, le Rhin, le Pò et l'Ebre? Et, quel que fût l'état de notre armée, la France n'avait-elle point tout le temps nécessaire, n'avait-elle point surtout plus d'élémens qu'il ne lui en fallait, pour s'organiser formidable derrière les populations étrangères combattant, devant elle, pour une cause qui était la leur ? A-t-on oublié l'élan révolutionnaire qui, dans un mois, eût jeté aux frontières toutes les existences que les journées de juillet avaient déplacées? A-t-on oublié ces trente mille volontaires que, dans quinze jours, la seule ville de Paris avait fournis aux cadres de l'armée ?

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A-t-on oublié, enfin, les triomphes de 92, obtenus avec des moyens si inférieurs aux ressources morales et matérielles qu'offrait la situation de 1830? Aujourd'hui, comme alors, la France était un soldat; mais aujourd'hui plus qu'alors ce soldat avait pour camarade de lit et de combat, l'Europe-peuple ; et sa cause, aux yeux de tous, était une révolution pure des terreurs et des excès qui avaient dénaturé le caractère primitif de son aînée.

C'était donc, comme je l'ai déjà dit, à l'Europe à demander la paix, et à nous à savoir s'il était dans nos intérêts bien entendus, de l'accorder. Le plus habile calcul de la politique des cabinets a été de conjurer une tempête qui pouvait les bouleverser, tout en se donnant l'air de nous faire grace de la guerre ; la plus inconcevable ineptie de notre gouvernement a été de laisser revenir les rois de leur stupeur, les peuples de leurs espérances, et de réduire l'honneur de sa diplomatie à éviter un conflit dans lequel ses ennemis ne voulaient ni ne pouvaient s'engager. Enfin, que l'honneur de la France, sa renommée, sa parole envers les peuples, n'aient été comptés pour rien par la royauté de juillet, je le conçois : ce n'est point la première fois que des intérêts privés ont prévalu sur le grand intérêt de la patrie. Mais comment ne point sentir que tous les despotismes, qui vivent d'une vie commune, n'ayant point abdiqué avec Charles X, ne pouvaient point pardonner à la révolution de juillet, mais devaient attendre, pour l'attaquer, que le temps et nos discordes intestines l'eus

sent dépouillée de tout ce qu'elle avait de passionné, d'ambitieux, de populaire, de redoutable à la tyrannie!

Ce déplorable résultat, nos hommes d'état l'ont soigneusement amené; ils ont fait aux étrangers la France telle qu'ils la voulaient. La peur a dérobé l'expérience à ces hommes forts; l'égoïsme leur a caché la patrie; ils ont poussé l'avenir à l'encontre des leçons du passé. En effet, ce passé devait au moins leur rappeler la similitude de position qui existait entre la France du Directoire et la France de LouisPhilippe. A Campo-Formio et à Rastadt, le Directoire fit aussi la paix avec tout le continent, et abjura solennellement tout esprit de propagande. Qu'arrivat-il? un an après la conclusion de ces traités, la guerre générale éclata de nouveau en Europe, Après les batailles de Zurick et de Marengo, la coalition, plus sérieusement blessée, mit trois ans à se renouer; mais elle se renoua; et, alors, survint encore une guerre générale; et l'histoire dira peut-être un jour que la France combattait aussi nécessairement pour les principes de 89 à Austerlitz et à Wagram qu'à Jemmapes et à Fleurus.

La paix dont se glorifie le ministère du 13 mars, toute nouvelle dans l'histoire, est un démenti donné à l'intelligence et aux faits qui composent toute la politique européenne. D'un côté, toutes les obligations, de l'autre, aucune. Or, que peut-il sortir d'un pareil état de choses, si non, les systèmes restant les mêmes, ce qui est résulté des situations analogues? En résumé, la coalition, disjointe dans son organisa

tion, blessée dans son principe vital par la révolution de juillet, a repris ses premières positions, et la guerre contre la France n'est évidemment plus, pour nos ennemis, qu'une question de temps et d'opportunité : la puissance morale de la révolution une fois éteinte, il ne s'agit plus pour eux que d'une guerre d'échiquier qui peut-être ne leur sera point avare de trahisons nouvelles et de palmes vendues. Et si ces tristes prévisions viennent à se réaliser, quelle est la force, quelle est la prudence qui pourront garantir la direction des événemens, et assurer une planche de salut à ce trône aux pieds d'argile, qui aura si bénévolement sollicité l'orage? Ne faudra-t-il pas alors appeler les sympathies de juillet au secours du courage de nos soldats? Il le faudra, gardons-nous d'en douter, car avec la nation pour auxiliaire, un autre Waterloo ne nous coûterait qu'une bataille perdue; mais réduits à une armée pour défendre la révolution, une journée malheureuse pourrait nous coûter un empire. Mais cet élan des masses populaires, qui le réveillera? les dangers de la patrie? je le crois. Mais à côté de ces dangers, je ne vois plus qu'un pouvoir cruellement analysé, et un trône sans confiance, sans prestige et sans magie.

Je l'avoue, mon sang de patriote se révolte à la pensée des hommes de la doctrine appelant à leur secours les hommes qui se sont fait massacrer pour la liberté. Ils l'oseraient, car dix-sept. ans de caméléonage ont prouvé qu'ils osent tout. Mais le sentiment profond de désaffection et de mépris qui écla

terait contre eux dans toutes les classes de la nation, de quel aide serait-il à la monarchie des barricades? C'est une question qu'il est de l'intérêt de cette monarchie d'examiner d'avance. On promettrait de revenir à de meilleurs principes et à de plus honnêtes hommes; Louis XVIII et Bonaparte, en 1815; Charles X, en 1830, le promirent aussi : que devinrent Louis XVIII, Bonaparte et Charles X? Et cependant, Bonaparte avait pour lui la gloire; Louis XVIII et Charles X avaient pour eux huit siècles de traditions et de souvenirs. Mais Louis-Philippe, ôtez-lui la majesté populaire, il est nu. Sérieusement, quelle autorité aurait une poignée d'obscurs doctrinaires, pour maintenir l'œuvre du peuple, si le peuple se retirait de lui? De tout cet échafaudage de puissance, retranchez la révolution, et demain, vous bénéficiaires de cette révolution, vous n'aurez ni un écu, ni un soldat, ni un triomphe.

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