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blent empreintes de la plus profonde perversité. La première de ces offenses est l'homicide volontaire qui reçoit ensuite, soit de la qualité des victimes, soit des circonstances qui l'accompagnent, différentes aggravations.

DE L'HOMICIDE VOLONTAIRE.

333. Le Code s'est borné à qualifier l'homicide volontaire sans le définir : « ART. 295. L'homicide commis volontairement est qualifié meurtre. »

Mais ce texte renferme en lui-même une véritable définition. Il indique en effet que, pour qu'il y ait meurtre, il faut : 1o un fait matériel d'homicide (hominis cæds), c'est-à-dire un attentat contre la vie d'un être humain; 2o la volonté de commettre cet homicide. Ce sont là les deux éléments du crime.

334. Il faut, en premier lieu, un attentat matériel ayant pour but d'ôte la vie à un être humain. Tout acte, quelle qu'en soit la nature, ayant la puissance de donner la mort, peut entrer dans les termes de la loi, mais il faut un acte matériel, les souffrances purement morales, quelque odieuses qu'elles fussent, ne suffiraient pas. Il faut ensuite que cet acte ait la puissance de donner la mort, car on ne pourrait qualifier homicide ou du moins tentative d'homicide un coup porté avec un instrument qui ne pourrait donner la mort, de même qu'on ne pourrait qualifier tentative d'empoisonnement le fait d'administration des substances qui ne peuvent qu'altérer temporairement la santé. Enfin j'ai dit que l'attentat devait avoir été commis sur un être humain, car c'est l'homme, c'est-à-dire l'humanité entière, que la loi a voulu protéger. Il importe peu que la victime soit ou frappée d'idiotisme ou atteinte d'infirmités ou de maladies qui ne lui laissent qu'une existence incomplète et fragile; il suffit qu'elle existe pour qu'il y ait crime.

335. Le deuxième élément du meurtre est la volonté de tuer. Il importe de définir nettement cette volonté. On peut avoir la volonté de donner la mort à quelqu'un, sans avoir la pensée d'un crime, par exemple, si vous repoussez une attaque à main armée et que vous ne puissiez sauver votre vie qu'en attaquant la vie de vos agresseurs, si vous faites partie de la force armée et que vous receviez le commandement de faire feu sur l'ennemi. La volonté de tuer n'est donc pas essentiellement criminelle, elle ne le devient que lorsqu'elle est animée de la fraude, de la perfidie, du dol qui constitue le crime. Il ne suffit donc pas de rechercher si l'agent a eu la volonté de tuer, mais s'il a eu la volonté coupable, l'intention frauduleuse de commettre l'homicide; c'est la fraude qui forme toute la criminalité de la volonté ; et c'est en ce sens que le mot volontairement de l'art. 295 doit être entendu, car nous verrons tout à l'heure que le Code suppose lui-même, dans les art. 321 et suivants, que l'homicide peut dans certains cas être commis volontairement sans avoir les carac

lères d'un meurtre.

336. Cette règle va nous aider à résoudre quelques problèmes très-ardus de la législation pénale. Notre Code n'a point, comme l'avait fait l'ancienne jurisprudence, porté des peines contre le suicide; nous n'avons donc point à nous

occuper de cet acte, quel que soit le blâme qu'il puisse mériter. Mais comment qualifierez-vous l'acte de complicité de suicide? Sans doute, vous distinguerez d'abord s'il ne s'agit que de faits de provocation, d'aide donnée aux préparatifs, d'instruments ou d'armes fournis pour l'exécution, vous reconnaîtrez facilement que ces actes d'assistance échappent à la loi pénale; car, dès que le fait principal ne constitue ni crime ni délit, les actes préparatoires participent évidemment de la même nature. Mais vous hésiterez peut-être davantage si le complice n'est pas borné à préparer le suicide, s'il s'est chargé de l'accomplir lui-même, si, sur la prière d'ailleurs bien constatée de la personne qui voulait se tuer, il a consommé l'homicide. Est-ce là un meurtre dans le sens de la loi? Il est évident que c'est un meurtre, si le consentement de la victime n'a pas été libre, s'il lui a été arraché par des menaces ou par la force; il est encore évident que, dans le cas d'un double suicide, s'il a été exécuté par une seule des deux personnes vouées à la mort, cette personne, si elle a survécu, pourrait être inculpée de meurtre, car, si elle a attenté aux jours de la première personne avant d'attenter aux siens, il y aurait lieu d'examiner si elle n'avait pas consommé le crime avant d'exécuter une tentative sur elle-même. Mais écartez ces deux hypothèses; supposez une volonté de suicide bien arrêtée dans l'esprit de l'individu qui a succombé ; supposez que cet individu ait payé un domestique pour le débarrasser de la vie; supposez l'esclave Philocrate donnant la mort à son maître Caïus Gracchus sur l'ordre de cet illustre tribun, et se tuant lui-même aussitôt. Cette assistance au suicide devient-elle un acte imputable? Il est clair qu'on trouve dans cette assistance, comme l'a constaté la jurisprudence, les deux éléments du meurtre: le fait matériel de l'homicide et la volonté de tuer. Mais la question est de savoir si c'est bien là cette volonté caractéristique du crime, cette volonté qui prétend nuire en donnant la mort, cette volonté criminelle, en un mot, qui est l'élément nécessaire du meurtre? Un doute grave s'élève à cet égard. Sans doute, l'intention qui a animé l'agent est une intention coupable, car c'est un acte coupable que de servir même d'instrument à un suicide; mais là n'est pas la difficulté ; il importe peu que l'assistance soit coupable en elle-même, si elle n'est pas empreinte du degré de culpabilité nécessaire pour qu'il y ait meurtre. Ce qu'il faut, en effet, pour qu'il y ait meurtre, c'est que l'agent ait voulu commettre un meurtre, c'est qu'il ait agi avec la fraude et l'intention qui animent le meurtrier; car il ne peut y avoir crime où l'agent à été animé d'une autre intention que celle qui constitue le crime. La difficulté est ici dans l'intensité de la criminalité de cet agent; il a commis une action coupable, cela est évident; mais chaque action immorale est empreinte d'un degré différent de culpabilité. N'y a-t-il aucune différence entre celui qui commet un homicide en employant la force contre la victime, et celui qui ne fait qu'exécuter la volonté de celle-ci? Et si l'acte n'est pas le même, s'il ne respire pas la même immoralité, s'il ne signale pas de la part de l'agent le même péril pour la sécurité publique, comment le confondre dans la même incrimination, dans la même pénalité.

337. La même question se reproduit relativement à l'homicide commis dans un duel. Le duel constituait, dans notre ancienne législation, un crime spécial et était l'objet de dispositions particulières : il n'était point considéré comme

un homicide, mais comme un crime de lèse-majesté. Ce qui le caractérisait, ce n'était point l'attentat envers la personne, c'était l'offense envers le souverain, car c'était empiéter sur la souveraineté que de se faire justice soi-même. L'édit d'avril 1602 portait, en parlant des duellistes : « Nous les avons déclarés . et déclarons criminels de lèse-majesté, semblablement ceux qui appelleront pour un autre ou qui seconderont, accompagneront ou assisteront lesdits appelés; ordonnons qu'ils soient punis comme tels, selon la rigueur de nos ordonnances, sans que la peine de mort et la confiscation des biens puissent être modérées sous quelque prétexte que ce soit. » Les deux édits de Louis XIV de septembre 1651 et août 1679 portèrent au plus haut degré la sévérité des peines. Cette législation tomba à la révolution de 1789. Le Code pénal du 25 septembre 1791 est muet sur le duel; la législation spéciale, que le dernier article de ce Code a abrogée, n'a point été remplacée. Aucune disposition n'est venue depuis incriminer cet acte. Le duel en lui-même, et indépendamment de ses suites, a donc cessé d'être prévu et puni par la loi. Toute la question consiste à savoir si l'homicide et les blessures, lorsqu'ils sont le résultat d'un duel loyalement accompli, sont compris dans les dispositions du Code pénal qui punissent le meurtre et les blessures volontaires.

La première interprétation qui suivit l'application du Code pénal fut que le. duel n'était pas compris dans ses incriminations. M. Merlin avait dit : « Qu'ont produit les sanglants édits de Louis XIV contre le duel? Ils ne l'ont pas réprimé ; ils n'ont fait peut-être qu'en rendre l'usage plus fréquent : ce sont ces considérations qui ont déterminé l'Assemblée constituante, lorsqu'elle s'est occupée de la refonte des lois pénales, à ne pas comprendre le duel dans la liste des faits qualiñés crimes ou délits... Le Code pénal est muet sur le duel, et il résulte assez clairement de son silence que le duel ne doit pas être considéré comme un délit que les tribunaux puissent poursuivre. » La jurisprudence adopta complétement cette opinion: onze arrêts de la cour de cassation établirent successivement, comme un principe incontestable, que, la loi pénale étant muette, ne pouvait être appliquée à l'homicide et aux blessures qui en sont le résultat.

Cette jurisprudence a changé tout à coup : deux arrêts des 22 juin et 15 décembre 1857, confirmés ultérieurement par un grand nombre d'arrêts identi ques, déclarèrent: «Que les dispositions des art. 295 et 296 du Code pénal sont absolues et ne comportent aucune exception; que les prévenus des crimes prévus par ces articles doivent être dans tous les cas poursuivis ; que si, dans les cas prévus par les art. 327, 328 et 329, les chambres du conseil et les chambres d'accusation peuvent déclarer que l'homicide, les blessures et les coups ne constituent ni crime ni délit, parce qu'ils étaient autorisés par la légitime défense de soi-même ou d'autrui, on ne saurait admettre que l'homicide commis, que les blessures faites et les coups portés dans un combat singulier, résultat funeste d'un concert préalable entre deux individus, aient été autorisés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même, puisque, dans ce cas, le danger a été entièrement volontaire, la défense sans nécessité, et que le danger pouvait être évité sans combat ; que si aucune disposition législative n'incriminait le duel proprement dit et les circonstances qui préparent ou accompagnent cet acte homicide, aucune disposition de loi ne range ces

circonstances au nombre de celles qui rendent excusables le meurtre, les blessures et les coups; que c'est une maxime inviolable de notre droit public que nul ne peut se faire justice à soi-même; que la justice est la dette de la société et que toute justice émane du roi, au nom duquel cette dette est payée; que c'est une maxime non moins sacrée de notre droit public que toute convention contraire aux bonnes mœurs et à l'ordre public est nulle de plein droit ; que ce qui est nul ne saurait produire d'effet et ne saurait, à plus forte raison, paralyser le cours de la justice, suspendre l'action de la vindicte publique, et suppléer au silence de la loi pour excuser une action qualifiée crime par elle et condamnée par la morale et le droit naturel; qu'une convention par laquelle deux hommes prétendent transformer de leur autorité privée un crime qualifié en action indifférente ou licite, se remettre d'avance la peine portée par la loi contre le crime, s'attribuer le droit de disposer mutuellement de leur vie, et usurper ainsi doublement les droits de la société, rentre évidemment dans la classe des conventions portant atteinte à l'ordre public et aux bonnes

mœurs. »>

Cette nouvelle jurisprudence, il faut le reconnaître, a été dictée par les sentiments les plus louables: le désir de mettre un frein aux duels qui, trop souvent encore, jettent le trouble dans nos paisibles cités, la pensée de faire peser une responsabilité réelle et sérieuse sur des agents qui, quelque loyale que soit leur conduite, ne sont point à l'abri de graves reproches. Mais, pour remplir cette tâche utile, la cour de cassation n'est-elle pas sortie du domaine de l'interprétation? N'a-t-elle pas empiété sur les attributions du législateur? Est-il possible d'appliquer l'art. 295, qui punit l'homicide volontaire, à l'homicide commis dans un duel?

L'interprétation de 1837 a été principalement déterminée par les paroles suivantes prononcées en 1808 par le rapporteur de la commission du corps législatif : « Vous demandez peut-être pourquoi les auteurs du projet de loi n'ont pas désigné un attentat aux personnes trop malheureusement connu sous le nom de duel : c'est qu'il se trouve compris dans les dispositions générales qui vous sont soumises. Le projet n'a pas dû particulariser une espèce dans un genre dont il donne les caractères. Si la mort est le résultat de la défense à une irruption inopinée, à une provocation soudaine et à main armée, elle peut, suivant les circonstances et la vivacité de l'agression, être classée parmi les crimes légitimes et excusables. Si le duel a suivi immédiatement des menaces, des jactances, des injures, si les combattants ont pu être entraînés par l'emportement de la passion, s'ils ont agi dans l'ébullition de la colère, ils seront classés parmi les meurtriers; mais si les coupables ont médité, projeté, arrêté à l'avance cet étrange combat, si la raison a pu se faire entendre et s'ils ont méconnu sa voix, et, au mépris de l'autorité, cherché dans un espoir homicide la punition qu'ils ne doivent attendre que du glaive de la loi, ils seront des assassins. » Cette opinion du rapporteur de la commission a été appréciée avec une grande netteté par M. Merlin : « Tout ce qu'on peut conclure du rapport, a dit ce savant magistrat, c'est que la commission dont M. Monseignat était l'organe pensait comme lui; mais de ce qu'ils ont cru trouver dans la loi des dispositions qu'elle ne renferme pas, il ne s'ensuit nullement qu'ils aient, par leur opinion officiellement manifestée, rempli les lacunes que la loi offre réel

DES CRIMES ET DÉLITS, ETC. (No 337). lement. Il y a eu, après la présentation du projet du Code pénal au corps législatif, plusieurs conférences entre le comité de législation du conseil d'État et la commission du corps législatif, et je puis assurer, pour avoir assisté à toutes, qu'il n'a été question du duel dans aucune. Ce que la commission du corps législatif a dit du duel, elle l'a donc dit d'elle même; et ce qu'elle en a dit est précisément le contraire de ce qui avait été arrêté verbalement entre les membres du comité de législation du conseil d'État; car ils avaient bien, comme elle, pensé au duel, mais, en y pensant, ils avaient cru devoir imiter à cet égard le silence de l'Assemblée constituante. >>>

La question du duel, comme celle du suicide, est donc tout entière dans l'interprétation de la loi pénale. Il est certain que, dans un duel, nous pouvons trouver le fait matériel de l'homicide et la volonté de donner la mort : mais cela suffit il pour que cet homicide prenne le caractère d'un meurtre, pour que l'art. 295 soit applicable? En d'autres termes, la volonté de donner la mort, qui anime le duelliste, est-elle la volonté criminelle que la loi suppose et punit dans le meurtrier? Que si cette volonté est empreinte de la même perversité, il n'y a plus de question, le crime est le même dans les deux cas. Mais si la conscience place quelque intervalle entre les deux agents, s'il elle se refuse à confondre celui qui se présente loyalement à un combat et celui qui tue frauduleusement sans combat et sans lutte, celui qui s'expose au péril qu'il fait courir et celui qui tend de secrètes embûches, comment admettre que la loi les a confondus? Ce qui fait ici comme précédemment la difficulté de la question, c'est que les deux agents sont coupables; mais ils ne le sont pas au même degré et c'est en cela que réside toute l'argumentation qui repousse l'application de la loi pénale. De ce que le duelliste est coupable de rébellion à la loi, de violences graves, d'homicide même, il ne s'ensuit pas qu'il soit coupable d'un meurtre. De ce qu'il a eu dans la chaleur du combat la volonté de blesser et même de tuer son adversaire, il ne s'ensuit pas qu'il ait été animé de celte volonté perverse qui est l'élément indispensable du crime. On veut faire abstraction de la convention qui précède le duel, parce que cette convention est illicite, comme s'il s'agissait d'un contrat civil dont on voudrait faire prononcer la nullité. Il s'agit de l'appréciation d'une action, et comment faire une telle appréciation si l'on en retranche l'une de ses circonstances, l'un des faits qui la constitue? Faire abstraction de cette circonstance, c'est scinder en deux parties l'acte dont on veut évaluer la portée morale, c'est substituer une fiction à un fait. Quand il s'agit de donner suite à une convention, on comprend qu'on doit examiner si cette convention est valide ou nulle; mais quand il s'agit d'examiner si un acte est ou n'est pas punissable, comment en diviser les éléments, comment prétendre en voiler une partie ? Est-il donc permis de séparer la faute de l'excuse, l'offense du fait justificatif? Or, la convention qui précède le duel est le fait justificatif de l'homicide, car il en résulte que cet homicide n'a pas été commis avec perfidie, avec fraude, avec intention criminelle. Il reste une infraction très grave à la morale, mais il n'y a plus de crime, car il n'y a plus cette volonté coupable qui constitue un meurtre. Je dirai plus le duel, quelque déplorables que soient ses suites, ne cause point à la société la même alarme que le meurtre; on peut se défendre du duel, puisqu'il dépend de chaque citoyen de ne pas l'accepter; on ne peut se

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