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En cas que vous soyez toujours sur le même pied avec M. Le Belin, j'ose vous supplier de lui faire agréer mes respects. S'il y avait dans ce pays quelque chose pour votre service et celui de vos amis, ne m'épargnez pas.

(Inédite. De la collection de M. le comte de Vesvrotte.)

II

AU MÊME.

Angers', le 25 juin 1730.

Voulez-vous bien, monsieur, recevoir mes félicitations sur votre nouvelle dignité? L'amitié dont vous m'avez toujours honoré me fait espérer que vous agréerez toute la part que j'y prends. Je suis charmé qu'une occasion de cette sorte se soit présentée pour vous demander de vos nouvelles. Il y a quelque temps que je pensai déjà en saisir une qui ne vous était pas moins glorieuse, quoique peut-être moins utile: c'était un compliment que je voulais vous faire sur la belle ode dont vous avez enrichi le Mercure au sujet de la naissance de Mgr le Dauphin'; mais, comme j'ignorais si vous étiez à Dijon ou à Paris, je ne pus satisfaire à mon envie. Recevezles donc aujourd'hui tous deux, et soyez persuadé que je vois vos progrès de toute espèce avec le plaisir le plus sensible; heureux si, dans les grandes affaires qui vont vous occuper3, je pouvais vous dérober quelques moments où vous voudriez bien me donner de vos nouvelles et de celles des Muses. Je vous le demande, monsieur, avec instance, et vous prie de me croire avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

M. Leclerc, chez Mme Claveau la veuve.

(Inédite. De la collection de M. le comte de Vesvrotte.)

LECLERC.

III

AU MÊME.

Nantes, le 5 novembre 1730.

J'aurais eu l'honneur de vous répondre bien plus tôt, monsieur, si ma santé me l'eût permis; mais, depuis ma dernière lettre, à peine ai-je eu un moment favorable. Les fièvres de toute espèce m'ont attaqué successivement avec tant de furie et d'opiniâtreté, que je n'en suis pas encore remis. Il me semble qu'à présent je pourrais faire une ode sur leurs fureurs, tant je les ai senties. L'habitude et la grande familiarité que j'ai eues avec elles me vaudraient un Apollon,et j'écrirais par réplétion de mon sujet et de l'abondance du cœur. Vous qui les avez și bien décrites, ne les avez-vous pas aussi trop senties? Quelle drogue! Je crois que c'était celle qui précédait l'Espérance dans la boîte de Pandore; car je m'imagine que, des maux qui doivent tourmenter notre espèce, les petits sortirent les premiers. L'égratignure vint avant le coup d'épée; autrement on ne l'aurait pas sentie, et ce malheureux bahutier n'avait garde de ne nous pas débiter toute sa marchandise. Quoi qu'il en soit, je les lui ai renvoyées et m'en suis défait à force de quinquina, et quand même leur exil serait sujet à retour sans rappel, j'ai lieu d'attendre qu'il durera autant que mon voyage. Je le commençai avant-hier, et je dois aller à Bordeaux, où je ne compte être que dans quinzaine, à cause des séjours que je ferai ici, à la Rochelle et à Rochefort. J'étais déjà venu l'an passé dans cette ville elle peut passer pour une des plus peuplées du royaume; l'on y fait grand'chère, l'on y boit d'excellent vin; mais tout est excessivement cher. Paris même, en comparaison, est un lieu de bon marché; les habitants sont tous marchands, gens grossiers, si méprisés dans notre patrie, mais dont la façon de vivre me paraît la plus raisonnable.

Ils ne font point de façons de préférer un ordinaire à une pistole par tête à des habits galonnés ou à un carrosse à six chevaux, et aiment mieux l'abondance dans la bourgeoisie que la disette dans la noblesse. Qu'en pensez-vous? Pour moi, je ne peux leur donner le tort. Il y a ici bonne comédie, concert à dix pistoles par souscription; tout s'y sent de la richesse que produit le commerce, au lieu qu'à Angers, comme à Dijon, tout y est maigre, épargné. L'on y fait plus qu'on ne peut; orgueil et gueuserie y marchent ensemble, filles légitimes du mépris ridicule que l'on y a pour le négoce. Je n'avais pas mauvaise opinion de ma patrie avant que d'en être hors; mais, depuis que j'en juge par comparaison et que je suis dans le point de vue d'où l'on doit la considérer, je ne peux m'empêcher de voir les défauts du tableau, et je ne mets pas en problème si c'est la faute de mes yeux ou celle de la peinture, puisque, avant que d'être devenu connaisseur par l'expérience, ils lui étaient favorables. Appuyé par votre autorité, je conclus donc contre elle, et cela sans réserve. Si elle ne vous possédait pas, je n'y ai ni ne me soucie d'y avoir aucun commerce, et vous êtes le seul à qui je me fais gloire de conserver le respect et l'estime; vous en êtes trop digne pour que cela ne vous soit pas dû partout, à plus forte raison dans un pays où la sottise des autres relève le mérite. J'ose vous demander en revanche un peu de part dans votre souvenir, et de vos nouvelles à vos heures de loisir; je tâcherai de mériter ces faveurs par le sincère et respectueux attachement avec lequel je serai toute ma vie, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

LECLERC.

Adressez à M. Leclerc, chez milord duc de Kingston, à l'adresse de M. Alexandre Gordon, négociant à Bordeaux'. (Inédite. De la collection de M. le comte de Vesvrotte.)

IV

AU MÊME.

Bordeaux, le 22 janvier 1731.

Je n'aurais pas tant tardé, monsieur, à vous offrir tous les vœux que j'ai formés pour vous au renouvellement de l'année, si le mauvais état de ma santé m'eût permis d'avoir les mains aussi libres et aussi empressées que le cœur. Mais il a fallu malgré moi prendre patience, et retarder jusqu'à ce jour pour vous assurer que personne au monde n'a fait plus de souhaits pour tout ce qui pouvait vous être agréable et avantageux, que personne n'est plus jaloux de votre amitié que moi, et que je m'efforcerai toujours de la mériter par le retour le plus tendre et l'estime la plus parfaite. Après ces protestations, qui partent du cœur, vous pouvez juger de l'empressement avec lequel je vous les aurais témoignées, s'il m'eût été permis de le faire; mais j'ai eu le malheur de retomber, à mon arrivée dans cette ville, dans toutes sortes de maux la fièvre, devenue vrai Protée pour moi, m'attaque sous mille formes différentes, et je ne suis point encore sûr, à beaucoup près, d'avoir arrêté toutes ses métamorphoses. Je m'aperçois seulement de celle qu'elle a faite chez moi, en ne me laissant que la peau et les os, et à peine assez de forces pour les traîner; la rigueur de la saison ne contribue pas à me les rendre plus portatifs, et je n'augure bien de ma guérison qu'au printemps.

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Votre dernière lettre me fit un plaisir sensible. Je ne doute point du tout de vos bontés et de votre amitié, puisqu'au milieu d'un chaos d'affaires et d'occupations sérieuses, vous vous êtes souvenu de moi et avez bien voulu me donner une partie d'un temps si précieux.

Ce que vous me dites de la stérilité des plaisirs à Dijon ne m'étonne point. C'est souvent qu'on est réduit à passer le

carnaval sans comédie ni bal. Il y en avait une italienne, fort bonne, dans cette ville. Francisque et sa troupe1 y représentaient, avec un succès et un applaudissement infinis; mais malheureusement le feu prit, il y eut hier huit jours, au bâtiment qui servait aux représentations, et le consuma avec huit autres maisons; il fut mis par un feu d'artifice allumé sous le théâtre pour brûler don Juan dans le Festin de Pierre. Les pauvres comédiens ont perdu toutes leurs hardes; à peine Francisque put-il se sauver en robe de chambre. Pour surcroît de malheur, on voulait les poursuivre et leur faire payer, par la prison ou autrement, le dommage du feu; mais tant de gens se sont intéressés pour eux, on leur a fait tant de présents par les quêtes, qu'on dit qu'ils seront bientôt en état de représenter encore dans la salle du concert, qu'on leur donnera pour rien. C'est là l'action la plus sage que j'aie vu faire en ce pays, où la moitié des gens sont grossiers, et l'autre petits-maîtres, mais petits-maîtres de cent cinquante lieues de Paris, c'est-à-dire bien manqués. Vous ririez de les voir, avec des talons rouges et sans épée, marcher dans les rues, où la boue couvre toujours les pavés de deux ou trois pouces, sur la pointe de leurs pieds, et de là, à l'aide d'un décrotteur, passer sur un théâtre où jamais ils ne sont que comtes ou marquis, quand même ils ne posséderaient qu'un champ ou une métairie, et qu'ils ne seraient que chevaliers d'industrie. Comme il y en a un grand nombre qui s'empressent auprès des étrangers, nous n'avons pas manqué d'en être assaillis; mais heureusement ils n'ont pas assez d'esprit pour faire des dupes. Le jeu est ici la seule occupation, le seul plaisir de tous ces gens; on le joue gros et, en ce temps de carnaval, sous le masque. Le jeu ordinaire est les trois dés; mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est que chaque masque apporte ses dés et son cornet. Il faut être bien bête pour donner dans un pareil panneau. Nous comptons partir de cette ville dans huit ou dix jours; supposé que vous me fassiez l'honneur de m'écrire, ne laissez pas

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