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constitue son titre; il faut donc qu'il soit de bonne foi lors de chaque perception. L'article 550 consacre ce principe en disant que le possesseur cesse d'être de bonne foi dès l'instant où il connaît les vices qui infectent son titre; donc dès cet instant il cesse de gagner les fruits (1). Il en est autrement en matière d'usucapion, il suffit que la bonne foi existe au moment de l'acquisition (art. 2269). Nous dirons, au titre de la Prescription, les motifs que l'on donne pour justifier cette disposition, empruntée au droit romain, mais contraire au droit canonique. A notre avis, le principe du droit canonique, que le code suit pour l'acquisition des fruits, est le vrai principe. Pour le moment, nous nous bornons à constater la conséquence passablement absurde qui découle des articles 550 et 2269; c'est qu'un seul et même possesseur sera tout ensemble de bonne foi et de mauvaise foi si, pendant le cours de sa possession, il apprend les vices de son titre, il n'acquerra plus 1 s fruits comme possesseur de mauvaise foi, et il con inuera à prescire comme possesseur de bonne toi. On dira qu'il Sagit de la bonne foi legale; sans doute, mais de meme qu'il n'y a qu'une bonne foi d'après la morale, il ne devrait y avoir qu'une bonne foi d'apres la lor.

221. Toujours est-il qu'il faut tenir compte de la différence que la loi elle-même établit entre la bonne foi en matière de fruits et la bo ne foi en matière de prescription. S'agit-il de prescription, il suffit que le possesseur qui a commencé à prescrire ait été de bonne foi lors de l'acquisition; son heritier peut continuer la prescription quoiqu'il soit de mauvaise foi; par contre, si l'auteur était de mauvaise foi, l'héritier ne peut pas prescrire. Pothier applique le même principe à l'acquisition des fruits, et décide que l'héritier est de mauvaise foi par cela seul que le défunt l'etait; car, dit-il, sa possession n'est qu'une continuation de la possession du défunt et en a tous les vices. Cette opinion ne peut plus être suivie; et même, d'après les principes du droit romain que Pothier professait, elle était

(1) Duranton, t. IV, no 355; Demolombe, t. IX, no 64; Aubry et Rau, t. II, note 22.

inadmissible. Quand il s'agit de l'acquisition des fruits, on considère chaque perception, c'est donc au moment de la perception que le possesseur doit être de bonne foi; si l'héritier connaît le vice de son titre, il n'acquerra pas les fruits, mais aussi, s'il l'ignore, il doit les acquérir (1). On fait une objection qui, en apparence, est très-forte. Le possesseur de mauvaise foi, dit-on, est obligé, envers le véritable propriétaire, de l'indemniser de tout le dommage qui résulte pour lui de son indue possession; or, l'héritier est tenu de toutes les dettes de la succession, il est donc tenu d'indemniser le propriétaire de la perte des fruits qu'il éprouve; de sorte que si l'héritier les gagne comme possesseur de bonne foi, il doit les restituer comme héritier. On répond, et la réponse est péremptoire, que le possesseur de mauvaise foi est tenu de rendre la chose avec les produits au propriétaire qui la revendique. Ce sont les termes de l'article 549. S'il meurt avant que l'action en revendication soit intentée, à quoi sera-t-il tenu? A restituer les fruits qu'à ce moment il a perçus et ceux qu'il aurait pu percevoir. C'est cette obligation-là qui passe à ses héritiers. Mais il serait contradictoire de soumettre ceux-ci à restituer des fruits à raison de la mauvaise foi de leur auteur, alors qu'eux les gagnent à raison de leur bonne foi (2).

La cour de cassation s'est prononcée en faveur de cette opinion; comme le dit très-bien la cour d'Orléans, à laquelle l'affaire a été renvoyée après l'arrêt de cassation, l'acquisition des fruits est une faveur que la loi attache au fait de la possession, lorsque le possesseur ignore les vices du titre en vertu duquel il possède; c'est l'équité qui l'emporte sur le droit; tandis que si l'on se prononçait contre le possesseur, on violerait l'équité au profit du droit du proprietaire, ce qui est en contradiction avec le principe de la loi (3).

(1) Ducaurroy, Bonnier et Roustain, t. II, p. 63, no 101; Pothier, Du domaine de propriété, nos 332, 336.

(2) Aubry et Rau et les auteurs qu'ils citent, t. II, p. 273 et note 22. En sens contraire, Demolombe, t. IX, p. 552, no 611; Proudhon, Du domaine de propriété, no 551.

(3) Arrêt de cassation du 24 mai 1848 (Dalloz, 1848, 1, 201) et, sur renvoi,

222. Puisque la bonne foi, lors de la perception des fruits, est une condition essentielle pour que le possesseur gagne les fruits, il importe de déterminer le moment précis où la bonne foi cesse. En droit romain, la question était controversée; on trouve dans le Digeste des décisions en sens contraire. Pothier essaye de les concilier, et décide que le possesseur cesse d'être de bonne foi du moment qu'il a connaissance des vices qui entachent son titre, alors même qu'il n'y aurait aucune demande en justice. L'article 550 consacre cette doctrine (1). Elle est fondée sur le principe même qui sert de base à l'acquisition des fruits. La bonne foi résulte de l'ignorance où est le possesseur; l'ignorance cessant, il n'y a plus de raison pour qu'il gagne les fruits. Il ne faut pas d'interpellation judiciaire; c'est par les circonstances que l'on décidera si la bonne foi a cessé. Cela a été dit formellement au conseil d'Etat (2).

Autre est la question de savoir si la demande formée par le propriétaire contre le possesseur constitue celui-ci de mauvaise foi. On répond d'ordinaire affirmativement (3). Il est certain que le possesseur, alors même qu'il aurait été de bonne foi jusqu'au moment de la demande, devra restituer les fruits à partir de la demande. Mais est-ce parce qu'il est présumé de mauvaise foi? Il n'y a pas de présomption pareille dans la loi; et le législateur aurait eu tort de l'établir, puisque, malgré la demande intentée contre lui, il se peut que le possesseur conserve la conviction entière de son droit et par conséquent la bonne foi. Pourquoi donc le possesseur doit-il restituer les fruits qu'il perçoit après la demande? Ce n'est pas en qualité de possesseur, c'est comme défendeur qu'il les doit restituer, par application du principe que tout jugement rétroagit au

arrêt d'Orléans du 11 janvier 1849 (Dalloz, 1849, 2, 172). Il y a un arrêt en sens contraire de Caen du 25 juillet 1826 (Dalloz, au mot Propriété, n° 348, 2°).

(1) Pothier, De la propriété, nos 340-342. Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Propriété, no 350. Il faut ajouter les arrêts de Liége du 22 janvier 1835 (Pasicrisie, 1835, 2, 31) et de Bruxelles du 25 janvier 1837 (Pasicrisie, 1837, 2, 153). 65).

(2) Séance du conseil d'Etat du 27 vendém. an XII, no 4 (Locré, t. IV, p. (3) Arrêt précité de Bruxelles du 25 janvier 1837, et les arrêts cités par Aubry et Rau, t. II, p. 273, note 24. Duranton, t. IV, no 62.

jour de la demande; le demandeur doit obtenir dès ce jour tout ce qu'il aurait obtenu si le jugement avait été rendu immédiatement, les lenteurs de la justice ne devant pas lui nuire (1).

223. Il suit de là que le possesseur doit restituer les fruits à partir de la demande, alors qu'il a obtenu gain de cause en première instance et qu'il succombe en appel. S'il ne devait les fruits, à partir de la demande, qu'à raison de sa mauvaise foi, comme on le dit, on pourrait contester cette décision, car le possesseur qui gagne son procès doit être confirmé dans sa bonne foi. Mais la question n'est pas une question de bonne ou de mauvaise foi; il faut appliquer le principe de la litiscontestation que nous venons de rappeler, et à ce point de vue, la réponse n'est pas douteuse. Il en serait de même si le possesseur obtenait gain de cause en appel, mais que l'arrêt fût cassé, et qu'après cassation la cour à laquelle l'affaire est renvoyée le condamiât au délaissement: certes celui qui gagne dans les deux instances sera le plus souvent de bonne foi, mais sa bonne ou sa mauvaise foi sont indifférentes : quelles que soient les péripéties du procès, c'est celui qui l'emporte en définitive qui doit obtenir tout ce qu'il aurait obtenu dès la litiscontestation, puisque la dernière décision remonte à ce jour (2).

Il s'est présenté une question plus douteuse. Le débat s'engage d'abord au possessoire, le possesseur y obtient gain de cause. Puis le propriétaire agit au pétitoire, et là le possesseur succombe. La cour, dans l'espèce, le condamna à restituer les fruits à partir du jugement rendu au possessoire, par la raison que le jugement ne maintenait le possesseur que provisoirement, et l'avertissait par conséquent qu'il ne jouissait qu'à titre précaire. Cette décision fut cassée, et avec raison; les jugements rendus au possessoire sont definitifs quant à la possession et, en général, loin d'altérer la bonne foi du possesseur, ils doivent la

(1) Aubry et Rau, t. II, p. 273 et notes 23, 24, et les autorités qui y sont citées.

(2) Aubry et Rau, t. II, p. 274 et note 25. Demolombe, t. IX, p. 580, n° 632.

confirmer. Nous disons en général, car il se peut que le demandeur ait produit devant le juge de paix des titres qui font connaître au possesseur les vices de sa possession: ce sera donc une question de fait à décider par le juge saisi du pétitoire (1).

224. Que faut-il décider si le demandeur se désiste ou si l'instance est périmée? Si l'on s'en tenait aux principes qui régissent la péremption d'instance et le désistement, on pourrait croire que la demande étant considérée comme non avenue, le possesseur ne doit pas restituer les fruits; et en effet, il ne devra pas les restituer en vertu de la litiscontestation, puisqu'il n'intervient pas de jugement. Mais on suppose que l'instance est reprise ensuite, le désistement n'ayant porté que sur la procédure, et, en définitive, le possesseur est évincé. Devra-t-il les fruits à partir de la première demande? Ce sera une question de fait. Il est possible que les titres produits par le propriétaire donnent connaissance au possesseur des vices de son titre; il se peut aussi que sa bonne foi ait continué. Le juge décidera d'après les circonstances de la cause (2).

No 4. DE LA PREUVE DE LA BONNE FOI.

225. D'après les principes généraux qui régissent la preuve, ce serait au possesseur à prouver sa bonne foi. En effet, le propriétaire demandeur ne doit prouver que son droit de propriété; si ce droit est reconnu, par cela même les fruits lui appartiennent en vertu de la règle générale posée par l'article 547. Le possesseur qui réclame les fruits devient demandeur de ce chef, et d'après la rigueur des principes, il devrait prouver le fondement de sa demande, c'est-à-dire sa bonne foi. Cependant il est admis que le possesseur ne doit pas prouver sa bonne foi, parce que, aux termes de l'article 2268, « la bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi

(1) Arrêt de cassation du 5 juillet 1826 (Dalloz, au mot Action possessoire, no 38).

(2) Pothier, De la propriété, no 342; Aubry et Rau, t. II, p. 274 et note 27; Demolombe, t. IX, p. 583, no 636.

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