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thièvre, le cadavre et la tête de la princesse de Lamballe eurent à divertir encore une populace immonde; quant à son cœur, le hideux cannibale qui s'en était fait le maître se rendit, vers trois heures, chez le marchand de vin en face de la porte du Temple, où, trouvant un cuisinier moins scrupuleux que Meunier, il le fit cuire et le dévora avec avidité, en compagnie d'un camarade qu'il avait convié à ce festin. Maton de la Varenne, qu'on ne doit pas lire sans précaution, prétend que ces deux misérables s'appelaient Fenot et Petit-Mamin 1; les renseignements que nous avons recueillis sur Lebègue ne nous permettent guère de douter qu'il n'ait été l'un d'eux. Mais les noms de tous les deux eussent-ils échappé à l'exécration du monde, ils n'auront point échappé eux-mêmes à la justice de Dieu 2.

Vers huit heures, tout se calmait aux environs du Temple, Cléry s'informait des événements de la journée, et le municipal qui le renseignait lui réclamait quarante-cinq sous qu'il avait déboursés pour l'achat du ruban aux trois couleurs 3.

Cléry trouva l'occasion en déshabillant le Roi de lui rapporter les détails qu'il venait d'apprendre. Louis lui demanda quels étaient ceux des municipaux qui, au dehors, avaient montré plus de fermeté pour empêcher le peuple d'envahir le Temple. Cléry lui cita Danjou, qui avait harangué la foule. Ce municipal se retrouvant de service à la tour quatre mois après, le Roi le remercia. Quant au commissaire qui s'était opposé à ce que la famille royale regardât par la fenêtre le spectacle abominable qui était venu la chercher, Louis XVI n'avait pas

1 Histoire des événements qui ont eu lieu en France, de juin à septembre 1792, in-8°. Paris, 1806, page 397.

2 Après la terreur, Lebègue s'était établi, comme boucher, à Brie-ComteRobert, où il était regardé comme un des principaux instruments des massacres de septembre. Et bien que, le 3 février 1808, un jugement de police, rendu par le tribunal de cette petite ville au proflt de Lebègue, fît défense de le qualifier à l'avenir de septembriseur, il n'en resta pas moins dans le pays l'objet de l'aversion publique.

3 Mémoire de dépenses faites par Cléry, pour le service du Roi, pendant le mois de septembre 1792.

attendu jusqu'au soir pour connaître son nom; il le lui avait demandé lui-même, et, dans les derniers jours de sa vie, il exprimait encore à M. de Malesherbes combien il avait été touché de rencontrer une compassion au milieu de cette scène d'horreur. « Ne pouvant mieux faire, ajouta-t-il, je l'ai prié de me dire son nom et son adresse. - L'avez-vous aussi, répliqua Malesherbes, demandé à celui qui voulait vous entraîner à la fenêtre? Oh! celui-là, répondit Louis XVI, je n'avais pas besoin de le connaître. »

Terminons, par ce mot qui honore l'humanité, une journée qui fait rougir l'histoire.

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Les commissaires du Temple.
Quelques consolations.

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Simon. Les guichetiers de la tour. Entretien de Chaumette et de Hue. Avénement de la Convention. Abolition de la royauté. Sérénité de Louis XVI. L'armoire de fer découverte. Mot du Dauphin. On enlève à la famille royale tout moyen d'écrire. Louis XVI transféré dans la grande tour.

Marchand et Chrétien.

insigues.

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Cléry devient suspect.

Turgy.

On enlève au Roi ses

On accorde des habits au Dauphin. Arrestation de Cléry. Sa réintégration au Temple. La Reine, ses enfants et sa sœur vont habiter la grande tour. Le Dauphin séparé d'elle et remis à son père. Paroles de cet enfaut au maçon Mercereau.

Les massacres continuaient d'une manière systématique dans les prisons de Paris (mardi 4 septembre). La populace, qui s'était ruée au meurtre, n'avait point encore étanché la soif de sang dont elle était enflammée. Le calme rétabli dans le quartier du Temple et le silence des municipaux cachèrent à la famille royale une partie des horreurs de ces fatales journées ; mais ce qu'elle savait lui donnait l'idée ou le soupçon de ce qu'elle ne savait pas. Tout entière encore aux souvenirs déchirants de la veille, elle reprit la vie uniforme qu'elle avait adoptée dès le premier jour de sa captivité. Cléry remplaçait Hue; comme lui, valet de chambre du Roi et du Dauphin, pourvoyeur et intermédiaire de toutes les nouvelles, qu'elles vinssent d'un confident secret ou d'un crieur public, il était de plus le coiffeur de toute la famille. Après avoir fait la toilette du Roi et du jeune Prince, il arrangeait les cheveux de la Reine, et allait ensuite, pour le même service, dans la chambre de Madame Royale et de Madame Élisabeth. Ce moment de la toilette était un de ceux où il pouvait instruire les Princesses de ce qu'il avait appris. Un signe indiquait qu'il avait quelque chose à leur dire, et l'une

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d'elles causant avec le municipal, détournait son attention. Tison et sa femme, tout à fait en dehors des choses intimes, ne secondaient Cléry que dans le service des chambres ils avaient le loisir de se livrer au rôle plus important qui leur avait été confié, celui de tout épier et de tout entendre, et surtout de voir ce qu'on voulait cacher. Ils étaient les yeux et les oreilles de la révolution dans le Temple.

Pour la première fois (et ce fut aussi la dernière), le Roi toucha, le 4 septembre, un léger à-compte sur les cinq cent mille livres que l'Assemblée nationale avait votées pour ses dépenses annuelles. Le secrétaire de Pétion lui apporta une somme de deux mille livres en assignats, dont il lui demanda un reçu. Tourmenté du souvenir de la dette qu'il avait contractée envers le plus fidèle et le plus affectueux serviteur, le Roi recommanda au messager de Pétion de remettre à M. Hue la somme de cinq cent vingt-six livres qu'il avait avancée pour son service; le secrétaire et les commissaires le promirent. Louis XVI dicta alors en ces termes le reçu, qui fut écrit sur papier timbré et qu'il signa de sa main :

« Le Roi reconnaît avoir reçu de M. Pétion la somme de deux mille cinq cent vingt-six livres, y compris les cinq cent vingt-six livres que MM. les commissaires de la municipalité se sont chargés de remettre à M. Hue, qui les avait avancées pour le service du Roi. » LOUIS.

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Plusieurs journaux publièrent à cette époque que le Roi, dans sa détresse, avait accepté un emprunt du maire de Paris. Le fait était exact: on en trouve la preuve dans un document qui établit que plus tard Pétion se fit rembourser de cette somme sur les cinq cent mille livres allouées au Roi par le décret du 12 août 1792 1.

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Voici ce document nous avons laissé à la date du 4, indiquée par Cléry, le fait auquel il se rapporte.

« Je prie MM. les commissaires de la trésorerie nationale de faire payer au citoyen Pétion la somme de 2,526 livres, savoir: 2,000 livres pour se rem

L'avance faite par le maire de Paris à la royauté dépouillée arrivait à propos le Prince Royal et sa sœur n'avaient plus une feuille de papier pour leurs leçons; la Reine devait à Bréguet une montre à répétition, que dès le lendemain de son arrivée au Temple elle lui avait fait demander par l'entremise de M. Coutelle, officier municipal. Cette dette pesait à MarieAntoinette le Roi voulut que dès le jour même le célèbre horloger fût payé. Plusieurs jouets d'enfant étaient depuis quelque temps promis au Prince Royal pour récompense de son travail, il les attendait impatiemment : Louis XVI put faire enfin pour l'héritier du royaume de France ce que le plus mince 'bourgeois de Paris peut faire pour son enfant. Le jeudi, 6 septembre, le Dauphin vit arriver de chez Vangeois, marchand tabletier au Singe vert un solitaire, un bilboquet, un beau damier et deux baguenaudiers.

Le même jour, Madame Élisabeth rassembla quelques petits effets qui avaient appartenu à madame de Lamballe. Laissés à la tour par cette infortunée princesse lorsqu'elle en avait été enlevée, ces objets étaient un sujet continuel de larmes pour la Reine et pour sa fille. Madame Élisabeth les remit à Cléry, et celui-ci, d'après ses ordres, en fit un paquet qu'il envoya avec une lettre à la première femme de chambre de madame de Lamballe, Il apprit plus tard que ni lettre ni paquet n'étaient parvenus à l'adresse indiquée.

Nous avons, d'après les souvenirs de Hue, enregistré quelques faits relatifs aux municipaux choisis pour inspecter le Temple; plusieurs traits empruntés au journal de Cléry achè

bourser de pareille somme qu'il a avancée au ci-devant Roi, et 526 livres pour remettre entre les mains du sieur Hue, si cette somme lui appartient, ou dans la caisse de la municipalité, si elle en a fait l'avance; le tout, suivant la reconnaissance du 3 septembre 1792 signée Louis, visée par les officiers municipaux de service au Temple, et restée annexée à l'arrêté du conseil général de la Commune du 5 de ce mois, déposé dans mes bureaux; laquelle somme de 2,526 livres sera comprise dans la distribution du 26 novembre au 1er décembre prochain, et l'ordonnance adressée incessamment à la trésorerie nationale.

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