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puisque ce n'était pas nécessaire pour atteindre le but poursuivi, et qui a entendu réserver, le cas échéant, la liberté pour le Législatif d'étendre la compétence de l'Exécutif? Peut-être aussi cette rédaction présente-t-elle un avantage : dire que le règlement est un acte législatif matériel et admettre qu'un tribunal peut contrôler la régularité de cet acte, n'est-ce pas marcher vers le contrôle de la constitutionnalité de l'acte législatif formel?

Ces considérations cependant ne sont pas décisives. S'il n'y a pas contradiction entre l'affirmation du caractère législatif de l'acte et la recevabilité du recours qui ne dépend que de la qualité de l'auteur, du moins cette conception laisse-t-elle la porte ouverte aux dangers signalés de l'abdication du Législatif. Elle n'est même pas indispensable à l'extension du pouvoir réglementaire dans l'hypothèse où la loi, ne fixant pas tous les principes de la matière, invite le Président à rendre un règlement d'administration publique. Nous avons vu en effet qu'il n'y avait pas de distinction absolue entre les matières législatives et les matières réglementaires, hormis certaines mesures réservées à la loi. Le Parlement peut renoncer à légiférer sur des rapports entre individus et inviter le chef de l'État à les réglementer par des mesures générales de police. Il n'est pas nécessaire pour maintenir cette pratique de faire appel à l'idée de délégation puisque le Président ne pourra jamais dans son règlement porter une atteinte grave à des droits individuels, à la liberté, à la propriété, à la sûreté individuelle par l'établissement de peines, d'impôts, de servitudes ou de juridictions extraordinaires.

D'autre part, il y a loin du contrôle des règlements à celui de la loi dans une théorie formelle des recours, un abime sépare l'examen de l'acte d'un agent administratif subordonné au Parlement de celui d'une loi votée par les Chambres.

Quoi qu'il en soit, un résultat positif est atteint dès aujourd'hui. Il n'y a plus désormais de raison pour que le recours pour excès de pouvoir ne s'étende pas à d'autres règlements rendus également sur une invitation du Parlement, invitation non plus spéciale, mais générale et permanente, à savoir les décrets-lois relatifs aux colonies. Le sénatus-consulte du 3 mai 1854 donne compétence au chef de l'État pour légiférer dans les nouvelles colonies. Ce sénatus-consulte a perdu sa force constitutionnelle depuis 1870. Mais, suivant une théorie connue, il a conservé sous le nouveau régime une valeur NOVEMBRE 1909

REVUE D'ADMIN. TOME XCVI.

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législative le Conseil d'État devra donc considérer l'article 18 de ce sénatus-consulte comme conférant au gouvernement une délégation législative permanente. Mais comme l'auteur du décret colonial demeure une autorité administrative, il n'y a, à raison de la nature de l'acte, pas plus de fin de non-recevoir contre les règlements coloniaux que contre les règlements d'administration publique (1). Si le Parlement a décidé qu'une loi formelle s'appliquerait à la colonie, le président de la République, autorité subordonnée, ne peut édicter dans un décret une disposition contraire à celle de la loi formelle les sanctions de cette prohibition, ce sont non seulement l'exception d'illégalité, mais encore le recours pour excès de pouvoir. La jurisprudence admet l'exception d'illégalité; elle l'a même consasacrée lorsque le sénatus-consulte avait un caractère constitutionnel le Conseil d'État, par un arrêt du 28 février 1866, a jugé que le décret du 2 avril 1854, portant que les contestations sur le partage des biens devaient être portées au conseil de préfecture était illégal comme édicté en violation de l'article 13 de la loi du 16 juin 1851 qui, pour ces actions, donne compétence au tribunal civil (2). La Cour de cassation, depuis que le sénatus-consulte n'a plus que force. législative, a reçu, bien que rejeté au fond, l'exception d'illégalité dirigée contre les décrets des 27 mars et 28 mai 1902 qui ont organisé en Algérie une nouvelle juridiction répressive pour les indigènes et qu'on prétendait contraires à la loi organique du 30 août 1883 sur la magistrature, loi appliquée à l'Algérie (3).

Le Conseil d'État, rejetant sa jurisprudence antérieure (4), devra donc déclarer recevable le recours pour excès de pouvoir contre les règlements coloniaux qui, à ses yeux, n'ont pas une nature autre que celle des règlements d'administration publique.

(A suivre.)

Henry NÉZARD,
Professeur agrégé de droit public

à l'université de Caen.

(1) Cf. Michoud, sous Alger, 5 mars 1894, SIR. 96, 2, 89.

(2) C. d'Ét. 28 févr. 1866, Hachette, SIR. 66, 3, 371. Cf. C. d'Ét. 28 mai 1868, Menouillard, DALL. 71, 3, 87, et SIR. 69, 2, 158.

(3) Cass. 28 août 1902, SIR. 03, 1, 489 et note Roux; 11 sept. et 31 oct. 1902, SIR. 03, 1, 490; 15 nov. 1902 et 5 févr. 1903, SIR. 03, 1, 491.

(4) C. d'Ét. 16 nov. 1394, Conseil général de la Nouvelle-Calédonie, LEBON, p. 593.

DES DÉLAISSÉS ET DES INCORPORÉS

EN MATIÈRE DE CHEMIN DE FER

AU POINT DE VUE DE LA COMPÉTENCE

Il importe de distinguer, au point de vue de la compétence, le cas où une voie ferrée est déplacée et celui où elle emprunte, pour son établissement, le sol d'une route départementale ou communale.

*

En cas de déplacement d'une voie ferrée, si les parties de l'ancienne route restées sans emploi, les délaissés, comme on les appelle, font l'objet d'un litige entre l'État et la compagnie de chemin de fer, l'autorité administrative doit être déclarée compétente à l'exclusion de l'autorité judiciaire. Car la question qui se pose dépend uniquement de l'interprétation de la concession de travaux publics, et, par suite, il y a lieu d'appliquer la règle spéciale de compétence édictée par l'article 4 de la loi du 28 pluviose an VIII (1).

(1) Voir Cass., 24 août 1870, Compagnie de chemin de fer du Midi, préfet de la Gironde, DALL., 1871, I, 161, et la note; 1er février 1871, Compagnie de chemin de fer du Midi, préfet de Lot-et-Garonne, DALL., 1872, 1, 69; C. d'Ét., 26 janvier 1870, Compagnie de chemin de fer P.-L.-M., Recueil des arrêts du Conseil d'Etat, 1870, p. 37; 16 mai 1872, ministre des finances, Compagnie de chemin de fer de l'Est, Recueil, etc., 1872, p. 314; 13 février 1903, Compagnie de Paris à Orléans, Recueil, etc., 1903, p. 143; Conseil de préfecture de la Seine, 14 juillet 1870, Compagnie de chemin de fer du Nord, l'État, DALL., 1872, 3, 34; en doctrine, voir DALLOZ, Code des lois politiques et administratives, III, vo Voirie, no 11042; FUZIERHERMAN, Répertoire général alphabétique du Droit français, X, vo Chemin de fer. no 6175; FÉRAUD-GIRAUD, Code de la séparation des pouvoirs, I, p. 86.

Toutefois, pour que le Conseil de préfecture puisse en connaitre, il faut que la difficulté s'élève entre l'État et la compagnie de chemin de fer et qu'elle ne puisse être tranchée que par interprétation ou application du cahier des charges de la concession. La règle de compétence de l'article 4 de la loi de pluviôse an VIII est, en effet, exceptionnelle; elle ne peut être étendue au delà de ses termes. Par suite, l'autorité judiciaire serait seule compétente si la difficulté se produisait entre le concessionnaire du travail public et un tiers ou si, s'élevant entre l'État et le concessionnaire, elle devait être résolue uniquement en recourant aux clauses d'un contrat assujetti aux règles du droit civil. C'est là une conséquence des principes. généraux. Il importerait peu, à cet égard, que le contrat fût ou non passé dans la forme administrative, car celle-ci, d'après une doctrine et une jurisprudence constantes, ne saurait modifier la nature de l'acte intervenu.

Lorsqu'une voie ferrée emprunte pour son établissement le sol d'une route départementale ou communale, il arrive fréquemment que certaines parties de l'ancienne route restent sans emploi. Si on discute sur le point de savoir à qui appartiennent ces délaissés, l'autorité judiciaire est seule compétente, car il ne s'agit ici que d'une question de propriété privée. En effet, la décision du ministre des travaux publics, qui a autorisé le concessionnaire de chemin de fer à emprunter, en vue de l'établissement de la voie ferrée, une partie de l'ancienne route, a, par là même, opéré le déclassement de cette partie et la mise en dehors du domaine public départemental ou communal. D'autre part, cette partie, n'ayant pas été incorporée à la voie ferrée, n'a pu entrer dans le domaine public de l'État. Elle est donc la propriété soit du concessionnaire de chemin de fer, soit du propriétaire de l'ancienne route. Et, comme aucun acte administratif n'est en jeu, il n'y a aucun motif d'écarter la compétence judiciaire (1).

La décision ministérielle, qui prononce la déviation d'une portion de route départementale ou communale, en même temps qu'elle

(1) Voir Cass., 23 févr. 1887, préfet de la Loire, Compagnie de chemin de fer P.-L.-M., DALL., 1887, 1, 181; FÉRAUD-GIRAUD, déjà cité, I, p. 85.

opère le déclassement des parcelles délaissées, incorpore à la voie. ferrée la partie déviée qui a été utilisée par la compagnie de chemin de fer. Le département ou la commune n'a plus, désormais, aucun droit sur cette partie. Celle-ci est définitivement sortie du domaine public départemental ou communal pour entrer dans celui de la grande voirie. Par suite, lorsqu'on discute sur la propriété des incorporés, l'autorité administrative doit être déclarée compétente, à l'exclusion des tribunaux ordinaires, car il s'agit d'une question de domanialité publique et non d'une question de propriété privée (1).

Au cas où une voie ferrée emprunte pour son établissement le sol d'une route, il se présente une autre difficulté dans l'examen de laquelle nous croyons devoir entrer. On se demande si une indemnité est due au département ou à la commune, à raison des modifications opérées, et quelle est l'autorité compétente.

D'après la jurisprudence du Conseil d'État (2), lorsque les modifications d'une route départementale ou communale, ordonnées par le ministre des travaux publics, ont été exécutées par la compagnie de chemin de fer conformément aux décisions ministérielles, le département ou la commune ne peut prétendre à aucune indemnité, soit à raison de l'allongement de parcours, soit à raison des déclivités ou des courbes du nouveau tronçon. Car les voies publiques, établies dans l'intérêt général, doivent pouvoir être modifiées en vue de cet intérêt par l'autorité compétente sans que le département ni la commune puissent faire obstacle à ces modifications, directement ou indirectement au moyen d'une demande d'indemnité. Mais il en serait autrement si la déviation avait été irrégulièrement exécutée, s'il y avait défaut de conformité entre la disposition ministérielle imposant certaines prescriptions et l'exécution des travaux par la compagnie de chemin de fer. Il y aurait lieu, dans ce

(1) Voir BRÉMOND, Traité de la compétence administrative, no 1043. (2) Voir C. d'Ét., 1er sept. 1858, Compagnie de chemin de fer du Nord, Recueil, etc., 1858, p. 622; 8 février 1864, commune d'Arnouville, Recueil, etc., 1864, p. 91; 14 août 1865, Compagnie de chemin de fer P.-L.-M., Recueil, etc., 1865, p. 803; 23 février 1870, Compagnie de chemin de fer d'Orléans, Recueil, etc., 1870, p. 158; 20 mars 1874, Compagnie de chemin de fer P.-L.-M., Recueil, etc., 1874, p. 285; 14 décembre 1877, Compagnie de chemin de fer P.-L.-M., Recueil, etc., 1877, p. 998; 26 novembre 1880, Compagnie de chemin de fer d'Orléans, Recueil, etc.. 1880, p. 944; 27 mai 1892, ministre des travaux publics, préfet de la Charente-Inférieure, Recueil, etc., 1892, p. 508.

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