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expressions engageant ces puissances à se rendre les arbitres des destinées de l'Europe, en garantissant les possessions territoriales de l'Autriche. »>

Les cours de Paris et de Londres n'ayant pas adhéré aux arrangements communiqués par le comte Buol tant à M. Drouyn de Lhuys qu'à lord John Russell, le projet du traité de garantie joint auxdits arrangements se trouva naturellement alors écarté.

Il fut néanmoins repris lorsqu'il s'est agi de préciser et d'arrêter tout ce qui, directement ou indirectement, aurait trait aux négociations de paix, pour en dresser le memorandum du 14 novembre, parafé à Vienne par le comte Buol et le baron de Bourqueney.

Ce document, qui par sa nature toute confidentielle n'est point de nature à être livré à la publicité, établit non-seulement en principe que lors de la conclusion de la paix définitive il sera conclu un traité de garantie stipulant le casus belli pour toute violation de celui de paix, mais il formule aussi d'avance la teneur de ce traité de garantie, de sorte que celui du 15 avril 1856 n'est au fond que la reproduction textuelle de la partie du memorandum y relative.

Il est essentiel d'avoir bien présente à l'esprit cette dernière circonstance, laquelle prouve d'une manière incontestable que le traité de garantie, ayant été arrêté dès le 14 septembre 1855, d'un commun accord entre les alliés du 2 décembre, n'a pas été et n'a pas pu être provoqué par des incidents survenus, soit pendant la durée du congrès, soit immédiatement après la con

clusion de la paix. Cette même circonstance, qui fait remonter l'origine du traité de garantie au memorandum du 14 novembre, explique au surplus pourquoi n'y figurent comme parties contractantes que les trois puissances, dont deux, l'Autriche et la France, sont intervenues officiellement, et la troisième, l'Angleterre, officieusement au memorandum précité.

Le témoignage de lord Palmerston, dont nous avons cité les paroles, nous autorise à revendiquer pour l'Autriche la première idée du traité de garantie. Quel était le but qui la guidait?

Rapportons d'abord les explications que l'organe officiel du cabinet autrichien a cru utile de fournir pour la juste appréciation de ce traité.

« Un acte international-dit la Gazette de Vienne le traité du 15 avril de cette année, conclu entre l'Autriche, la France et la Grande-Bretagne, arrivé d'abord à la connaissance du public par une communication faite au parlement par le ministre britannique, provoque depuis peu des conjectures de toute espèce dans les journaux de toutes les nations. On y rattache des suppositions, on en tire des conjectures qui trop souvent font méconnaître le sens et la portée de ce traité, sans doute très-important. Pour fixer les faits et les principes, nous essayerons d'indiquer brièvement les causes du traité du 15 avril et sa signification.

La garantie collective de l'intégrité de l'empire turc n'avait pas été consignée dans les points préliminaires austro-occidentaux dont l'acceptation par la

Russie a amené la paix heureusement conclue maintenant. Aux conférences de Vienne, les plénipotentiaires de cette nation avaient repoussé si décidément toute participation à une garantie de ce genre, que l'introduction d'une pareille clause dans les conditions fondamentales aurait rendu plus difficile l'œuvre de la paix.

» Les mêmes motifs ont prévalu dans les conférences de Paris; cependant le principe de cette garantie était exprimé déjà de la manière la plus positive dans le traité du 2 décembre 1854. Ce principe, il devait survivre à la lutte engagée, il devait entrer dans des traités de droit public durables, précisément parce que cette guerre n'avait pas été faite en vue de conquêtes ou de buts égoïstes d'États particuliers, mais pour établir un état de droit international sur un terrain où, sans une garantie pareille, la paix et la tranquillité de l'Europe pourraient être compromises encore dans l'avenir.

» La France, l'Angleterre et l'Autriche s'étaient posées comme intermédiaires dans la guerre entre la Russie et la Porte: les unes agissant par le glaive, l'autre levant des troupes et concluant des traités. Les principes qui ont uni ces puissances subsistent, ils ont été consolidés par un traité conclu dans le sens de la conservation la mieux entendue, après que la lutte qui a déterminé à les formuler a été terminée.

» Dans les circonstances données, il n'appartenait ni à l'Autriche ni aux puissances occidentales de provoquer le cabinet russe, dans les négociations de paix,

à accéder à une garantie active de ce genre vis-à-vis des déclarations positives données antérieurement par ses plénipotentiaires. Les puissances contractantes devaient de même hésiter à demander au gouvernement prussien de participer à cet acte, cette puissance ayant manifesté et maintenu dans le cours des complications orientales sa ferme résolution de ne prendre aucune espèce d'engagement qui pourrait gêner la liberté de ses actions dans l'avenir.

» Sans doute, le traité du 15 avril prouve ainsi la continuation d'une alliance de principes, d'une union étroite entre la France, l'Autriche et l'Angleterre. Mais cette alliance repose sur des principes de droit que les souverains des trois États professent hautement, qui ne lèsent ou ne menacent aucun autre État, aucun autre gouvernement; sur des principes qui soutiennent et protégent l'équilibre de l'Europe, les possessions territoriales existantes et l'autorité de tous les gouvernements.

» Le traité du 15 avril de cette année est, par sa signification et son contenu, une garantie de la volonté des puissances unies par cet acte, et liées par un accord permanent et étroit de n'abandonner jamais et nulle part les bases du droit international.

» Une telle alliance n'a pas besoin de dispositions secrètes, de clauses réservées; elle se justifie devant les contemporains et l'histoire par la pureté de ses tendances. Aussi sommes-nous en état d'assurer qu'il n'a pas été joint d'articles secrets au traité du 15 avril de cette année. S'appuyant sur ces faits, on peut acquérir

la ferme conviction que le traité en question, en assurant pour une longue durée l'union de l'Autriche, de l'Angleterre et de la France dans les principes protecteurs du droit, ne touche en rien les relations d'alliance les plus étroites avec la Prusse et les autres États allemands, et n'empêche pas non plus le rétablissement de rapports sincères d'amitié et de bon voisinage avec la Russie. »

Nous allons préciser les faits que l'article de la Gazette de Vienne n'énonce que d'une manière vague et générale.

Ce fut dans la onzième séance de la conférence de Vienne (17 avril 1855) que M. Drouyn de Lhuys invita les plénipotentiaires ottomans à s'expliquer les premiers sur la manière de rattacher plus complétement l'existence de la Sublime Porte à l'équilibre européen.

Aali-Pacha émit l'avis que cette question pourrait être résolue d'une manière satisfaisante par une stipulation conçue dans les termes suivants :

le

<< Les puissances contractantes voulant manifester l'importance qu'elles attachent à ce que l'empire ottoman participe aux avantages du concert établi par droit public entre les différents États européens, déclarent considérer désormais cet empire comme partie intégrante de ce concert et s'engagent à respecter son intégrité territoriale et son indépendance comme condition essentielle de l'équilibre général. »

Tout en adhérant au principe établi par le premier plénipotentiaire de la Turquie, le prince Gortschakoff et M. de Titoff expliquèrent leur pensée en ce

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