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articles du Code pénal; il n'y est fait nulle mention des textes relatifs au droit de représentation et notamment de l'article 428 C. P.; le préambule rappelle les articles 425, 426, 427, 429, et il passe, sous silence cet article 428: cette façon de procéder n'est-elle pas significative? Elle l'est d'autant plus que cet article 428 non cité se trouve compris dans une série d'articles cités.

Nous avons par avance indiqué dans l'exposé de la première théorie la réfutation que l'on avait essayé de faire de ce dernier argument; il n'est pas possible de l'admettre; en 1852 le droit de représentation n'était point gouverné par les mêmes principes que celui de reproduction; par la nature même des choses, une assimilation absolue entre ces deux droits différents est impossible; ainsi, par exemple, l'article 428 du Code pénal ne s'appliquait certainement pas à la reproduction illicite; cela est nécessaire; car cette disposition, si elle était ainsi étendue, n'aurait aucun sens. Vu l'habitude prise de poser pour les deux droits une réglementation spéciale, en ne rappelant que celle relative à la reproduction, le législateur de 1852 a laissé hors de ses prévisions les matières de la représention et de l'exécution des œuvres dramatiques et musicales. Il n'est donc pas possible de s'appuyer sur le décret, pour, en cette espèce, reconnaître en France les prétentions des auteurs dramatiques et des compositeurs. (V. Pouillet, no 854-5;— Ancillon de Jouy p. 264; contra Lacan, no 677.)

219. Quel motif a pu inspirer au prince-président l'idée d'établir cette distinction; on a dit qu'il avait agi ainsi dans le but de réserver certaines faveurs à celles des nations qui voudraient bien consacrer chez elles le droit des auteurs français. (Renault, p. 20.) Est-ce bien là la véritable raison?

On a présenté une autre tentative d'explication. En 1832, les pouvoirs publics se montraient très difficiles dans l'autorisation des pièces de théâtre. La censure dramatique allait se faire durement sentir. (V. décret, 19 décembre 1852.) En prévision

de cet état de choses, il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que le gouvernement n'ait pas consenti à protéger les auteurs étrangers. Ceux-ci, au cas de représentation d'une pièce contraire à la morale ou à l'ordre public, sont à l'abri des poursuites; peut-être a-t-il semblé juste de ne point garantir des personnes qu'il était impossible d'atteindre par les lois répressives. (Comp. Calmels, p. 516.)

220. M. Demangeat, dans l'étude complète qu'il a présentée de notre question (Rev. prat., t. II, p. 241 et s.) a essayé de répondre à l'argument tiré du silence observé à l'égard de l'article 428 du Code pénal: il est vrai, a-t-il dit, que le décret ne renvoie pas à l'article 428, mais une seule conséquence découle de cet oubli; au cas de représentation illicite d'une pièce étrangère, l'amende portée dans le texte non rappelé ne pourra pas être prononcée contre le directeur de théâtre; mais en dehors de là, la répression sera la même que dans les cas ordinaires. L'auteur étranger aura notamment le droit de faire confisquer les recettes à son profit; l'article 429, applicable à l'espèce, attribue en effet à l'auteur lésé le bénéfice des recettes confisquées. (V. Weiss, p. 375.)

Cette façon d'argumenter est très ingénieuse, mais elle ne saurait triompher; le décret de 1852 fait bien allusion à l'article 429, mais ce renvoi n'est qu'un corollaire, qu'une conséquence de celui déjà fait pour l'article 425; et d'ailleurs, avant de disposer ainsi au profit de l'auteur étranger du produit des recettes confisquées, il faudrait commencer par prouver que l'on est en droit de faire ces confiscations; or, c'est l'article 428 du Code pénal qui dans certaines circonstances donne cette faculté et, nous l'avons répété plusieurs fois déjà, cet article n'est pas visé dans le décret de 1852.

-

221. Voilà donc certains auteurs étrangers, les compositeurs dramatiques et musicaux, dénués de la protection des lois spéciales. A défaut de cette garantie, n'ont-ils pas celle de l'article 1382 C. C. ? Pour nous, la question ne peut faire doute;

nous l'avons déjà rencontrée et résolue dans le sens affirmatif. (V. n° 190.)

Nous ne voyons dans notre situation particulière aucun motif pour abandonner cette solution si juste. Nous arrivons ainsi à un résultat presque aussi large que celui imaginé par M. Demangeat; nous avons néanmoins l'avantage de respecter la lettre du décret de 1852, et de ne pas appliquer des articles visés par ce décret en dehors des hypothèses pour lesquelles il a fait le renvoi.

222.

- M. Rendu, dans son Traité du droit industriel, no 855, propose d'adopter un autre adoucissement à la rigueur de la solution générale; ce tempérament existait déjà, d'après lui, avant 1852. (Voir no 186 ce que nous en disons.) Il est évident que si avant ce décret, cette restriction devait être apportée, il en doit être encore de même depuis sa promulgation.

L'auteur dramatique qui aurait d'abord fait exécuter son œuvre à l'étranger, jouirait donc en France de la protection de nos lois spéciales si, le premier, il l'avait mise sur la scène française. (Cassation, 30 janvier 1818; Paris, 26 novembre 1828; - Vivien et Blanc, no 455.) Si la solution de cette espèce toute particulière est susceptible de faire naître dans l'esprit des juges de sérieuses oppositions, il n'en est pas de même de la suivante; on doit assimiler aux Français les étrangers qui, sans que leur pièce ait encore été entendue à l'étranger, en font faire la première représentation en France.

Ainsi, en résumé, bénéficient des dispositions favorables de nos lois, les auteurs dramatiques et les compositeurs qui se servent de nos théâtres pour la première production de leurs ouvrages; on a proposé de mettre sur un même rang ceux qui, après une première audition hors de notre pays, prennent en France l'initiative des représentations. Cette dernière idée n'est pas admise par tous les jurisconsultes; en tous cas, la jurisprudence se refuse à appliquer le décret de 1852 à ceux qui, sans souci des besoins intellectuels de la France, ne songent pas à

y répandre leurs compositions dramatiques ou musicales. 223. -Les auteurs ainsi frustrés de légitimes espérances par cette interprétation nécessaire du décret de 1852, ont presque toujours néanmoins le droit d'invoquer la protection de nos lois ; à l'heure actuelle, la France est réunie par des conventions avec la plupart des nations civilisées, et ces traités assurent aux ressortissants des deux États le bénéfice des privilèges de représentation et d'exécution. Même en l'absence de tout accord international, on a prétendu que les intéressés pouvaient en toute hypothèse s'assurer en notre pays le respect de leurs prétentions, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à la question de nationalité, sans qu'il y ait lieu de rechercher en quel endroit a été faite la première communication de l'œuvre au public.

La Société des auteurs et compositeurs dramatiques a pour objet de traiter dans l'intérêt de ses membres avec les direcleurs de théâtre. Après un prélèvement destiné à la création de pensions de retraite (1), les recettes sont partagées entre les associés. Or cette société a tendu la main aux étrangers eux-mêmes; elle a oublié la nationalité pour ne se rappeler que la confraternité littéraire. C'est en entrant dans cette association que les auteurs étrangers pourraient s'assurer indirectement le paiement des droits dus pour la représentation de leurs œuvres. (2)

(1) En mars 1884, Verdi a même renoncé à sa pension de retraite au profit d'un compositeur français.

(2) Cette association et ses congénères ont rendu de signalés services à l'idée de protection internationale des droits intellectuels. Il peut paraître bon d'avoir sur l'histoire de chacune d'elles quelques renseignements. (V. à ce sujet, Cattreux, p. 70 et suiv.; Comettant, p. 51 et suiv.; - Le Soleil du

26 mars 1886; Bonjean, p. 36.)

Voltaire semblait appeler déjà de ses vœux une création de ce genre comme un remède à l'isoleinent et à la faiblesse de l'écrivain, quand il disait en 1765, dans le Dictionnaire philosophique :

- «Son grand malheur est ordinairement de ne tenir à rien. Un bourgeois achète un petit office et le voilà soutenu par ses confrères. Si on lui fait une

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224. Si désirable qu'il soit de voir cette pratique étendre la portée du décret de 1852, il nous semble difficile d'admettre ce biais ingénieux. On a vivement contesté la légalité de cette société et de celles établies dans une vue analogue. La jurisprudence actuelle, avec raison, se refuse à les considérer comme des personnalités morales. (V. Pat., 83, 297 (note); — M. Labbé, S., 83, 2, 49; M. le Conseiller Larouverade, dans son rapport à la Cour de cassation sur l'affaire A. Ernst, Pat., 84, 162; - Cass., 16 février 1884, Pat., 84, 168; Heulhart, Bravos et sifflets, chapitre intitulé l'article 416 C. P.; Revue d'art dramatique, t. Ier, p. 256; Comp. Annuaire de la Société des auteurs et compositeurs de musique, 1867-8, p. 332 et suiv.) (1).

Ces corporations parviennent néanmoins à remplir ordinai- ( rement le but poursuivi; on prend soin de faire figurer dans l'assignation le nom des membres dont les droits ont été violés et les administrateurs de ces associations agissent comme mandataires directs des personnes lésées. Il est facile de le voir, ce procédé ne peut en rien servir aux étrangers. Nos lois ne leur reconnaissent en ces matières aucune prérogative; ils ne peuvent donc charger aucun représentant de veiller à leurs intérêts. La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de

injustice, il trouve aussitôt des défenseurs. L'homme de lettres est sans

secours. >>

Donnons simplement la date de constitution des plus importantes de ces sociétés : le 7 mars 1829 fut fondée celle des auteurs et compositeurs dramatiques (on a voulu faire remonter à Beaumarchais l'honneur de cette création; — V. Cattreux, loc.. cit ; — Comp. Pouillet, no 752 et suiv.) En 1837, Louis Desnoyers créa celle des Gens de lettres. Le 31 janvier 1851, fut organisée celle des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, etc., etc. Enfin, depuis quelques années, fonctionne le syndicat pour la protection de la propriété littéraire et artistique: il a réuni en un seul faisceau les différentes sociétés établies pour la sauvegarde des droits intellectuels. Nos pouvoirs publics ont pris l'habitude de le consulter sur tout ce qui intéresse les auteurs et les artistes.

(1) La loi sur les syndicats du 21 mars 1884 ne peut être d'aucun secours dans le cas présent. (Comp. son art. 6.) « Les syndicats professionnels de patrons ou d'ouvriers auront le droit d'ester en justice. » (V. encore article 2.)

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