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versée. La solution donnée confirme d'ailleurs notre manière de voir (1). On a négligé au contraire le cas où l'étranger, inventeur du dessin, appartient à une nation qui n'use, en notre matière, dans ses rapports avec la France, ni de réciprocité légale ni de réciprocité diplomatique; on doit donc encore, même après la loi de 1873, s'en référer pour cette espèce aux textes anciens. Le décret de 1852 renvoie à l'article 425 C. P. ; celui-ci renferme les dessins dans l'énumération qu'il donne; cette expression est assez large pour comprendre les dessins industriels.

La jurisprudence au surplus,'en cas de contrefaçon de dessin industriel français, applique parfois les articles 423 et 427 du Code pénal. (Ruben de Couder, vo Dessin de fabriq, no 84 et 110.) S'il en est ainsi, comment peut-elle donc prétendre, au regard des étrangers, que ce même mot ne désigne pas les mêmes objets? Il existe d'ailleurs, en cette circonstance, la même raison que dans des cas ordinaires, pour attribuer en France aux étrangers la sauvegarde de leurs droits. On ne peut légitimement soutenir que le législateur de 1852, dont l'esprit fut si large, ait laissé de côté les dessins industriels. (Sic. Pouillet, Dess. de fabriq., n° 80; - Huard, La propriété industrielle, no 213; - Riom, 18 mai 1853; Seguin ; D. 54,2,50; comp. Rapp. de M. Bozérian (Officiel des 25, 26, 27 et 28 février 1879) V. aussi Massé, t. I, no 519; Serrigny, t. I, p. 252; Demolombe, t. I, no 246 bis ; - Pardessus, t. VI, no 1479;

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contra Dalloz, vo Industrie, no 269 et s.;- Pataille et Huguet, p. 75; Fauchille, p. 293.)

Telle est donc la solution à admettre; nous devons faire à son égard une remarque très importante.

(1) Celui qui se trouve dans les conditions prévues par la loi de 1873, peut donc invoquer en sa faveur une double protection. Chacune d'elles est indépendante de l'autre. On pourrait partir de cette idée pour contester l'influence de la loi récente sur les solutions du décret de 1852. Par une autre voie, nous prouvons au texte que celui-ci doit demeurer intact,

On décide ordinairement que la divulgation du dessin industriel à l'étranger fait perdre à son inventeur tout droit en France; ce système, s'il devait être adopté, enlèverait à notre théorie toute utilité pratique. Nous le repoussons; mais, à cet effet, il est nécessaire de produire des considérations et des arguments que nous ne pouvons développer en ce moment; nous nous contenterons donc d'indiquer notre opinion, sauf ultérieurement à en montrer le bien-fondé. Nous ferons de même pour les objections qu'a soulevées l'extension du décret de 1852 aux dessins industriels. Leur réfutation manquerait actuellement de clarté.

213. En nous tenant dans le domaine purement artistique, ne rencontrerons-nous pas certaines hypothèses dans lesquelles, même depuis le décret de 1852, les droits des étrangers ont été contestés? Ces cas sont assez nombreux.

On s'est notamment demandé si, en l'absence de traités, les sculpteurs étrangers étaient protégés en France.

Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de rechercher si nos lois garantissent nos propres sculpteurs.

Or, on a soutenu que non; voici les arguments que l'on a mis en avant; la loi de 1793 parle des peintres et des dessinateurs; le Code pénal parle de peinture et de dessin: mais on ne prononce nulle part, dans nos lois, ni le mot sculpture ni le mot sculpteur.

Nous n'hésitons pas à rejeter cette façon de voir. Aucune raison ne saurait légitimer ce manque d'égards pour la sculpture; bien que nos lois n'aient point spécialement prévu les productions de cet art, par leur généralité même, elles les placent sous leur sauvegarde C'est par la différence même des lignes qui les composent, qu'un groupe de sculpture, qu'une statue, se distinguent d'un autre groupe de sculpture, d'une autre statue; c'est le dessin différent qui produit le groupe différent, la statue différente; une sculpture est un dessin qui, pour être en relief et en creux, n'en est pas moins un dessin :

elle est donc implicitement comprise dans les termes généraux de nos lois.

L'article 427 du Code pénal nous dit que les moules des objets contrefaits seront confisqués; or, en dehors de la sculpture, aucun art ne fait emploi de moules; s'il y a contrefaçon dans l'acte d'user des moules sans droit, c'est que l'œuvre qui a servi de modèle, appartient à celui qui l'a créée; c'est que la sculpture est protégée par nos lois. (Cass. Belge. 5 nov. 1860; Pat., 65, 74; - Caen, 3 mars 1835; Gaz. trib., 11 mars; --Paris, 13 juillet 1863; — V. Favard de Langlade, t. IV, p. 639, no 19, § 2.)

S'il en est ainsi des Français, en est-il de même des étrangers? Pour limiter les droits de ces derniers, ne pourrait-on pas dire: l'article 1er du décret renvoie à l'article 425 du Code pénal. Or, celui-ci ne considère comme contrefaçon que l'édition imprimée ou gravée au mépris du droit des auteurs; par suite ne doit-on pas admettre que, si le sculpteur étranger est garanti en France contre la gravure qui peut être faite de son œuvre, il ne l'est pas contre sa reproduction par un peintre, par un autre sculpteur, etc.

Lorsqu'on est en présence d'un sculpteur français, son droit est plus plein parce que l'article 427 du Code pénal ordonne la destruction des moules; mais les prérogatives de l'étranger doivent être moins étendues puisque l'article 1er du décret de 1852 passe sous silence cet article. Quelque spécieuse que puisse paraître cette théorie, il y a lieu de la rejeter. Si l'artiele 1er du décret ne fait point allusion à l'article 427, l'article 3 mentionne expressément cette disposition de nos lois; ainsi disparaît le principal argument de la doctrine contraire. Nous avons établi, d'autre part, que l'art de la sculpture rentrait dans celui du dessin; ce dernier est spécialement visé par l'article 423 C. P. auquel renvoie l'article 1er du décret; il faut donc encore, pour cette autre raison, traiter sur un pied d'égalité étrangers et nationaux.

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214. Une matière présente avec la sculpture une grande analogie : c'est celle des modèles de fabrique (1).

Le décret de 1852 a-t-il assuré protection à ceux qui les exploitent à l'étranger? L'article 9 de la loi du 26 novembre 1873 la leur accorde dans le cas de réciprocité diplomatique ou légale. En dehors de toute réciprocité, devons-nous en attribuer la jouissance exclusive aux étrangers? Telle est notre opinion. Malgré notre désir de réunir dans cette partie toutes les questions qu'a soulevées l'interprétation du décret de 1852, nous devons nous borner simplement à indiquer notre solution, sauf à en démontrer plus tard le bien-fondé.

215. D'autres difficultés ont surgi en matière artistique ; on a notamment contesté tout droit aux architectes qui construisent en France; on a commencé par produire les considérations générales signalées au numéro 86; pour celles-ci, elles ont été réfutées par avance (V. no 87). Mais, on a été plus loin, et c'est dans le texte même de la loi qu'on a prétendu puiser des arguments contre nos architectes; comme en matière de sculpture, on a fait remarquer le silence du législateur à leur égard; la loi de 1793 ne les a point, observe-t-on, spécialement désignés; par suite, ils ne peuvent prétendre à aucune protection en France.

Ce système ne nous satisfait pas et, pour établir en sens contraire, le droit des architectes, il nous suffit de nous rappeler ce que nous avons dit à l'occasion des sculpteurs ; les architectes sont lato sensu de véritables dessinateurs; ils peuvent donner naissance à des créations de l'esprit ou du génie ; pourquoi seraient-ils rangés dans une catégorie inférieure! (Ch. Lyon-Caen, Rev. crit., 85, 414; Comm. Liège, 15 nov.

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(1) Il ne faudrait pas penser sans doute, comme on le fait communément, que tout modèle de fabrique implique nécessairement l'idée d'une œuvre de sculpture; car, par exemple, la forme nouvelle d'un chapeau, d'une boîte de bonbons, etc., constitue un modèle de fabrique; ordinairement toutefois, ces productions de l'art se manifestent sous la forme d'une œuvre de sculpture.

1883, et C. de Liège, 18 juillet 1884; Pat., 84, 315.) — On voudra bien remarquer que ces décisions ont été rendues sous l'empire de la loi française de 1793.

Ainsi sont garanties les constructions qui s'élèvent sur le sol de France. Que faut-il penser de celles qui surgissent à l'étranger? Les architectes qui les ont conçues et réalisées peuvent-ils invoquer le secours de nos lois?

Les termes employés par l'article 1er du décret de 1852 semblent au premier abord défavorables à leurs prétentions; il parle, en effet, de contrefaçon sur le territoire français d'ouvrages publiés à l'étranger; or, en construisant un édifice en France, d'après des plans qui ont précédemment servi à l'étranger, peut-on dire qu'on commet une contrefaçon ?

Ne semble-t-il pas que les expressions employées ne visent uniquement que le cas d'imitation frauduleuse d'objets mobiliers?

Nous pensons néanmoins que les architectes étrangers pourraient poursuivre en France quiconque y violerait leurs droits. Dès lors en effet que l'on peut voir l'édifice imaginé par un architecte, on peut dire que cet ouvrage est publié. Tous peuvent en prendre connaissance. Ainsi, en admettant qu'elle soit prescrite, se trouve remplie cette condition que, dans l'opinion contraire, on prétend imposée par les dispositions de l'article 1 or du décret. Est-il bien vrai d'ailleurs que cette publication soit requise? Nous ne le pensons pas: la phrase sur laquelle on s'appuie pour le soutenir est incidente, et le rédacteur du texte n'a pas dû y attacher toute l'importance qu'on lui prête. Le but poursuivi a été uniquement de montrer que dorénavant la protection de nos lois s'étendrait aux œuvres que tous pouvaient jusque-là reproduire librement; on pouvait jadis copier un édifice construit à l'étranger; on ne le peut donc plus actuellement.

216.

Si la discussion sur le droit des architectes n'a pas été des plus vives, il en est différemment pour le droit des

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