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grandeur1. » Il était mal entouré, d'ailleurs, ayant pour principaux conseillers le marquis de Montesson, «< petit bossu de corps et d'esprit, » et le chevalier de Contye, lieutenant de ses chasses, dont l'éducation politique s'était faite parmi les piqueurs de Chantilly2.

Ainsi que les comtes de Provence et d'Artois, le prince de Condé entretenait des intelligences suivies avec nombre d'agents répandus dans Paris et dans les provinces. Mais ces agents, pas plus que les émigrés, ne connaissaient la France, quoiqu'ils vécussent, eux, au foyer de la Révolution, tant ils avaient peu changé, lorsque tout changeait autour d'eux !

Telle se présente à l'Histoire l'émigration française durant le cours de la Révolution. Aux causes qui, pendant si longtemps, et même après le 9 thermidor, rendirent son action impuissante, il en faut joindre une dont l'influence se lie à la grande catastrophe de Quiberon, qu'il nous reste à raconter. Deux factions divisaient le parti royaliste, celle d'Angleterre, celle d'Espagne. L'exposé de leurs intrigues rivales formera le sujet du chapitre suivant.

1 Mémoire concernant la trahison de Pichegru, par M. R. de Montgaillard, p. 18. Germinal an XII.

2 Ibid., p. 19.

CHAPITRE II

LES AGENTS DE PARIS >>

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Concert entre Pitt et le comte de Puisaye.— Pouvoirs donnés à Puisaye par le comte d'Artois. Puisaye prépare la guerre civile en Bretagne. Régiments d'émigrés à la solde de l'Angleterre; contrat passé à ce sujet avec le gouvernement britannique.—Formation des régiments d'émigrés; difficulté de les compléter. Faction d'Espagne, dans le parti royaliste, opposée à la faction d'Angleterre. Document curieux sur les tendances et l'origine de la faction d'Espagne. L'Espagne, Tallien et la fille de Cabarrus. — Politique de la factior: d'Espagne. Les agents de Paris. L'abbé Brotier.

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Duverne de Praile. Le chevalier

Despomelles. Exigences des conspirateurs. Pouvoirs donnés aux

agents de Paris par Louis-Stanislas-Xavier. lisme des partis. De la Villeheurnoy.

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-

Lemaître.

Machiavé

Le comte d'Entraigues et le

duc de la Vauguyon à la tête de la faction d'Espagne. Le duc d'Avaray et les agents de Paris.- Autre agence dirigée par Précy.— Plan des agents. Leur opinion sur Tallien et Cambacérès.

Dangers courus par les agents. Haine secrète que les agents et leur parti nourrissent contre l'Angleterre. Leur ardeur à la décrier, tout en profitant de ses secours. Efforts des agents pour perdre Puisaye. Leur mauvai foi. Noires pratiques.

faction. Conclusion.

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Le comte Joseph de Puisaye fut, dans le parti royaliste, l'âme de la faction qui s'appuyait sur l'Angleterre. Actif, habile, spirituel et léger de scrupules, Puisaye était parvenu à inspirer au ministre anglais Windham une confiance presque absolue, et convint tout d'abord à Pitt.

Le chef du ministère britannique et le conspirateur français s'entendirent dès la première entrevue. Il y fut décidé :

Que le séjour de Puisaye en Angleterre serait tenu sous le plus grand secret;

Qu'on lui fournirait les moyens de faire passer aux Bretons soulevés tous les secours nécessaires, soit en armes, soit en argent ;

Que le prince de Bouillon, connu en Angleterre sous le nom de capitaine d'Auvergne, serait spécialement chargé de la correspondance avec l'armée catholique et royale de Bretagne, et qu'à cet effet, un commandement particulier lui serait assigné à la pointe de l'île de Jersey;

Que, quant à l'ensemble des mesures à prendre pour assurer le triomphe des royalistes de l'Ouest par l'appui des Anglais, Puisaye aurait à présenter ses vues à cet égard dans un mémoire qui pût servir de point de départ aux résolutions du Conseil1.

Toutes les facilités que pouvait désirer Puisaye, on les lui donna, jusque-là que l'arsenal et la Tour de Londres, toujours fermés à l'étranger en temps de guerre, lui furent ouverts, afin qu'il y choisît les armes à envoyer aux royalistes 2.

Dans une première lettre, datée du 15 octobre 1795, le comte d'Artois, en qualité de lieutenant général du royaume, et en vertu des pouvoirs à lui confiés par celui qu'il nommait le régent, avait écrit à Puisaye : « Vous pouvez compter fermement, monsieur, que je confirmerai avec plaisir, lorsque je vous aurai rejoint, tout ce que le conseil militaire et vous aurez jugé utile au bien du service du roi. >>

Dans une seconde lettre du 6 novembre, datée du châ

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Correspondance secrète de Charette, Stofflet, Puisaye et autres, t. I, p. 100 et 101.

Nous avons déjà eu occasion d'établir l'authenticité parfaite de cette correspondance.

teau de Zipendal, près Arnheim, il lui écrivait, en termes plus explicites encore :

« Je vous autorise à vous considérer comme lieutenant général au service du roi de France, et à vous faire obéir en cette qualité par l'armée de Sa Majesté trèschrétienne 1. »

Puisaye se mit à l'œuvre sans autres pouvoirs que ceux qu'il tenait du comte d'Artois. Or il semble qu'ils auraient dû plutôt lui venir de Louis-Stanislas-Xavier, ce dernier étant, aux yeux des royalistes, régent de France. D'où vient qu'il n'en fut pas ainsi? La raison en est dans les jalousies et les dissensions qui rongeaient le parti des émigrés. Puisaye dit dans ses Mémoires : « Je ne sais par quelle fatalité le régent n'avait pas encore reçu, au commencement de 1797, une seule des lettres que j'ai eu l'honneur de lui adresser dans toutes les occasions qui se sont offertes à moi depuis le mois d'octobre 17942. » Cette fatalité, c'était, on le verra plus loin, la haine profonde que nourrissaient contre Puisaye les correspondants du soi-disant régent et les hommes de son entourage.

Quoi qu'il en soit, il se crut ou affecta de se croire suffisamment autorisé, et fut obéi. Les missives qu'on va lire donneront une idée de la nature de ses communications avec le « Comité central, catholique-royal, établi en Bretagne, et des intrigues qui ranimèrent dans la guerre civile.

ce pays

<< Ne discontinuez pas d'agir. Étendez-vous le plus que vous pourrez. Multipliez les cantons où vous envoyez des jeunes gens, dont vous ferez des chefs. Je vais faire partir trois prêtres du diocèse d'Avranches, qui vous ai

1 Correspondance secrète de Charette, Stofflet, Puisaye et autres, t. I, P. 101.

2 Mémoires de Puisaye, t. III, p. 215, 218.

deront à donner la main à la Normandie. Ayez surtout les yeux sur le Morbihan. Il peut se faire qu'il devienne le point le plus important... Qu'on s'assure de toute cette côte, et qu'on m'envoie un détail du pays, en embouchant la Villaine et la Loire. Qu'on y répande les assignats, et que l'intérieur de toute cette baie soit travaillé avec le plus grand soin1. >>

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Vous recevrez par cet envoi à peu près dix millions, des vestes, des habits, pantalons, écharpes blanches, culottes de peau, ceintures de cuir, deux lettres imprimées de monseigneur le comte d'Artois, dont une vous est adressée et dont je vous porterai l'original (les redingotes ne sont pas encore faites); l'habit rouge, boutonné sur la poitrine, avec l'écharpe blanche en bandoulière; la veste vert-pâle, la culotte de peau; le pantalon vert, garni de basane; la redingote verte; le chapeau rond, surmonté d'une queue de renard blanc, avec un panache blanc. Je joins à cela soixante paires de bottes, et, successivement, vous aurez tout ce qu'il vous faudra2. »

Dans une autre lettre, il annonçait l'envoi de trente mille paires de souliers, de deux cents espingoles, de deux mille havresacs, et mandait à ses complices, sur un ton triomphal, qu'il venait de conclure un marché pour cinquante mille fusils3.

Les agents de Puisaye et du gouvernement anglais, dans ce commerce de trahisons, étaient Houard, Bertin, Tarillon, Maincent, Gouin, Macé, Dufour, et surtout Prigent, officier distingué, que Pitt estimait fort et par qui

1 Correspondance secrète de Charette, Stofflet, Puisaye et autres, t. I, p. 115.

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4 Leur correspondance forme le XIX volume des Papiers de Puisaye. Manuscrits du British Museum.

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