Page images
PDF
EPUB

que je le crois homme dont il est prudent de se méfier, même de ces actions qui paroissent indifférentes. D'ailleurs je n'avois de certitude sur son voyage en Bretagne que par le bruit public qui dans ce pays-ci ne paroît pas lui être favorable, puisqu'on le soupçonne déjà d'être fomentateur des événemens facheux qui s'y sont passés. Ces faits n'ont sûrement pas lien pour avoir été occasionnés par son passage à Séez le 22 Mars dernier, puisque je me suis assuré par une des domestiques du citoyen Broquet, aubergiste à l'hôtel d'Angleterre, a Séez, où il logea, qu'il avoit dit qu'il alloit à Alençon voir le département. Il se donna le nom du citoyen Fecamp, intendant d'Egalité. Par le détail qu'on m'a fait de sa taille, de sa figure rouge et bourgeonnée que j'ai vue souvent à Eu, il n'y a

pas de doute que c'est Egalité père lui-même. Il invita son aubergiste d'aller à Alençon avec lui dans sa voiture, parce que vraisemblablement c'étoit pour l'annoncer auprès de son beau-frère Hommez, ci-devant procureur à Séez, homine fait pour lui être utile, vu qu'il est actuellement membre du département d'Alençon; mais ce particulier ne put l'y accompagner à cause qu'il se trouvoit forcé de partir avec le détachement de volontaires destiné pour la Bretagne; alors j'ignorois ce qu'a prétendu faire notre homme en question.

166

"Il logea à l'hôtel du Maure à Alençon, autre beau-frère de notre membre du dépar

tement.

tement; mais ce que je puis vous assurer, c'est qu'à son retour par Séez, le lundi 25, il logea au même hôtel qu'à son départ, et passant sur la place il fut arrêté par la garde; alors il montra un passe-port sur lequel il étoit dénommé, Phillippe PREMIER, Egalité. Quant à la conversation qu'il eut en passant à Séez avec l'aubergiste qu'il fit monter à sa chambre, et avec lequel il but du vin, il l'interrogea pour savoir ce qu'on disoit de lui, s'il étoit aimé dans ce pays, et si le peuple seroit fâché ou bien-aise de l'avoir pour roi; à quoi il lui fut répliqué qu'il n'avoit pas assez de connoissances pour lui répondre affirmativement.

"Sans doute qu'Egalité n'aura pas manqué d'interroger les aubergistes où il a passé; il n'avoit avec lui qu'un jeune homme de quatorze à quinze ans. Il voyageoit en poste."

Ainsi d'Orléans étoit dénoncé, accusé, proscrit, poussé dans l'abîme par ses propres complices. Je ne puis m'empêcher de faire remarquer ici que tel a été le résultat de chacun de nos mouvemens révolutionnaires, que lorsqu'un parti l'a emporté sur un autre parti, les vainqueurs à leur tour n'ont jamais manqué de s'entr'égorger. On diroit. que le ciel avoit réservé pour nous l'accomplissement de cette menace d'un prophête! (1)

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]
[ocr errors]

Je leur ai dit, je ne serai plus votre pasteur; que ce qui doit mourir aille à la mort: que ce qui doit être retranché soit retranché, et que ceux qui demeureront SE DÉVORENT LES UNS ET

LES AUTRES.

Le tems de la vengeance céleste étoit arrivé; le bras de la justice divine alloit enfin frapper le coupable. On ordonna à d'Orléans ét à Sillery d'aller rendre compte de leur conduite au comité de sûreté générale; ils y comparurent en supplians. Deux jours après,. on lança des mandats d'arrêt contre plusieurs personnes, entr'autres contre le méprisable abbé d'Espagnac, un nommé Hébert, secrétaire de Duport ancien conseiller au parlement; Bonne-Carrère; Gouy-d'Arcy; Asseline; une amie de Dumouriez appellée Boisvert; Westermann; Victor Broglie; Boisgelin, ce même gentilhomme qui avoit figuré dans les premiers mouvemens de la Bretagne; la Marquise de Sillery; les ducs de Chartres et de Montpensier et un nommé, Sauvan, domestique de d'Orléans.

Le scellé fut mis sur les papiers de tous ces gens-là. On lança des décrets d'arrestation (1) contre Valence et toute sa famille, contre

(1) J'emploie ce mot quoiqu'il ne soit pas françois ; il est tellement consacré par l'usage et l'abus qu'on en a fait, qu'on me pardonnera d'avoir fait ce léger sacrifice au néologisme de nos novateurs.

la marquise de Montesson et la duchesse d'Orléans.

Sillery et d'Orléans se flattoient que la foudre n'arriveroit pas jusqu'à eux. A quoi pensez-vous, (1) dit Guadet au dernier? Vous étes perdu si vous ne demandez pas vous-même un décret qui vous bannisse de France ainsi que toute votre famille. D'Orléans ne fit nulle. attention à cet avis. Le surlendemain, Guadet ayant rencontré Sillery, lui parla du conseil qu'il avoit donné au prince. Eh! oui, répondit Sillery, il n'y a que ce parti à prendre, je le sens bien. Je vais lui faire un bout de discours, à la fin dnquel il demandera ce décret, car il ne sait rien faire de lui

même.

Soit que Sillery négligeât de son côté l'avis de Guadet, soit que le prince crût que Marat qui continuoit à lui offrir sa protection, seroit assez fort pour le tirer, de ce mauvais pas, ni le discours ni la demande n'eurent lieu. Les deux coupables ne prirent aucune précaution; ils restèrent sans force contre le coup qui ne tarda pas à les frapper. Un premier décret ordonna qu'ils seroient l'un et l'autre gardés à vue; un second décret voulut que tous les membres de la maison de Bourbon fussent mis en état d'arrestation; enfin un troisième décret rendu sur la motion du

(1) Guadet a raconté lui-même ce fait à la convention nationale.

fameux Carrier, enjoignit de mettre en arrestation Sillery et d'Orléans eux-mêmes et d'apposer le scellé sur leurs papiers.

A peine ce décret fut rendu que des gens envoyés par la municipalité, vinrent se saisir de la personne de d'Orléans. On ne sait trop ce qu'il projettoit, ce qu'il machinoit encore dans ce moment, mais on le trouva occupé à vendre son linge de corps, c'étoit là sa dernière ressource. Il se promettoit sans doute d'exciter une nouvelle insurrection, on peut-être vouloit-il par ce dernier effort, s'assurer à prix d'argent la protection de Marat. C'étoit être descendu au dernier dégré de l'avilissement que d'être réduit à solliciter les bonnes graces d'un tel scélérat.

[ocr errors]

A la vue des fusilliers qui venoient l'arrêter, d'Orléans pâlit et s'évanouit. Revenu à lui, il fut trainé comme un lâche et vil malfaiteur à la Mairie; là il se lamenta, il pleura; il supplia à genou, les mains jointes, qu'on lui permit d'écrire à la convention. Et voilà l'homme de boue qui se croyoit destiné à régner. La faveur qu'il demandoit lui ayant été accordée, il traça sur le papier les sales sottises qu'il avoit déjà débitées à la tribune des jacobins sur sa naissance. Il prétendit que s'appellant Egalité et non Bourbon, il devoit échapper au décret qui frappoit ceux de ce dernier nom. Ainsi le malheureux vouloit que l'impudicité de sa mère lui servit de sauve-garde. C'étoit là une

« PreviousContinue »