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ture de la tranchée dans la nuit du 9 au 10, le général Canrobert a adressé au maréchal ministre de la guerre une lettre datée du quartier général devant Sébastopol, 13 octobre. En voici le résumé :

Dès la première nuit, l'ouverture de la tranchée s'est faite sur un développement de 1,000 mètres environ sans que l'ennemi ait inquiété nos travailleurs. Tous les efforts ont été concentrés sur la construction d'un grand front bastionné destiné à servir d'appui à la gauche et où l'on a accumulé 56 pièces réparties en 5 batteries.

Durant toute la journée du 10 et la nuit suivante, le feu de la place fut très-vif; mais déjà les travailleurs étaient à couvert. Les pertes éprouvées par les Français se réduisent à une trentaine d'hommes tués ou blessés. Le général annonce l'ouverture du feu pour le 15. Il ajoute, quant à la part utile que prend la marine à ces premières opérations :

La marine concourt pour une bonne part à l'armement de nos batteries, avec ses pièces de canon de gros calibre que lord Raglan et moi avons jugé à propos d'opposer à celles que l'ennemi a développées sur tout le périmètre de la place.

Elle a, en outre, commencé hier au soir, sous la direction des officiers du génie, une autre batterie de 10 pièces, établie en arrière du port de la Quarantaine, très-près du rivage.

Bien que tirant à longues distances, j'espère qu'elle pourra contre-battre utilement les batteries que l'ennemi a depuis longtemps en avant de la Quarantaine ou qu'il y construit actuellement.

L'inaction de l'armée du prince Mentschikoff est toujours complète. 11 attend ses renforts.

De son côté, le prince Mentschikoff a adressé à son gouvernement la dépêche suivante, en date du 20 au 24 octobre: Notre feu répond avec succès au feu de l'ennemi.

Les dégâts causés dans les fortifications sont médiocres; le feu ennemi, du côté de la mer, ne s'est pas renouvelé.

Une partie de nos réserves est arrivée; le reste est attendu.

Il est certain que les Russes ont, dans ces derniers jours, mis à profit pour tirer sans relâche le temps que les alliés devaient employer à s'établir solidement autour de la ville. On lit, à cet égard, les détails suivants dans une lettre du 12 octobre, écrite par un jeune officier de l'armée :

Voici douze grands jours que nous regardons Sébastopol sous toutes les faces sans lui avoir tiré un seul coup de canon, tandis que cette bonne ville, objet de notre convoitise, se divertit chaque jour par un nouvel exercice sur nos têtes. Tantôt c'est le canon à longue portée dont les coups viennent nous atteindre à la distance fabuleuse de près d'une lieue (quatre kilomètres); tantôt ce sont des obus simples incendiaires ou des obus à balles, dont les éclats sont si meurtriers; enfin, depuis ce matin, ce sont des bombes de la plus forte espèce, dont ils varient leurs envois, soit au

L

loin vers nos camps, soit plus près sur nos travailleurs. Malgré ces mille messagers de mort qui traversent l'espace et obscurcissent le soleil, tant il est vrai qu'on se fait à tout, chacun dort tranquille sous sa tente quand il en a le temps: chacun travaille sans inquiétude et sans souci du présent, comme il le ferait au fond de son cabinet en France.

Nous trouvons aussi dans le Journal des Débats des renseignements pleins d'intérêt sur les préludes du siége:

Au bivouac, tout le monde couche à son rang, de sorte qu'on est sur pied et en ordre en un instant. Les assiégeants continuent leurs travaux en silence et sans répondre au feu de la ville; on ne veut, dit-on, commencer que lorsque tout sera prêt, et avec 300 canons à la fois. Les Français ouvrent le feu sur la gauche, les Anglais sur la droite; on croit que le centre, où les Russes ont multiplié et accumulé leurs moyens de défense, et qui est commandé par plusieurs forts et par l'artillerie des vaisseaux, ne sera pas attaqué d'abord.

D'après leurs correspondances, les Anglais auraient, dans les préparatifs de siége, une tâche plus laborieuse que celle des Français, à cause de leur position plus éloignée de la mer. Les Français occupant immédiatement le littoral, n'ont eu qu'à mettre leur artillerie à terre, tandis que les Anglais ont dû d'abord débarquer la leur à Balaclava, puis la transporter au camp qu'ils ont formé à la droite de la ville.

Les Russes ayant plusieurs fois inquiété et attaqué les Anglais à Balaclava et sur la route du camp, lord Raglan y a posté 1,200 hommes d'infanterie de marine, un détachement de dragons et deux détachements d'artillerie, en même temps que le vaisseau l'Agamemnon a été placé de manière à commander la grande route menant à la ville.

Des hauteurs occupées par les troupes alliées on peut, sur certains points, plonger dans Sébastopol. Il paraît qu'on distingue parfaitement à l'œil nu la garnison et les habitants, incessamment occupés aux travaux. Les Russes ont amarré dans le port militaire un vaisseau dont les batteries sont pointées de manière à balayer la pente qui descend des remparts aux bassins. J. Lemoinne.

Il est juste aussi de faire connaître les services multipliés que rend la marine. Ainsi nous empruntons l'extrait suivant à une lettre écrite le 13 octobre par un marin de la flotte :

« Hier un transport autrichien, drossé par les courants sous les forts et abandonné par son équipage, s'en est allé tout seul, à la grâce de Dieu, après avoir essuyé au moins 500 coups de canon tirés sur lui, s'échouer dans la petite crique de Chersonèse, à l'abri des boulets. Hier au soir, à la nuit, avec un vapeur, 200 matelots armés et quelques embarcations, nous sommes allés le renflouer, et l'avons mouillé près des vaisseaux, en le faisant passer devant les forts probablement endormis. Le Caffarelli, qui s'était jeté sous les forts, a été tiré de là par le Mogador etnos chaloupes, juste au moment où le soleil allait se lever trop tôt pour lui. La nuit suivante, nous sommes allés repêcher ses canons et ses ancres dont il s'était allégé.

«En un mot, tout va bien. Bon espoir! Nous comptons que bientôt, s'il plaît à Dieu, Sébastopol sera pris, la ville brûlée, la garnison prisonnière, les vaisseaux incendiés et les arsenaux détruits. Ensuite on jettera les forti

fications dans le port. La citadelle seule nous échappera. On prétend que le général Canrobert compte ensuite marcher sur Mentschikoff, qui est à Simferopol avec 30,000 hommes.

Le temps est beau encore et favorise les opérations. Ce n'est guère, comme on sait, qu'au mois de décembre que commencent les ouragans qui rendent la mer Noire si dangereuse. Il faut espérer que d'ici là on se sera emparé de Sébastopol, qui offrira aux flottes un excellent abri. On devra s'occuper, avant tout, de faire sauter les vaisseaux russes qui ont été coulés à l'entrée du port. A cet effet, l'on se servira de barils remplis de poudre, auxquels on mettra le feu avec un fil de fer électrique.

Les combats qui ont lieu devant Sébastopol ne doivent pas nous faire perdre de vue les négociations diplomatiques, dont l'Allemagne est le théâtre et qui ont tant d'importance, puisqu'il s'agit de savoir quelle sera la décision définitive de la Prusse. Voici en quels termes le sénat de Hambourg a répondu, le 8 octobre, aux communications qui lui avaient faites le 1er, par le ministre d'Autriche, au sujet des quatre garanties réclamées du gouvernement russe dans la question d'Orient :

Le sénat a reçu avec une grande reconnaissance la note du... et en a fait le sujet d'un examen approfondi. Le Sénat est confirmé dans ses convictions déjà antérieurement énoncées : à savoir que c'est seulement l'unité de l'action des membres de toute la Confédération allemande qui leur permettra de faire face aux dangers sérieux dont est menacée la patrie commune allemande. C'est ce désir d'union qui l'a décidé à accéder au traité d'avril, et il ne lui paraît pas douteux que, d'après l'esprit de ce traité, l'occupation des principautés par les troupes impériales autrichiennes qui protégent les intérêts allemands à côté des troupes prussiennes (sic) ne pourrait entraîner une attaque de la Russie sur les États autrichiens sans obliger tous les États de la Confédération à la repousser.

«En conséquence, le Sénat ne refuse pas de reconnaître cette obligation qui devra faire l'objet d'une proposition à la Diète. Si le gouvernement impérial autrichien désire encore que la Confédération s'approprie les quatre points dits de la garantie ou au moins les deux qui regardent directement les intérêts allemands, le Sénat fait remarquer que déjà, par son adhésion à l'article additionnel du traité du 20 avril, la Confédération germanique a reconnu la haute importance pour l'Allemagne de soustraire les Principautés à l'influence exclusive d'un État non allemand, et de voir rendre libre la navigation du Danube. La Confédération ne saurait donc refuser sa reconnaissance aux efforts de l'Autriche pour arriver à ce résultat, et faire valoir toute l'importance qui pourra en résulter pour la paix future.

«Si le gouvernement impérial désirait voir l'adhésion de la Diète aux deux autres propositions qui touchent moins l'intérêt allemand aux yeux du Sénat, il serait utile d'appeler sur ce sujet les délibérations des ministres de la Diète. »

DERNIÈRES NOUVELLES.

Les événements marchent. Les dépêches n'en sont plus à annoncer les préparatifs du siége, mais bien l'attaque qui a été

commencée le 17, à une heure et demie. Les Français à droite, les Anglais à gauche, les flottes alliées à l'entrée du port, ont ouvert le feu simultanément. Les Anglais ont fait sauter les fortifications extérieures; les Français ont fait taire le fort de la Quarantaine.

D'une part, une dépêche datée de Czernowitz, 28, et reçue par la mission russe de Vienne, annonce que le bombardement avait continué vigoureusement jusqu'au 20; de l'autre, on lit ce matin dans le Moniteur, en date de Varna :

Un bateau à vapeur français, qui a quitté la Crimée le 21, confirme la nouvelle de la destruction des deux forts extérieurs de Sébastopol. En outre, les batteries de terre avaient ouvert une brèche. Les armées alliées n'attendaient que l'ouverture d'une seconde brèche pour donner l'assaut. D'après le Standard, le vaisseau l'Agamemnon a souffert du feu des Russes. Les flottes alliées auraient eu 90 morts et 300 blessés. La Gazette de l'Empire d'Allemagne fait observer que les premières dépêches du siége, émanant du prince Mentschikoff lui-même, ne doivent être acceptées que sous réserve. Ainsi cette feuille croit savoir que les premières pertes des Russes, loin de n'être que de 500 hommes, se seraient élevées à 1,200. Le Lloyd de Vienne dit qu'un vaisseau de ligne qui était à l'ancre dans le petit port et devait contribuer à la défense de la ville, a pris feu. C'est, ajoute-t-il, du côté sud, où les murs n'ont pas de terrasse, que la brèche sera ouverte facilement. On a calculé que les batteries anglaises et françaises pourraient jeter 23,600 bombes et boulets par jour contre la place, en tirant un coup toutes les dix minutes. Tous les forts de Sébastopol sont casematés; le plus grand de tous est le fort SaintNicolas. Entre les casemates se trouvent des fours à rougir les boulets. Les tranchées avaient mis les assiégeants si près des Russes, qu'on entendait leurs cloches, leurs prières, leur tambour, qu'on les voyait se mettre à genoux à cinq heures du

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Tous les habitants de Balaclava ont reçu l'ordre de partir immédiatement et de se retirer partout où ils le pourront. C'est le 10 qu'ils ont évacué la ville. On pense qu'ils voulaient incendier soit la flotte, soit Balaclava même pour opérer la destruction des immenses approvisionnements en tous genres que les alliés y ont accumulés.

On sait que les Russes n'ont tenté qu'une sortie sérieuse; voici, d'après une correspondance particulière du 12, comment elle a été repoussée:

La Hussos s'avançalent en bon ordre, leurs tirailleurs en avant; nous antrea, abrités derrière des murailles en terre ou des plis de terrain, nous tement immobiles à genoux ou couchés.

Inaque les tirailleurs des deux lignes furent à deux cents mètres, ils

commencèrent le feu qui fut bien soutenu tout d'abord par les Russes. Mais ce n'est pas un vain proverbe de parler de l'impétuosité française. Au bout de dix minutes, le général Canrobert, qui venait d'arriver, nous comInande en avant. Aussitôt nos tirailleurs s'élancent en avant, de pierre en pierre, en continuant le feu; nos bataillons déployés se lèvent comme un seul homme et marchent à la baïonnette. Le feu de la place, celui des troupes de sortie, rien ne les ébranle. Il a fallu, comme à Alma, que ce fussent les Russes qui tournassent le dos.

Nos tirailleurs de Vincennes ont poursuivi les Russes jusqu'à trois cents mètres sous le canon de la place.

Dans la Dobrutscha, les Russes s'avancent chaque jour davantage sur le territoire ottoman. Leur but n'est pas connu en core. Les Turcs cependant se mettent en devoir de les repousser.

Par mesure de précaution, le gouvernement français continue de renforcer l'armée d'Orient. Il y a en ce moment à Toulon et à Marseille toute une escadre de bâtiments à vapeur qui vont transporter plusieurs régiments en Crimée.

A. DES ESSARTS.

Nous avons reproduit le récit de la Gazette de Lyon sur la conduite du P. Parabère à la bataille de l'Alma. Nous pouvons aujourd'hui ajouter à ce récit très-incomplet quelques détails qui feront mieux comprendre les motifs et le caractère de la conduite de l'aumônier en chef de notre armée d'Orient.

Nous devons d'abord signaler, à l'honneur de nos soldats, une circonstance dont il n'a pas été question dans ce récit. Au moment même où le P. Parabère, ayant eu son cheval tué sous lui, prit un canon pour monture, des témoignages unanimes et enthousiastes d'affectueuse reconnaissance saluèrent cette nouvelle preuve de dévouement.

Une autre circonstance importante est que le P. Parabère s'est servi de sa monture improvisée uniquement pour suivre le mouvement de la division qui se portait en avant. Arrivé sur le lieu même du combat, il a mis pied à terre, comme il le fallait bien d'ailleurs le canon avait autre chose à faire alors qu'à le porter - et, s'attachant à cette admirable colonne des zouaves, il l'a suivie pas à pas pendant toute la lutte, relevant sous le feu les hommes qui tombaient, donnant l'absolution à ceux qui étaient frappés mortellement, et prodiguant ses soins aux autres blessés. C'est ainsi que le P. Parabère est arrivé avec les zouaves sur le plateau de l'Alma.

Du reste, l'armée d'Afrique connaissait depuis longtemps l'intrépidité comme le dévouement du P. Parabère, et l'on sait que c'est pour ce motif que le maréchal de Saint-Arnaud avait immédiatement jeté les yeux sur lui pour le mettre à la tête du corps des aumôniers de l'armée d'Orient. L'abbé J. COGNAT.

BULLETIN POLITIQUE DE L'ÉTRANGER ESPAGNE. - Une dépêche privée de Madrid, 24 octobre, nous annonce que, le 22, l'on avait célébré avec pompe une fête civique.

M. Luis Sagasti, gouverneur civil de Madrid, ordonne:

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