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ples ne vouloient pas être libres, c'eft-à-dire fe déclarer tels, faudroit-il pour cela les rendre à François ou aux électeurs? faudroit-il laiffer dans notre voifinage immédiat nos ennemis les plus acharnés? Si nous gardions ces pays, ferions - nous pour cela des defpotes, en leur faifant partager le bienfait de nos loix? Voilà de grandes queftions qui demanderoient une difcuffion approfondie. Cuftines a fait l'Alexandre; il a coupé le noeud-gordien, au lieu de le dénouer, & d'un mot il a tranché la difficulté fans la réfoudre.

Ce même général, dans une lettre à la convention, en a préfenté une autre qui n'eft pas moins importante. Il demande ce qu'il doit faire des émigrés qui ne font pas trouvés les armes à la main.

Il eft affez fingulier que Cuftines, qui a décidé de fon propre chef & en une phrafe la grande queftion des conquêtes d'un peuple libre, ait été fi modefte dans cette dernière demande, qu'il n'ofe décider d'après les principes de l'ademblée. Quant aux émigrés qui ne font pas pris les armes à la main, il eft clair, en lifant le décret qui les bannit, qu'ils ne peuvent pas être fur les terres de France; & que, comme il faut bien qu'ils foient quelque part, vous ne pouvez pas les punir d'obéir au décret & de refter en pays étranger, lorsqu'ils ne combattent pas contre vous.

On dira peut-être que la loi demande des exceptions, Non; elle n'en demande aucune, parce que les exceptions la détruiroient. Tous les émigrés n'étoient - il pas libres de ne pas émigrer, de ne pas fortir de France? Excepté les enfans en bas âge, tous pouvoient refter. Les femmes, les enfans pouvoient aisément refter dans leurs ci-devans châteaux, y vivre à peu de frais, & faire des facrifices pour la patrie, au lieu de la facrifier. Les domeftiques pouvoient changer de conditions; & euffent-ils dû perdre quelques années de gages, il falloit quitter des hommes qui les avoient payés fi mal. Quant aux foldats qui ont fervi fous ces émigrés, ce feroit être traître à la patrie que de propofer leur grace. Ont-ils fait, eux, quelques graces aux malheureux patriotes des frontières ont-ils fait quelques exceptions? Les Autrichiens, le roi de Pruffe, les émigrés, depuis qu'ils font entrés fur nos terres, ont-ils même propofé une amniftie? Pourquoi être fi doux envers des criminels? La loi du talion.

Nous favons qu'il exifte un parti qui défireroit abfoudre les émigrés fans conféquence; nous fayons que plu

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fieurs foldats qui ont porté les armes contre nous, fe trouvent actuellement auprès de Paris, & qu'on leur a promis une abfolution complète. Ce parti-là veut apparemment fe faire des amis. On voit qu'il n'est pas difficile. Pour parvenir plus sûrement à fon but, il voudroit bien trouver des patriotes en faute, & les incarcérer, les faire arrêter fous quelque prétexte, afin d'avoir une occafion de publier une amnistie générale qui parût être en faveur de ceux-ci, tandis que tout l'avantage en feroit pour les émigrés. C'étoit-là la conduite de Lafayette. Il fut bien-aife à tous égards, d'avoir trouvé l'occafion du champ de Mars; il perfécuta les patriotes, fit lancer contre eux des mandats d'arrêt, & enfuite profitant d'un moment d'enthoufiafme qu'il fut exciter, il fit promettre l'oubli du paffé. On crut avoir accordé une grande faveur aux patriotes, dont néanmoins un jugement auroit affuré l'innocence; & une nuée d'ariftocrates fortit des prifons, échappa aux fupplices; une autre rentra dans nos murs toutes deux y corrompirent l'opinion avilirent la faine partie de l'aflemblée législative, & nous caufèrent tous les maux dont nous gémillons.

Nous l'avons répété déjà jusqu'à la fatiété; il eft impolitique de laiffer prendre un général l'initiative fur une question. Indépendamment de toute autre considération, l'on connoît l'efprit français. Dès qu'un homme a remporté quelques avantages, ce n'eft plus un homme pour nous, c'est un Dieu; il nous entraîne avec une facilité, une rapidité inconcevable.

Ses exploits lui fervent de preuve. Un général peut trop aifément abufer de cette grande faveur, ou du moins nous conduire à de grandes fautes.

Si l'on modifioit le décret fur les émigrés, qu'arriveroit-il? On commettroit une injuftice; car fi dans votre fyttême d'égalité vous faites grace aux foldats, pourquoi ne pas accorder la même grace aux officiers ? pourquoi ne pas l'accorder aux chefs & aux princes mêmes ils font tous également coupables, dès qu'ils ont également combattu contre vous.

Le parti voit sûrement toutes ces conféquences; & c'est parce qu'il les voit, que vraisemblablement il veut l'amaittie. On ne peut fe diffimuler qu'il n'y ait des gens qui s'apitoyent fur le fort du ci devant roi, qui ne veuillent au moins qu'on lui faffe grace de la vie. Eh bien! ce parti veut ménager une dernière reffource à ce traître; car s'il eft condamné, il dira: Mais vous C 2

avez fait grace aux émigrés, à la majorité de mon parti; vous devez être juftes & impartiaux, & me faire grace à moi-même. En vain vous lui répondrez que c'est à caufe de lui que tous ces gens-là fe font rendus coupables. Il vous répliquera, avec raifon, que fans eux il n'auroit jamais conípiré contre votre conftitution; que ce font eux qui l'y ont porté; qu'il n'a pu réfifter à tant de fuggeftions perfides, & qu'il a pris leur intêrêt en main. Prenons garde; veillons ; nos ennemis nous tendent de tous côtés des piéges, & fi, une fauffe commifération, fi une pitié dangereuse nous emporte, la révolution n'eft pas encore finie.

Il paroît que l'on s'entend pour donner des entorfes à la loi. La convention vient de fufpendre la démolition de Longwy. Par cette marche vacillante, cette fluctuation dans la légiflation, l'on ne faura bientôt plus à quoi s'en tenir. N'eft-il pas néceffaire de faire un grand exemple? Et fi l'on oublie ainfi fa promeffe & fa jufte vengeance, qui vous a dit que les lâches ne tiendront pas une pareille conduite en pareille occafion? Etesvous bien sûrs que l'ennemi ne viendra pas l'année prochaine attaquer quelqu'une de vos villes; qu'il ne viendra jamais? Oui. Le feu, en purifiant ce fol empesté en n'y laiffant que quelques débris fumans, quelques racines noircies par la flamme vengereffe, épouvanteroit par une terrible leçon tous les pareils de Longwy & de Verdun. Qui vous a dit que ce décret n'a pas épouvanté quelques lâches à Thionville & même à Lille? Il faut dans de telles ames oppofer frayeur à frayeur ; elles craignent les ennemis eh bien ! qu'elles nous craignent encore davantage.

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Il n'y auroit qu'un cas où il faudroit fufpendre en effet l'exécution du décret : c'eft s'il étoit vrai, comme on l'a dit, que les corps adminiftratifs & judiciaires euffent forcé les habitans de fe rendre; encore ç'eût été le motif d'une fainte infurrection. Mais on s'y prend bien ! tard pour nous donner des nouvelles qui paroiffent faites après coup, pour nous préfenter de telles dénonciations; elles reffemblent à celles du bataillon de Mayenne & Loire, qui vient, un mois après la prife de Verdun, accufer ceux des fiens qui avoient parlé de le livrer.

Comment Merlin a-t-il propofé de tranfporter les braves Lillois dans ces deux villes fcélérates, & de leur en donner les maifons? Qni d'entre eux voudroit habiter Verdun ou Longwy? Si les Lillois ont droit à quelque propriété, c'eft certainement celle du fol qu'ils

ont fi bien défendu. Faut-il, pour les récompenfer, les arracher aux lieux qui les ont vus, naître, à leur commerce, à leurs habitudes, au théâtre de leur gloire, pour les tranfporter fur une terre déshonorée ?

Venons à Montefquiou. La conduite de celui-ci eft auffi lâche qu'étrange; fa capitulation avec les magnifiques de Genève eft un monument d'opprobre pour la nation française il la met aux pieds des ariftocrates Genevois qui nous font la loi lorfqu'ils devoient la recevoir de nous. Il y a de la part de Montefquiou infamie ou trahifon; & l'on s'étonne que ce général ne foit pas mandé pour rendre compre de fa conduite. Le confeil exécutif & à fon défaut la convention nationale doivent se hâter de le rappeler s'ils ne veulent pas partager fa honte. Trop de gens difent déjà tout haut que le traité étoit foufcrit d'avance à Paris. Voici l'extrait de quelques lettres qui donneront une idée de la conduite de Montefquiou :

« On ne conçoit rien au traité de votre général avec le confeil. genevois. Il eft ftipulé que les troupes fuiffes ne peuvent evacuer Genève que le 2 décembre; les troupes françaifes doivent fe retirer à dix lieues à la ronde, & la groffe artillerie rentrer dans les places de guerre; en forte que la Savoie & le district de Gex feront à la merci des Suiffes, qui ne prennent pas le même engagement, & qui ne fe trouveront qu'à deux lieues. Les troupes françaifes, campées fous des tentes où l'eau pénètre de toutes parts, font indignées de leur inaction, tandis que leurs camarades volent de victoire en victoire. Montefquiou fait battre au champ lorique les magiftrats de Genève vont le voir; & ceux-ci chatient de Genève tous les Français qui réfufent de s'armer contre leur patrie; en vain trois mille Genevois expatriés ont follicité l'appui du général: il n'écoute que les infinuations des affociés de Coblentz, de ces hommes qui ne parlent des Français patriotes qu'en les traitant de brigands, & qui ont écrit contre la révolution les libelles les plus atroces, les plus infâmes calomnies. Comment fe faitil que le général traite avec des égards marqnés les plus grands & les plus criminels ennemis de la république françaife, & laiffe languir non-feulement fes troupes, mais la nation genevoife entière, qui demande à être débarraffée des tyrans qui l'oppriment & la déshonorent?

» Nos braves frères les Français ont été faifis d'indignation à la lecture de l'infâme traité de Montefquiou avec le confeil; auffi pour les appaifer, on avoit répandu dans le camp que le gouvernement de Genève donnoit une conibution de plufieurs millions. Mais ce qui eft plus honteux,

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ce qui eft plus odieux mille fois, c'eft le motif employé auprès du général pour accepter le terme de la retraite des Suiffes jufqu'au premier décembre, pour contenir les mécontens, ont-ils dit: (c'eft-à-dire, les patriotes) pendant ce terme, la garnifon ordinairement de cinq cents hommes mais dont le complet eft de fept cents, non cazerés, doit être portée à dix mille hommes cagernes, & compofée de Suiffes licenciés en France.

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» Il faut obferver que ce triplement de garnison eft en même-temps une mesure hoftile contre la France, parce qu'en tenant Genève fous la dépendance du gouvernement, elle favorife l'entrée des Piémontais, au befoin des Suiffes, par la voie du lac, dans une ville qui eft la clef de la Savoie & de la France jufqu'à Lyon.

>>Ce qui met le comble à la perfidie de Montefquiou, c'est que ce traître a fait parvenir aux magnifiques une adreffe qui lui étoit préfentée par nos malheureux patriotes; ainfi, la lifte des fignatures va devenir une lifte de profcription. Nous le répétons non-feulement le traité fait par Montefquiou doit être annullé dans tous les points, mais le général qui l'a foufcrit mérite d'être puni. La convention nationale nous doit en fa perfonne un grand exemple.

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>>La convention favo:fienne, affemblée à Chambéry, vient de déclarer que le roi de Turin n'avoit plus aucun droit sur la Savoie libre.

» Elle vient de prononcer son vou, pour fe réunir à la république françaife, & le citoyen Simon, député du BasRhin à la convention nationale françaife, actuellement à Chambéry, fera chargé de le porter à Paris ».

Le bruit court que l'empereur François vient de mourir d'une hémorragie.

Du décret d'exclufion.

Un mois s'eft écoulé à peine, & déjà la convention a mérité des reproches, des reproches graves. Eft-ce pour aller au-devant, que famedi 27 octobre elle a porté contre elle même un décret févère, mais attentatoire aux droits du peuple? Les facrifices que renferme ce décret serontils agréés de la nation juftèment jaloufe d'exercer dans toute fa plénitude la faculté précieufe qu'elle a de récompenfer ou de châtier fes législateurs, en leur confervant ou en leur retirant fa confiance?

La propofition de cette loi, faite par Genfonné, fans doute dans des intentions pures, donna lieu à un beau mouvement. Mais nous fommes familiarifés avec ces élans de patriotifme & de défintéreffement qui n'amendent

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