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traire en plein? Nous leur demandons un texte, ils citent l'article 1134, qui porte que les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Les auteurs du code civil auraient été bien étonnés si on leur avait appris qu'en formulant un principe d'équité, ils fondaient un privilége! Nous comprenons le privilége, mais nous demandons qu'il soit réglé par la loi. Aubry et Rau se font législateurs. Ils décident, par application de leur principe, que le possesseur n'a pas le droit de rétention; puis ils imaginent un moyen qui permet au juge de lui accorder indirectement ce que le principe ne permet pas de lui donner directement: si le propriétaire, disent-ils, ne présente pas de garanties suffisantes de solvabilité, le juge peut subordonner l'exécution de la condamnation en délaissement au payement des sommes qui seraient dues au possesseur (1). Les deux opinions que nous venons d'exposer reviennent à dire, celle de M. Demolombe le possesseur a le droit de rétention, mais le juge peut le lui enlever; celle de MM. Aubry et Rau: le posses-eur n'a pas le droit de rétention, mais le juge peut le lui donner. Toujours le pouvoir discrétionnaire du juge! Nous n'admettons ce pouvoir que lorsque la loi le consacre.

(1) Aubry et Rau, t. III, p. 45 et note 5, p. 118 et note 18.

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§ Ier. Qu'est-ce que l'accession?

182. L'article 546 porte : « La propriété d'une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s'appelle droit d'accession. » Au livre III (art. 712), l'accession est rangée parmi les modes d'acquérir la propriété. On a critiqué cette doctrine. Bien que la question soit de la question soit de pure théorie, il faut nous y arrêter un instant, parce qu'il importe d'avoir des idées nettes et précises sur toutes choses. L'accession repose sur ce principe que la propriété de la chose, dite principale, emporte la propriété de la chose dite accessoire, parce que celle-ci est une dépendance de la première. Cela est-il exact? J'ai un fonds qui produit des fruits; les fruits m'appartiennent est-ce en vertu du droit d'accession? Tant que les fruits sont pendants par branches et par racines, ils font corps avec le sol, à ce point que la loi les considère comme immeubles par nature; il est donc impossible, dans cet état de choses, de distinguer le sol des fruits, en considérant le sol comme principal et les fruits comme accessoire. Lorsque les fruits sont séparés, deviennent-ils alors une propriété par droit d'accession? Les fruits étaient à moi et ils restent à moi comme conséquence du droit de propriété. En effet, la propriété n'est-elle pas le droit de jouir, c'est-à-dire de percevoir les fruits? Parfois les fruits appartiennent au possesseur, de préférence au propriétaire: est-ce par droit d'accession? La question n'a pas de sens; car le principal n'appartient pas au pos

sesseur, il a donc droit à l'accessoire sans avoir droit au principal ce qui est tout le contraire du droit d'accession.

Le maître du sol devient propriétaire des constructions et des plantations qu'un tiers possesseur y a faites. Est-ce à titre d'accession? Il y a un cas où il en peut demander la destruction, il faut donc une manifestation de volonté pour qu'il devienne propriétaire, ce qui exclut le pur droit d'accession. Alors même qu'il doit conserver les constructions et plantations, peut-on dire qu'il acquiert une chose accessoire moyennant une chose principale? Non, car la chose dite accessoire s'est confondue avec la chose principale, elle n'existe plus telle qu'elle était, on ne peut donc pas dire que la propriété en est transmise (1).

183. Si le droit d'accession était un vrai mode d'acquisition de la propriété, il y aurait un vice de classification dans le code civil; la matière aurait dû être traitée au livre III, intitulé: Des différentes manières dont on acquiert la propriété. Légalement parlant, le vice existe (art. 712). Nous suivons, comme d'habitude, l'ordre du code, par respect pour la loi, respect qu'il faut prêcher d'exemple quand on parle aux jeunes générations.

Dans la théorie du code, une chose est l'accessoire d'une autre, ou parce qu'elle en a été produite, ou parce qu'elle y a été unie. De là la division de la matière. Avant de l'exposer, nous devons examiner une théorie fondée en apparence sur l'accession, et qui a été, en réalité, imaginée par les auteurs et par la jurisprudence.

§ II. De l'accessoire et du principal.

184. C'est une vieille maxime de droit que l'accessoire suit le principal. Nous ne rechercherons pas avec Proudhon si c'est une règle universelle de la création; notre rôle est plus modeste, c'est de constater d'abord les applications que le code civil fait de cet adage; nous verrons ensuite

(1) Demolombe, t. IX, p. 509, nos 573 et suiv. Ducaurroy, Bonnier et Roustain, t. II, p. 58, no 94. Duranton, t. IV, p. 292, nos 345 et 346. Marcadé, t. II, p. 393, art. 546, no 1.

ce qu'il faut penser de l'application nouvelle que la jurisprudence a consacrée et que la doctrine a essayé de justifier.

L'obligation de livrer la chose qui incombe au vendeur comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel (art. 1615). Cette obligation se fonde sur l'intention évidente des parties contractantes; on n'a pas besoin, pour l'expliquer, de recourir à la théorie de l'accessoire et du principal. Il en est de même en matière de legs la chose léguée doit être délivrée avec les accessoires nécessaires (art. 1018); cette disposition est également fondée sur la volonté du testateur. L'article 1692 dit que la vente d'une créance comprend les accessoires de la créance, tels que caution, privilége et hypothèque. Il suffit encore une fois de l'intention des parties contractantes pour justifier cette disposition, et c'est aussi la volonté des parties qui donne la solution des difficultés qu'elle présente. Aux termes de l'article 2016, le cautionnement indéfini d'une obligation principale s'étend à tous les accessoires de la dette; le cautionnement peut être plus ou moins étendu, selon l'intention des parties contractantes; c'est donc encore l'intention qui décide. Enfin le créancier hypothécaire peut poursuivre l'expropriation des biens hypothéques et de leurs accessoires réputés immeubles (article 2204). Proudhon, après avoir cité ces articles, ajoute : L'empire de la règle qui veut que l'accessoire subisse le sort du principal étend partout sa domination, et ne reconnaît point de borne (1). » Cette proposition est évidemment exagérée. Le principe a ses bornes dans la volonté des parties intéressées, elles peuvent comprendre dans leurs conventions les accessoires ou les en exclure, preuve que ce n'est pas le principe, mais la volonté des contractants ou du testateur qui décide.

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185. On dirait que la jurisprudence s'est inspirée des paroles de Proudhon. Voici la conséquence qu'elle a déduite de l'article 546, telle qu'elle est formulée par les éditeurs de Zachariæ: «Le propriétaire de la chose es

(1) Proudhon, Du domaine de propriété, no 526.

légalement présumé propriétaire des accessoires qui en forment une dépendance nécessaire (1). » Il suffit de lire l'article 546 et la définition que le code donne des présomptions, pour se convaincre que la jurisprudence, et la doctrine qui s'y appuie, n'a pas trouvé cette présomption dans l'article 546, qu'elle l'a au contraire créée, ce qui veut dire qu'au lieu d'interpréter la loi, elle l'a faite. Les présomptions, dit l'article 1349, sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu; l'article 1350 ajoute que la présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits. Comme exemples, le code cite les cas dans lesquels la loi déclare la propriété résulter de certaines circonstances déterminées : telle est la présomption de mitoyenneté etablie par l'article 653 : le législateur y dit formellement quelles sont les circonstances qui font présumer la mitoyenneté d'un mur. En est-il de même de l'article 546? Le mot de présomption ne s'y trouve pas, et la chose pas davantage. Quel est le seul but de l'article? C'est de determiner les cas dans lesquels il y a lieu au droit d'accession; il expose la division de la matière, puis viennent les détails dans les articles qui suivent. Dans une de ces dispositions, l'article 553, le code établit des présomptions; mais il a soin de le dire et d'expliquer en quoi elles consistent. Voilà une de ces lois spéciales qui, d'après l'article 1350, créent des présomptions. Nous le demandons, est-ce établir une presomption de propriété que de dire qu'il y a lieu au droit d'accession pour les fruits? Est-ce établir une présomption que de dire que les choses unies par construction, plantation, alluvion, melange, adjonction ou spécification sont l'objet du droit d'accession? Nous venons de dire que dans toute la matière de l'accession il n'est question que de conséquences de la propriété; est-ce qu'une conséquence de la propriété est une présomption (2)? Nous allons entrer dans le détail des présomptions que l'on a déduites de l'article 516, et nous essayerons de

(1) Aubry et Rau, t. II, p. 180, 2o.

(2) Comparez, dans le sens de notre opinion, Dwauton, t. V, p. 224, n° 240.

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