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de succéder; soit par l'ordre naturel et celui des lois qui appellent aux successions les descendans, les ascendans et les autres proches, ou par la volonté de ceux qui meurent et qui nomment des héritiers. On verra, dans le plan des matières du droit, la distinction de ces manières de succéder, et l'ordre du détail de la matière des successions; et il faut seulement remarquer ici que les successions doivent être distinguées des engagemens qui ont fait la matière des chapitres précédens; car, encore que les successions fassent un engagement où entrent ceux qui succèdent à d'autres, qui les oblige à leurs charges, à leurs dettes et aux autres suites, ce n'est pas sous l'idée des engagemens qu'il faut considérer les successions; mais elles doivent être regardées par la vue du changement qui fait passer les biens, les droits, les charges, les engagemens de ceux qui meurent à leurs successeurs; ce qui renferme une diversité de matières d'un si grand détail, qu'elles feront une des deux parties du livre des lois civiles.

CHAPITRE VIII.

De trois sortes de troubles qui blessent l'ordre de la société.

1. On voit dans la société, trois sortes de troubles qui en blessent l'ordre : les procès, les crimes, les guerres.

2. Les procès sont de deux sortes, selon les deux manières dont les hommes se divisent et entreprennent les uns sur les autres ceux qui ne regardent que le simple intérêt, qu'on appelle procès civils, et ceux qui sont les suites des querelles, des délits, des crimes, qu'on appelle procès criminels; c'est assez de remarquer ici en général que toutes sortes de procès font une des matières des lois civiles qui règlent les manières dont les procès s'intentent, s'instruisent et se terminent, ce qui s'appelle l'ordre judiciaire.

3. Les crimes et délits sont infinis, selon qu'ils regardent différemment l'honneur, la personne, les biens: et la punition des` crimes est encore une matière des lois civiles qui ont pourvu par trois différentes vues à les réprimer, l'une, de corriger les coupables (p. 42, 49, C. civ. 298, 308, 376, 468, i. 619.), l'autre de réparer autant qu'il se peut les maux qu'ils ont faits (i. 121.); et la troisième, de retenir les méchans par l'exemple des punitions (p. 141,s. 219, 241 s.); et c'est par ces trois vues que les lois ont proportionné les peines aux crimes et aux divers délits.

4. Les guerres sont une suite ordinaire des différends qui arrivent entre les souverains de deux nations, qui, étant indépendans les uns des autres, et n'ayant pas de juges communs, se font eux-mêmes justice par la force des armes, quand ils ne peuvent ou ne veulent pas avoir de médiateurs qui fassent leur paix; car, alors ils prennent pour lois et pour décision de leurs différends les événemens que Dieu donne aux guerres. Il y a aussi une autre

sorte de guerres qui ne sont qu'un pur effet de la violence et des entreprises d'un prince ou d'un état sur ses voisins : et il y en a enfin qui ne sont que des rébellions des sujets révoltés contre leurs princes.

Le roi est chef suprême de l'état, commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les réglemens et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'état (1).

Les guerres ont leurs lois dans le droit des gens, et il y a des suites de guerre qui sont des matières des lois civiles.

5. Il ne reste, pour finir le plan de la société, que de considérer comment elles subsiste dans l'état présent, avec si peu d'usage de l'esprit des premières lois qui devaient en être l'unique lien.

CHAPITRE IX.

De l'état de la société après la chute de l'homme, et comment Dieu la fait subsister.

1. Tout ce que l'on voit dans la société de contraire à l'ordre, est une suite naturelle de la désobéissance de l'homme à la première loi qui commande l'amour de Dieu; car, comme cette loi est le fondement de la seconde qui commande aux hommes de s'aimer entre eux, l'homme n'a pu violer la première de ces deux lois sans tomber en même temps dans un état qui l'a porté à violer aussi la seconde, et à troubler par conséquent la société. La première loi devait unir les hommes dans la possession du souverain-bien, et ils trouvaient dans ce bien deux perfections qui devaient faire leur commune félicité: l'une, qu'il peut être possédé de tous, et l'autre qu'il peut faire le bonheur entier de chacun. Mais, l'homme ayant violé la première loi, et s'étant égaré de la véritable félicité qu'il ne pouvait trouver qu'en Dieu seul, il l'a recherchée dans les biens sensibles où il a trouvé deux défauts opposés à ces deux caractères du souverain-bien: l'un, que ces biens ne peuvent être possédés de tous; et l'autre, qu'ils ne peuvent faire le bonheur d'aucun; et c'est un effet naturel de l'amour et de la recherche des biens où se trouvent ces deux défauts, qui portent à la division ceux qui s'y attachent; car, comme l'étendue de l'esprit et du cœur de l'homme formé pour la passion d'un bien infini, ne saurait être remplie de ces biens bornés qui ne peuvent être à plusieurs; ni suffire à un seul pour le rendre heureux, et c'est ensuite de cet état où l'homme s'est mis, que ceux qui mettent leur bonheur à posséder des biens de cette nature, venant à se rencontrer dans les recherches des mêmes objets, se divisent entre eux, et violent toutes sortes de liaisons et d'enga(1) Charte, art. 14.

gemens, selon les engagemens contraires où les met l'amour des biens qu'ils recherchent.

2. C'est ainsi que l'homme, ayant mis d'autres biens à la place de Dieu qui devait être son unique bien, et qui devait faire sa félicité, a fait de ces biens apparens, son bien souverain où il a placé son amour et où il établit sa béatitude; ce qui est en faire sa divinité (1), et c'est ainsi que par l'éloignement de ce seul vrai bien qui devait unir les hommes, leur égarement à la recherche d'autres biens les a divisés (2).

C'est donc le déréglement de l'amour qui a déréglé la société, et, au lieu de cet amour mutuel dont le caractère était d'unir les hommes dans la recherche de leur bien commun, on voit régner un autre amour tout opposé dont le caractère lui a justement donné le nom d'amour-propre, parce que celui en qui cet amour domine ne recherche que des biens qu'il se rend propres, et qu'il n'aime dans les autres que ce qu'il en peut rapporter à soi.

C'est le venin de cet amour qui engourdit le cœur de l'homme et l'appesantit; et qui, ôtant à ceux qui possèdent la vue et l'amour de leur vrai bien, et bornant toutes leurs vues et tous leurs désirs au bien particulier où il les attache, est comme une peste universelle et la source de tous les maux qui inondent la société; de sorte qu'il semble que, comme l'amour-propre en ruine les fondemens, il devait la détruire; ce qui oblige à considérer de quelle manière Dieu soutient la société dans le déluge des maux qu'y fait l'amour-propre.

3. On sait que Dieu n'a laissé arriver le mal que parce qu'il était de sa toute-puissance et de sa sagesse d'en tirer le bien, et un plus grand bien qui n'aurait été qu'un état de biens, sans aucun mélange de maux. La religion nous apprend les biens infinis que Dieu a tirés d'un aussi grand mal que l'état où le péché avait réduit l'homme, et que le remède incompréhensible dont Dieu s'est servi pour l'en tirer, l'a élevé dans un état plus heureux que celui qui avait précédé sa chute. Mais, au lieu que Dieu a fait ce changement par une bonne cause et qui n'est que de lui, on voit dans sa conduite sur la société, que d'une aussi méchante cause que notre amourpropre, et d'un poison si contraire à l'amour mutuel qui devait être le fondement de la société, Dieu en a fait un des remèdes qui la font subsister; car, c'est de ce principe de division qu'il a fait un lien qui unit les hommes en mille manières, et qui entretient la plus grande partie des engagemens. On pourra juger de cet usage de l'amour-propre dans la société, et du rapport d'une telle cause à un tel effet par les réflexions qu'il sera facile de faire sur la remarque qui suit.

La chute de l'homme ne l'ayant pas dégagé de ses besoins, et les ayant au contraire multipliés, elle a aussi augmenté la néces(1) Sep. 13, 3. (2) Jacob, epist. 41, id. 2.

sité des travaux et des commerces, et en même temps la nécessité des engagemens et des liaisons; car, aucun ne pouvant se suffire seul, la diversité des besoins engage les hommes à une infinité de liaisons sans lesquelles ils ne pourraient vivre.

Cet état des hommes porte ceux qui ne se conduisent que par l'amour-propre, à s'assujettir aux travaux, aux commerces et aux liaisons que leurs besoins rendent nécessaires; et pour se les rendre utiles, et y ménager, et leur honneur, et leur intérêt, ils y gardent la bonne foi, la fidélité, la sincérité, de sorte que l'amourpropre s'accommode à tout pour s'accommoder de tout; et il sait si bien assortir ses différentes démarches à toutes ses vues, qu'il se plie à tous les devoirs, jusqu'à contrefaire toutes les vertus ; et chacun voit dans les autres, et s'il s'étudiait, verrait en soi-même les manières si fines que l'amour-propre sait mettre en usage pour se cacher, et s'envelopper sous les apparences des vertus mêmes qui lui sont les plus opposées.

On voit donc, dans l'amour-propre, que ce principe de tous les maux est dans l'état présent de la société une cause d'où elle tire une infinité de bons effets qui, de leur nature, étant de vrais biens, devraient avoir un meilleur principe; et qu'ainsi on peut regarder ce venin de la société comme un remède dont Dieu s'est servi pour la soutenir; puisqu'encore qu'il ne produise en ceux qu'il anime que des fruits corrompus, il donne à la société tous ces avantages.

4. Toutes autres causes dont Dieu se sert pour faire subsister la société, sont différentes de l'amour-propre, en ce qu'au lieu que l'amour-propre est un vrai mal dont Dieu tire de bons effets, les autres sont des fondemens naturels de l'ordre; et on peut en remarquer quatre de différens genres qui comprennent tout ce qui maintient la société.

Le premier est la religion qui fait tout ce qu'on peut voir dans le monde, qui soit réglé par l'esprit des premières lois;

Le second est la conduite secrète de Dieu sur la société dans tout l'univers ;

Le troisième, est l'autorité que Dieu donne aux puissances; Le quatrième est cette lumière restée à l'homme après sa chute, qui lui fait connaître les règles naturelles de l'équité; et c'est par ce dernier qu'il faut commencer par remonter aux autres.

5. C'est cette lumière de la raison qui, faisant sentir à tous les hommes les règles communes de la justice et de l'équité, leur tient lieu d'une loi (1) qui est restée dans tous les esprits, au milieu des ténèbres que l'amour-propre y a répandues; ainsi, tous les hommes ont dans l'esprit les impressions de la vérité et de l'autorité de ces lois naturelles, qu'il ne faut faire tort à personne ; qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient ; qu'il faut étre sincère dans les (1) Rom. 2, 14, 1. 7, ff. de bon. damu.

engagemens, fidèle à exécuter ses promesses, et des autres règles semblables de la justice et de l'équité; car la connaissance de ces règles est inséparable de la raison, ou plutôt la raison n'est ellemême que la vue et l'usage de toutes ces règles.

Et quoique cette lumière de la raison, qui donne la vue de ces vérités à ceux qui en ignorent les premiers principes, ne règne pas en chacun de telle sorte qu'il en fasse la règle de sa conduite, elle règne en tous de telle manière, que les plus injustes aiment assez la justice pour condamner l'injustice des autres et pour la hair, et, chacun ayant intérêt que les autres gardent ces règles, la multitude prend le parti pour y assujettir ceux qui y résistent et qui font tort aux autres: ce qui fait sentir que Dieu a gravé dans tous les esprits cette espèce de connaissance et d'amour de la justice, sans quoi la société ne pouvait durer; et c'est par cette connaissance des lois naturelles, que les nations mêmes qui ont ignoré la religion ont fait subsister leur société.

6. Cette lumière de la raison que Dieu donne à tous les hommes, et ces bons effets qu'il tire de leur amour-propre, sont des causes qui contribuent à soutenir la société des hommes par les hommes mêmes. Mais on doit y reconnaître un fondement plus essentiel et plus solide, qui est la conduite de Dieu sur les hommes, et cet ordre où il conserve la société dans tous les temps et dans tous les lieux, par sa toute-puissance et par sa sagesse.

C'est par la force infinie de cette toute-puissance que, contenant l'univers comme une goutte d'eau et un grain de sable (1), il est présent partout; et c'est par la douceur de cette sagesse qu'il dispose et ordonne tout (2).

C'est par sa providence universelle sur le genre humain qu'il partage la terre aux hommes, et qu'il distingue les nations par cette diversité d'empires, de royaumes, de républiques et d'autres états; qu'il en règle et l'étendue et la durée par les événemens qui leur donnent leur naissance, leur progrès, leur fin; et que, parmi tous ces changemens, il forme et soutient la société civile dans chaque état, par les distinctions qu'il fait des personnes pour remplir tous les emplois et toutes les places, et par les autres manières dont il règle tout (3).

7. C'est cette providence qui, pour maintenir la société, y établit deux sortes de puissances propres à contenir les hommes dans l'ordre de leurs engagemens.

La première est celles des puissances naturelles, qui regardent les engagemens naturels comme est la puissance que donne le mariage au mari sur la femme (4) (C. civ. 214. s.), et celle que donne la naissance aux parens sur leurs enfans (5). (C. civ. 371. s.) Mais ces puissances étant bornées dans les familles, et restreintes à l'or

(1) Is. 40, 15. (2) Sap. 8, 1. (3) Is. 42, 5. (4) Ephes. § 23. 1 Cor. 11, 3. Gen. 3, 16. (5) Ephes. 6, 1. Eccles. 3, 8, 2.

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