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nation dont il vient de commander le meurtre: ce forfait étoit encore inconnu dans l'histoire.

Enfin les Marseillois & les Bretons ne font plus feuls à foutenir l'artillerie cachée des Suiffes. La cavalerie de la gendamerie nationale, qui a eu tant de part à la gloire de cette journée qui fans elle eût été plus fanglante, pour les patriotes, accourt fans héfiter un moment, fond far les cafernes aves impétuofité, & y met le feu; quarante chevaux & vingt-cinq cavaliers teftèrent fur la place; un trompette de 12 ans a fon cheval tué fous lui; fon fang-froid; ne l'abandonne pas il coupe la sangle, prend fon porte-manteau, & va fe placer dans les rangs de l'infanterie: nous regrettons de ne pouvoir donner le nom de ce brave enfant. Les piques ne le cédèrent point aux gendarmes pour le courage; elles bravèrent Partillerie, & furent très-utiles mêlées aux baïonnettes,

Cependant les Suiffes, chaffés de leur caferne par le feu, fuient vers le château. Les troupes Marseilloises, Bretonnes & Parifiennes tiroient deffus à mesure qu'ils fortoient; parmi eux, qui voudra le croire, il fe trouva beaucoup de gardes nationaux en uniformes; ces traîtres) à la patrie eurent tous leur falaire. La confufion donna d'abord lieu à quelqués méprifes malheureuses; les Suiffes avoient du canon, mais le nôtre, parfaitement fervi par les Marseillois, balaya beaucoup d'ennemis; le carnage devint horrible dans l'intérieur du château, où les lâches qui avoient pu s'y rendre fe joignirent aux valets de la cour tous armés auffi, & difpofés à foutenir un combat qu'ils ne croyoient pas devenir auffi férieux. Le veftibule, le grand efcalier, la chapelle, toutes les antichambres, tous les corridors, la falle du trône, celle du confeil, inondés à la fois de toutes le peuple, furent teints du fang des Suiffes & des domeftiques du prince, & jonchés de leurs cadavres. La couleur de l'habit & la livrée fervitent à les faire reconnoître. Coupables de la plus infigne trahifon, ils furent traités fans pitié; la justice du peuple fe montra dans toute fon horreur; on pénétra par-tout pour découvrir les traîtres. Un abbé, précepteur du fils de Louis XVI, en avoit recelé huit dans fon appartement, au fond d'une grande armoire dont il tenoit encore les clefs quand on vint faire perquifition chez lui; fon air embarraffé le décéla, il fut immolé lui & ceux qu'il vouloit fouftraire à la vind te publique.

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l'Abbé Bouillon ne put s'y fouftraire non plus que Cler? mont-Tonnerre, qui fut atteint rue de Sêves-Saint-Ger main. Le bel efprit des ariftocrates, celui que la reine, pour le récompenfer de l'avoir fait rire aux dépens des patriotes, avoit doté de 25 mille liv. de rentes fur la lifte civile, en le mariant à une très-belle femme, Suleau vêtu en grenadier national, fut reconnu & mis à mort, comme il rodoit autour du château; il s'étoit vanté, la veille que le roi pouvoit compter fur 10 mille hommes capables de mettre en déroute tous les parifiens enfemble.

Des traits de généroi té feroient perdus: pour les ames cadavéreufes de la cour; il ne leur faut que des exemples de terreur. Le peuple leur en donna, il ne fit grace à aucun des habitués du château. Les Suifles & autres cachés dans les combles furent précipités en bas, d'autres fureng atteints dans les latrines, d'autres dans les euifines, où l'on frappa de mort depuis les chefs d'office, jufqu'au dernier marmiton, tous, complices de leur maitre, & devenus étrangers à la nation. On chercha jufque dans les caves, où l'on trouva plufieurs, milliers de torches appareminent depofées là pour incendier Paris au fignal du moderne Neron. On ne fe borna point au châteaug les fuyards habillés de rouge furent, pourfuivis dans tout le jardin & jufque dans les Champs-Elysées, fur la terraffe du palais y celle du côté de l'eau, dans le bois, dans les baffins, dans le jardin du petit prince, on en tua par-tout; on porta la fureur jufqu'à égorger les Suiffes de portes dans leurs loges ils devoient partager le fort de leurs camarades, puifqu'ils étoient d'intelligence avec eux. L'empreffement des portiers du Carroufel à ouvrir au peuple, étoit unt piége digne du dernier fupplice.

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Soixante Suiffes furent jugés prévôtalément & exécutés fur la place de la maison commune. On fe porta chez dAffry, rue des Saints Pères, mais ce courtifan fuisse se déroba aux recherches par les derrières de fon hôtel, passa dans le dépôt provifoire des monumens de Paris, rue des Petits-Auguflins; là, il fut confié à une forte pha lange de gardes nationaux, qui eurent beaucoup de peine à le conduire fain & fauf à la prifon de l'Abbaye, où ib eft enfermé. Sans doute que, juftice lui fera faite; il ne faut pas perdre de vue ce vieillard fanguinaire.

Quittons un moment le château pour nous arrêter au

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jardin de l'Infante, que le bataillon de Saint Germain l'Auxerrois efcalada avec intrépidité. Jamais on ne montra plus d'ardeur dans un affaut. Les amis du roi, placés dans cette partie du Louvre où le miniftre de la guerre tient fes bureaux, tiroient fur le peuple. Ces bêtes féroces en habit noir s'étoient poftées là pour faire diverfion, & pour fe faire un mérite auprès de Medicis-Antoinette & de fon Charles IX: Au haut des Champs-Elyfées, les Suiffes de Courbevoie parurent, on leur fignifia un ordre du rof de rendre leurs armes; ils obéirent, & s'en retournèrent. Ils purent voir quelques corps de leurs camarades étendus fans vie. Un ci-devant monté fur un cheval blanc ne put défendre la Genne. Le peuple en voyant le cavalier & la monture couchés par terre, difoit: il nous manque encore un autre cheval blanc. Mais fans doute que les commiffaires envoyés par le corps légiflatif pour infpecter nos quatre armées, amenderont le décret du 8 août.

Le peuple fe partagea la dépouille des morts, non pas pour s'en revêtir; les fans-culottes ne vouloient avoir qu'un lambeau à montrer, figne de leur victoire fur les valets armés du prince. Ils manifeftèrent la même modération, ou plutôt la même générofité quant aux effets précieux dont le château étoit rempli. On vit des citoyens à peine vêtus porter fans les ouvrir à l'affemblée nationale, des bourfes pleines de jettons d'or & d'argent, les pierreries de la reine, l'argenterie de la chapelle & de la table, un chapeau plein de louis, beaucoup d'affignats, des lettres entre autres, une de Lafayette qui n'eft point à fa décharge; d'autres citoyens s'emparèrent du tréfor. des Suiffes, & allèrent en triomphe le dépofer fur le bureau de l'affemblée, taudis que les officiers qui émigrent emportent avec eux la caiffe de leur régiment..

Beaucoup de meubles furent brifés, prefque toutes les glacés volèrent en éclats: Médicis-Antoinette y avoit étu diée trop long-temps l'air hypocrite qu'elle montroit en public. Le vin trouvé chez les Suiffes ne fut point épargné, mais les moindres larcins furent auffi-tôt punis qu'apperçus. Un filou perdit la vie dans le château même, affommé par ceux qui le prirent fur le fait. Cent autres voleurs reçurent le même châtiment dans le reste de la journée, pendant la nuit & le lendemain.

Nous avertiffons les bourgeois qui fermèrent fi exacte
N°. 161. Tomé 13.

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ment leurs magafins fur le paffage des fans-culottes armés pour la caufe commune, d'être à l'avenir plus circonfpects dans leurs propos; nous les prévenons que des fansculottes les ont entendu dire dans plufieurs rues: Tous ces gens armés qui ont fait le fiége du château des Tuileries, n'ont rien à perdre; que risquent-ils ? - Cette horrible ingratitude a été fentie par eux; bourgeois.couards, respectez, honorez mieux des hommes à qui vous devez la tranquillité où vous êtes, & ne les portez pas à pousser plus loin leurs réflexions à votre égard.

Le corps politique partagea les mêmes préventions contre le peuple, dans un placard où il lui recommanda de respect pour les propriétés. Le peuple n'avoit pas befoin de cette injonction humiliante; s'il commit quelques dégâts au château des Tuileries & dans les bâtimens qui en dépendent, il ne s'y permit point de baffeffes.

Quel tableau offroit Paris, & fur-tout le lieu de la fcène vers le foir de la journée du 10 août, qui effacera peut-être le 14 juillet. Tous les travaux interrompus, le commerce fufpendu, les atteliers déferts comme dans un jour de fête. Au milieu d'un défordre apparent, l'harmonie, la fraternité, un mélange de fenfibilité & de vengeance, de générofité & de barbarie, toutes les rues hérifiées d'armes fans être affligées d'aucun accident; mais le citoyen douloureufement affecté par la rencontre, hélas ! trop fréquente de patriotes mourans ou de bleffés qu'on ramenoit chez eux portés par leurs camarades, & mouillés des larmes de leur famille. Tous les regards, tous les pas dirigés fur le château des Tuileries qu'indiquoient affez de loin des torrens de fumée, Le Carroufel étoit comme une vafte fournaife ardente. Pour entrer au château, il falloit traverser deux corps-de-logis (1) incendiés dans toute leur longueur; on ne pouvoit y pénétrer fans paffer fur une poutre enflammée, ou fans marcher fur un cadavre encore chaud. Dans la cour des princes, autre image; la façade du palais criblé de haut en bas par les canons nationaux,

(1) L'un d'eux étoit occupé par un riche financier, jadis valet-de-chambré de Louis XV. Mais quel patriote honorera de fes regrets la perte qu'effuya ce Laborde, dont on ne connoît que trop les moeurs & les principes,

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Le Carrousel etait comme une vaste fournaise ardente: pour entrer au Chateau, il fallait traverser deux Corps de? logis incendie's dans toute leur longueur; on ne pouvoit y pénétrer sans passer sur une poutre enflammée ou marcher sur un cadavre encore chaud

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