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tres, les mouvemens qui agitent les provinces, et jusqu'aux menaces ridicules des petits princes d'Alemagne. Mais ce qui ne laisse plus de doute sur ce projet, c'est cette manœuvre concertée entre le commandant général et ces mêmes ministres (1) pour créer au roi une maison militaire, composée de six mille hommes, pris en grande partie parmi les ci-devant gardes françaises et les grepadiers de la troupe soldée.

La mine s'est éventée par la publication de deux lettres, l'une du roi à M. la Fayette, l'autre, circulaire, de la part de quelques offciers de l'une des compagnies du centre à leurs camarades des autres compagnies.

De ces lettres il résulte qu'on a pratiqué la troupe soldée, pour lui persuader que l'intention de la commune étoit de la dégrader, en la réduisant à la vile condition de l'ancien guet de Paris, et qu'elle ne pouvoit se sauver de l'espèce de flétrissure qui la menaçoit qu'en retournant à la garde du roi. Il n'est pas inutile de remarquer ici que ce fut en se servant des mêmes moyens, c'est-à-dire, en berçant les ci-devant gardes françaises de l'espoir de reprendre la garde du roi qu'on excita la trop célèbre insurrection du 6 octobre.

Cependant, M. la Fayette n'est pas plus tôt instruit de la rumeur qui agite les diverses compagnies de la troupe soldée, qu'il cabale pour tirer parti de leur situation. Tout en les flattant d'une espérance qu'il sait être chimérique, il se fait écrire par le roi un billet par lequel ce prince, qui, malheureusement pour la révolution, paroît destiné à être le jouet du premier scélérat qui s'en empare, assure le général qu'il recevra, d'après ses conseils, la troupe du centre pour composer sa maison militaire.

(1) Le sieur Guignard, trop précieux à la cour pour qu'on ini laisse déserter un poste auquel il ne tient plus que par un fil, vient de se faire nommer intendant de la maison du roi.

Cette machination du MARQUIS la Fayette a enfin dessillé les yeux à ses partisans les plus acharnés ; ils ont passé de la plus lâche idolâtre à la plus vive indignation. Bientôt ils n'ont vu dans sa conduite que celle d'un petit intrigant de la vieille cour, qui, désespéré de se voir abandonné de cette faveur populaire qui faisoit tout son mérite, a voulu, pour conserver le pouvoir qui lui échappe, se raccrocher à la troupe du centre, et lui faire bassement la cour aux dépens de la garde citoyenne. Les esprits ont été dans la plus grande agitation, et dimanche au palais royal on faisoit les motions les plus vigoureuses contre les auteurs du projet anti-patriotique de créer une maison militaire au roi (1).

On y disoit qu'après avoir mis dans les mains du pouvoir exécutif le droit funeste de priver, pendant six ans, la nation d'une bonne loi; après lui avoir assuré, par la lettre décret des vingt-cinq millions, le moyen infaillible de corrompre nos représentans, il ne manquoit plus que de lui créer un corps de janissaires assez nombreux pour donner aux ministres un noyau d'armée, autour duquel pussent se rallier les mécontens et les contrerévolutionnaires.

On y disoit que ces mêmes ministres désignés au monarque, auquel ils font jouer le rôle dégradant d'instrument de leurs volontés, comme des conspirateurs hardis, comme des ennemis effrénés de la constitution; dénoncés par l'assemblée nationale, par la commune de Paris, et bientôt par la France entière, sentant qu'ils ne pouvoient plus tenir long-temps en place, vouloient se ménager les ressources d'un esclandre qui les maintînt à la cour en compromettant le salut public.

On ajoutoit que l'intrigue ministérielle de la

(1) Jeudi 11, M. Bauzat a fait à l'assemblée nationale la motion de donner au roi une garde d'honneur. Elle a été renvoyée au comité de constitution.

maison du roi avoit été tripotée entre le commandant général, les ci-devant capitaines des gardes, et l'état-major de l'armée parisienne.

Ces observations sont en effet de la plus grande probabilité. Tout le monde sait que cet état-major, ainsi que les officiers des compagnies du centre, souffre impatiemment le joug de la municipalité. Tout le monde sait que ces deux corps, composés en grande partie de piliers de tripot, de mouchards de l'ancienne police, d'huissiers, d'avocats, de procureurs, tous partisans du plus ancien régime, ont la plus grande tendance vers l'aristocratie. Chérissant leurs vieilles habitudes, ils se trouveroient à leur place, s'ils pouvoient s'emparer exclusivement de la garde des anti-chambres et des cours de Versailles.

D'un autre côté, les membres de l'état-major de la ci-devant maison du roi qui, au 6 octobre, ont si lachement abandonné les malheureux gardes du corps, les sacrifieroient volontiers, à condition d'un remplacement dans le nouveau corps qu'on cherche à établir. Et le grand général lui-même, qui voit sa petite réputation s'éclipser, regardant sa prochaine élection à la place de commandant de l'armée parisienne, comme manquée, ne seroit pas fâché de jouer le rôle du traître Monck (1), et de se faire GÉNÉRALISSIME du parti contre-révolutionnaire.

Voilà le vrai secret de l'affaire du rétablissement de la maison du roi. A présent qu'il est dévoilé, il faut espérer qu'on n'osera pas le présenter à l'assemblée nationale. En tout cas, voici ce qu'on pourroit y répondre :

D'abord jusqu'à l'entier achèvement de la constitution, le roi n'a pas le droit d'avoir à sa disposition un corps soldé particulièrement affecté à sa

(1) Monck, après avoir été le défenseur de la liberté anglaise, trahit sa patrie en remettant sur le trône le fils de Charles Ier,

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garde. La milice citoyenne doit l'entourer, non pas précisément comme chef actuel de l'état, mais comme étant le monarque futur, et désigné par la constitution pour être le premier magistrat de la république de France.

la

Tant que cette constitution n'est pas finie, couronne chancelle encore sur sa tête; ses droits, ses pouvoirs ne sont ni définis ni bornés. Jusqu'à ce que les représentans du souverain lui aient, pour ainsi dire, fait sa part dans l'administration de l'empire, il n'est dans l'état qu'un particulier considérable, il ne doit donc point avoir de maison militaire à son service.

Mais une fois reconnu roi, du consentement de la nation, exprimé par le vœu de ses représentans, il lui faut une pompe, un cortége, lesquels sont peut être un préjugé attaché à la royauté, mais qu'on peut conserver sans inconvénient. Une loi constitutionnelle nous donne un roi; avec ses avantages on doit en souffrir les charges.

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Lui faut-il une maison militaire composée de six mille hommes de troupes soldées? Non sans doute. Que le roi, si la fantaisie lui en prend, dépense ses vingt-cinq millions à chamarrer ses valets rien de plus simple; nais que le nombre des gens armés à son service soit fixé par la législature, de manière que, je ne dirai pas la liberté publique, mais la police de la ville où il fera son séjour, ne puisse pas être troublée par ses domestiques. Cette précaution est essentielle, autrement l'intendant de la liste civile ne manqueroit pas d'armer le plus de monde qu'il pourroit, et de faire à son maître une petite armée, qui, si elle n'étoit pas propre à devenir dangereuse, seroit au moins trèsincommode par l'influence qu'elle pourroit acquérir dans la suite.

Et pour couper bras et jambes aux agens perfides du pouvoir exécutif, l'assemblée nationale doit décréter, que tous les commensaux de la maison du roi, seront exclus de toute participa

tion aux grades militaires. Il faudra décréter aussi leur exclusion du droit de cité, à l'instar des domestiques et autres personnes de condition servile.

C'est la seule manière de dérouter ceux qui voudroient en faire un corps de réserve. Sans ces précautions, nous aurons bientôt une garde prétorienne, dont les chefs et les soldats redeviendront porteurs de lettres de cachet, sbirres ou geoliers.

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Rappelons nous l'ancienne maison du roi. Quand elle étoit composée de dix mille officiers, ils ne rougissoient pas de se faire les exécuteurs des volontés ministérielles. Au moindre signal, ils auroient égorgé tous les patriotes.

On dira sans doute que puisque le roi est chef de l'armée, il lui faut un corps militaire pour garder sa personne; cela est vrai, mais il est un moyen d'arriver au but en évitant les inconvéniens. Qu'on ordonne que la garde habituelle du roi sera composée d'un bataillon d'infanterie, et d'un escadron de cavalerie. Cette troupe sera formée de soldats de l'armée, pris successivement dans tous les régimens, et elle sera remplacée tous les trois mois. Par ce moyen, le roi sera gardé d'une manière digne de lui et de la nation dont il est le chef, et les soldats ne restant que peu de temps auprès de sa personne, ils ne devien dront que très difficilement susceptibles des impressions dangereuses de valets de la cour. L'esprit public une fois formé, ni la popularité du monarque, ni les cajolerics de ses agens ne pourront altérer le patriotisme du soldat, devenu citoyen par le bienfait de la nouvelle constitution.

Ce plan, si simple en lui-même, si facile à exécuter, est de beaucoup préférable à l'absurde et dangereux projet du commandant général. Nous exhorterons les soldats de la troupe du centre à y renoncer, parce que cette exclusion des autres soldats de l'armée pour la garde du roi est inconstitutionnelle, et contraire aux principes de liberté et d'éga

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