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qu'étant demandeur, il ne prouve pas le fondement de sa demande. Il n'y a pas une ombre de présomption dans tout cela.

161. Qu'entend-on par titre? On appelle titre de propriété, dit Pothier, tous les titres qui sont de nature à faire passer d'une personne à une autre la propriété d'une chose. Pothier donne comme exemple la vente de l'héritage faite au demandeur avant que le possesseur contre qui la demande est donnée eût commencé de posséder cette chose. Nous reviendrons plus loin sur l'influence que l'antériorité du titre ou de la possession exerce en matière de revendication. Pour le moment, nous demandons seulement ce que Pothier entend par titre. Il donne encore comme exemple la donation, et l'acte par lequel la chose aurait été donnée en payement au demandeur en revendication, parce que la dation en payement est translative de propriété. Il en est de même de l'acte par lequel le demandeur aurait été saisi d'un legs qui lui aurait été fait de cette chose. Enfin l'acte de partage par lequel il paraît que la chose revendiquée est échue au demandeur de la succession de quelqu'un de ses parents, est aussi un titre qui peut servir à fonder sa demande (1).

Pothier se sert tantôt du mot titre, tantôt du mot acte. La différence est cependant grande, et quelque élémentaire qu'elle soit, il arrive que la jurisprudence la méconnaît. Le titre est le fait juridique qui transfère la propriété si l'auteur est propriétaire : ce sont les modes de transmission de la propriété énumérés dans l'article 711, que nous venons de transcrire. L'acte est un écrit, authentique ou sous seing privé, qui constate l'existence du titre. Quand le titre est solennel, l'acte est requis pour l'existence même du titre telle est la donation. Quand le titre n'est pas solennel, l'acte ne sert que de preuve. Il peut donc y avoir un titre sans acte. Pour la succession, il peut arriver qu'il n'y ait aucun partage, par exemple lorsqu'il n'y a qu'un seul héritier; donc il ne peut pas même y avoir d'acte. Pour la vente, il n'est pas nécessaire d'un acte entre les

(1) Pothier, Du domaine de propriété, no 323.

parties; à l'égard des tiers, il faut la transcription de l'acte authentique qui constate la vente.

Quand on dit que le revendiquant doit avoir un titre, cela veut dire qu'il doit avoir acquis la propriété en vertu d'un des faits juridiques qui transmettent la propriété, succession, donation, testament ou contrat. Il ne suffit pas qu'il allèguc un de ces titres, il faut aussi qu'il prouve son titre; la preuve se fait d'après les règles tracées au titre des Obligations. Tels sont les principes élémentaires concernant le titre et l'acte. Nous allons les appliquer à quelques questions sur lesquelles il y a eu des débats judi

ciaires.

162. Le revendiquant peut-il opposer au possesseur un acte dans lequel celui-ci n'a pas été partie? On ne conçoit pas que la question ait été portée devant la cour de cassation; les principes les plus élémentaires suffisent pour la décider. L'acte fait preuve du titre qu'il constate. Quelle est l'étendue de cette preuve? Il faut distinguer entre les actes sous seing privé et les actes authentiques. Nous lais sons cette distinction de côté pour ne pas compliquer le débat. L'acte est authentique, comme tel il fait pleine foi, non-seulement entre parties, mais à l'égard des tiers, du fait juridique qui y est constaté; il prouve même jusqu'à inscription de faux les déclarations matérielles des parties comparantes. Donc il prouve jusqu'à inscription de faux la déclaration que les parties ont faite de vendre et d'acheter. Voilà le titre qui est prouvé à l'égard de tous, c'est-à-dire qu'il est prouvé à l'égard de tous qu'il y a une vente, une donation, un testament. Pourquoi donc le revendiquant ne pourrait-il pas l'opposer au possesseur? Il arrive tous les jours que le possesseur l'oppose au revendiquant, quand il invoque l'usucapion, laquelle est fondée sur un titre. On objecte que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties. Cette singulière raison a entraîné la cour de Caen; la cour de cassation, en cassant l'arrêt, dit très-bien qu'il ne s'agit pas de l'effet des conventions, ni par conséquent de l'article 1165. Mais la cour suprême, de son côté, ne donne pas le vrai motif de décider; le motif est évident, c'est la force probante qui est attachée à l'acte, et qui dé

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rive non pas des conventions, mais de l'intervention d'un officier public. Le notaire a précisément pour mission de constater, avec pleine force probante, les faits juridiques qui se passent devant lui: voilà pourquoi un acte de vente fait foi de la vente. Au lieu de baser sa décision sur ces principes élémentaires, que fait la cour de cassation? Elle dit que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l'établir n'avaient de valeur qu'à l'égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l'impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l'impossibilité d'obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers (1). » Rien de plus vrai; mais est-ce là le langage du jurisconsulte? Au législateur et à lui seul il appartient de peser les inconvénients et d'établir une règle qui les prévient; mais si la règle n'existait pas, l'interprète pourrait-il se prévaloir de ces inconvénients pour en induire la règle? Ce serait faire la loi. Dans l'espèce, il était parfaitement inutile de parler des inconvénients qu'il y aurait si le revendiquant ne pouvait opposer aux tiers l'acte qui constate son titre; il le peut d'après le droit commun. Il fallait dire quel est ce droit commun. Nous l'avons rappelé; c'est un principe élémentaire en vertu duquel l'acte authentique a force probante à l'égard des tiers aussi bien qu'entre les parties.

163. Un jugement qui déclare que le revendiquant est propriétaire est-il un titre qu'il peut opposer au possesseur? On suppose naturellement que celui-ci n'a pas été partie en cause. La cour de cassation a décidé que la propriété étant un droit réel, qui par cela seul qu'il existe peut être opposé à tous, l'arrêt qui déclare une personne propriétaire équivaut forcément à un titre, sauf à celui à qui l'on oppose l'arrêt à y former tierce opposition (2). Sans doute, dit la cour, le jugement invoqué par le revendiquant n'a pas l'autorité de chose jugée contre le possesseur qui n'y a pas été partie, mais il n'en est pas moins un titre, et ce titre l'emporte même, à moins que le pos

(1) Arrêt de cassation du 22 juin 1864 (Dalloz, 1864, 1, 412).

(2) Arrêt de rejet du 22 mai 1865 (Dalloz, 1865, 1, 473) et arrêt de cassation du 27 décembre 1865 (Dalloz, 1866, 1, 5).

sesseur ne l'attaque au moyen de la tierce opposition, ou qu'il ne détruise la preuve qui en résulte en établissant à son profit un droit de propriété préférable, ou une possession antérieure ayant les caractères d'une possession légalement acquisitive.

Nous laissons provisoirement de côté ce dernier point. Est-il vrai qu'un jugement soit un titre? Dans l'acception rigoureuse du mot, non; l'article 74 ne place pas les jugements parmi les modes de transmission de la propriété, et Pothier s'est bien gardé de le citer parmi les exemples qu'il donne. Reste à savoir si le jugement tient lieu d'acte, c'est-à-dire d'un écrit constatant le titre. Pour que le jugement tienne lieu d'acte, il faut d'abord supposer qu'il n'y a pas d'acte; s'il y en a un sur lequel il s'élève une contes tation, le jugement qui la décide ne tiendra certes pas lieu d'acte, puisqu'il y en a un qui a fait l'objet du procès. Un pareil jugement peut-il être opposé aux tiers? Nous ne le croyons pas, car il ne tient pas lieu d'un acte. Mais s'il n'y a jamais eu d'acte, s'il y a eu une vente verbale, qui est niée par l'un des contractants, le jugement qui interviendra tiendra réellement lieu d'acte. Voilà pourquoi notre loi hypothécaire exige qu'il soit transcrit (art. 1er de la loi du 16 décembre 1851). Le jugement constatera qu'il y a eu vente; il fera donc foi de la vente, comme le ferait un acte notarié. Mais fait-il foi à l'égard des tiers qui n'ont pas été parties en cause? Ici il y a un doute. Ne peut-on pas dire que les tiers ne sont intervenus au jugement, qu'à leur égard donc ce jugement n'existe pas? On répond qu'il en est de même des actes authentiques; les tiers auxquels on les oppose n'y interviennent pas, ce qui n'empêche point qu'ils ne fassent foi des faits qui y sont constatés, par conséquent du fait de la transmission de la propriété, comme nous venons de le dire. Tout ce qui résulte de ce que les tiers n'ont pas été parties en cause, c'est que le jugement n'a pas force de chose jugée contre eux; ils peuvent l'attaquer par la tierce opposition, ils peuvent le combattre par la preuve contraire, mais ils ne peuvent pas nier la force probante des faits qui y sont constatés. Il reste cependant une nuance entre les actes et les

jugements. Les actes constatent les déclarations volon taires des parties qui y figurent, tandis que, dans une instance judiciaire, l'une des parties nie; cette dénégation est mise à néant par la décision du juge, mais ne pourraiton pas soutenir que la décision ne doit avoir aucun effet à l'égard des tiers? En théorie, on le pourrait; mais la question est tranchée par la loi hypothécaire; puisqu'elle veut que les jugements tenant lieu d'actes soient transcrits, elle décide implicitement qu'on peut les opposer aux tiers. Mais si le jugement équivaut à un acte, il ne prouve pas plus qu'un acte : il constate l'existence d'un titre, c'est-à-dire d'un fait juridique qui est translatif de propriété, à une condition, c'est qu'il émane du propriétaire.

164. Le revendiquant produit des actes, mais ce sont de vieux actes où il n'a pas été partie. Est-ce un titre qu'il puisse opposer au possesseur? Il a été jugé que de vieux titres remontant à plusieurs siècles sont insuffisants pour établir un droit de propriété actuel (2). Cela est évident lorsque le revendiquant ne prouve pas le lien qui existe entre lui et ceux qui figurent dans ces vieux titres. Mais si c'est une commune, comme dans l'espèce jugée par la cour de Liége, nous ne voyons pas pourquoi les vieux titres ne serviraient pas de preuve. Une commune est une personne civile qui vit toujours et qui ne vieillit jamais, si l'on peut s'exprimer ainsi. Pour elle, il n'y a donc pas de vieux titres; si elle en produit un qui date de deux ou de trois siècles, elle établit son droit, et on ne peut repousser son action qu'en lui opposant une exception fondée sur un titre plus récent ou sur la prescription. Il n'en est pas de même quand il s'agit de particuliers; ils meurent, et en mourant ils transmettent leurs droits à leurs successeurs; ceux-ci peuvent donc les invoquer en prouvant leur qualité de successeurs, la succession étant un titre translatif de propriété. Il a encore été jugé qu'un acte de vente établissant l'acquisition de l'héritage litigieux par le grand-père et la grand'mère du revendiquant, ne prouvait pas que le

(1) Liége, 7 juin 1849 (Pasicrisie, 1852, 2, 163).

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