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Cette queftien vaut-elle la peine d'être difcutée? Eftil douteux que toute diftinction rompt l'égalité & en viole les principes? Il nous feroit aifé, fi nous avions du temps à perdre, d'étaler ici une vafte érudition pour prouver que chez toutes les nations efclaves & abâtardies, le defpotifme s'empreffa de mettre en jeu, à fon profit, le reffort de la vanité. Les peuples libres au contraire ne fe font maintenus tels que par le foin qu'ils ont pris de ne permettre à aucun citoyen de s'élever au-defus des autres de fe féparer d'eux, & de fe faire remarquer par un figne quelconque, qui le tire hors de la foule.

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Modelons-nous fur la nature; elle ne change rien dans l'extérieur des hommes, felon leur mérite refpectif. Un grand homme, par fon génie ou fes vertus, ne grandit pas de corps à proportion, ne porte point fur fa poitrine un figne vifible, un indice remarquable de fes qualités internes; mais s'il eft tempérant, il vit longues années, exempt de maladies; s'il eft fenfible toutes fes paroles vont à l'ame; il perfuade fans peine; s'il eft bon, il fe fait aimer.

On diroit que le genre humain fort à peine de l'enfance, Beaucoup de perfonnes fe chagrinent, fe fâchent, pleureroient volontiers, en voyant qu'on leur enlève ces hochets avec lesquels les tyrans éblouiffoient la multitude & fe faifoient des créatures pour la contenir.

La république n'a pas befoin de gagner à elle une partie des citoyens, afin de s'en fervir pour s'affurer du refte. A préfent que nous nous fommes mis tous à la tête de nos affaires, d'autres penfers que ces miférables moyens doivent nous occuper. Nous ne faurions nous paffer de confidération; nous fommes encore trop foibles pour pouvoir nous mettre au-deffus d'elle. Jamais peut-être nous n'arriverons à ce degré de philofophie néceffaire pour ne faire le bien que dans la feule vue de bien faire. Le témoignage feul de la confcience fuffit à bien peu de monde; il nous faut donc de la confidération mais en quoi confifte, comment se manifeste cette confidération?

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Jadis la petite nobleffe léchoit les pieds d'un valet de garde-robe, pour, par fon entremife, obtenir du miniftre, fon maître, un bout de ruban rouge, à la vue duquel toutes les fentinelles fe mettoient fous les armes. Ce falut militaire donnoit une certaine consistance ceux qui le recevoient fur leur paffage. On disoit: Ce font des gens de confidération.

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Il étoit agréable de fe voir accueillir ainfi par-tout où Pon alloit, & pour tout le reite de fa vie. Un certain nombre d'années de fervice, un moment de préfence d'efprit ou de bravoure, ou de témérité, avoit mérité ces honneurs à plufieurs chevaliers de Saint-Louis. Etoitil équitable de récompenfer pendant toute la vie un moment de vertu? Nous ne parions pas des chevaliers de Saint-Louis d'anti-chambre.

Ces réflexions font applicables aux décorations nouvelles qu'on penche à fubftituer aux anciennes. On parle de deux épées croifées dans un ovale, en guife d'un faint couronné & niché entre huit pointes. Ce ne feroit que changer de forme. Les mêmes inconvéniens fubfifteroient fous d'autres noms. La convention a quelque chofe de plus fimple, de plus augufte à fa difpofition. Au lieu de recréer d'une main ce qu'elle détruit de l'autre ; ap lieu de fe traîner péniblement fur les veftiges de la monarchie, qu'elle étende aux individus la mefure fage & grande dont elle a ufé déjà avec fuccès envers des entiers & des villes.

corps

Un foldat s'eft diftingué dans une affaire; un citoyen a fauvé la vie à plufieurs de fes compagnons d'armes ; un courageux tyrannicide a délivré fon pays d'un chef de confpirateurs; qu'il fe préfente à la barre de l'affemblée nationale, que le préfident fe lève, & pose un moment fur fon front une couronne civique, en lui di fant Digne enfant de la république, tu as bien mérité d'elle; elle s'en fouviendra, en te confiant le premier pofte où il y aura le plus de danger à courir.

Cela ne vaut-il pas mieux qu'une médaille ronde ou en lozange, un ruban ou une épée brodée fur fon ha bit?

Mais, dira-t-on, au fortir de la falle, rentré dans la foule, comment reconnoître celui qui a bien mérité de la patrie?

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un homme

D'abord, le décret en fera lu à la porte de toutes les communes, & enfuite le premier grade important eft pour lui. Que lui faut-il de plus? Par-tout fur les pas il entend fon nom prononcé avec éloge ou reconnoiffance. S'il n'est pas content ce n'eft qu'un ambitieux ou vain, fur qui on ne peut pas compter. Mais, infiftera-t-on, les juges ont des panaches, les magiftrats des écharpes, les officiers des hauffe-cols, Les jurés, les électeurs, les députés n'ont rien de tout cela, & n'en font pas moins reconnoiffables, pas confidérés. La véritable décoration d'un citoyen eft le

&c.

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pofte qui lui eft confié, en supposant que les choix ne le faffent point par cabales. Dans un gouvernement populaire, il ne doit y avoir d'autres récompenfes honorifiques, d'autres diftinctions que la nomination aux charges de la république; il faut qu'on puiffe dire Tel ou tel a bien mérité de la patrie, puifque le voilà placé à la tête d'une légion ou d'un tribunal, ou puifqu'il fiége dans l'aréopage.

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D'ailleurs, fous le règne de l'égalité, évitons tout ce qui tend à faire bande à part; ne fouffrons point de corporations particulières, ne renouvelons pas les priviléges exclufits; gardons nous de décourager ceux qui promettent par une froide indifférence, mais en mêmetemps craignons d'ouvrir la porte à la vanité ou à l'ambition; ne leur donnons pas l'idée de former une cafte, & de fe croire d'une nature plus relevée que celle du refte de la nation; tirons parti des hommes au plus grand avantage de la fociété; ne laiffons pas le mérite languir dans un coin, inutile à lui-même & aux autres. Le plus grand honneur qu'on puiffe lui rendre, celui qui le flatte le plus, eft de penfer à lui & de lui donner de l'emploi, & non des décorations ftériles pour la chofe publique, & qui ne flattent que les égoïltes. Le peuple dit dans fon style naïf & plein: A bon cabaret point d'enfeigne. Il en eft de même des hommes recommandables; on ne fe trompe pas fur leur compte ; leur faut point d'écriteau fur la poitrine.

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Les plus douces jouiffances qu'éprouvèrent quelques grands capitaines, quelques perfonnages célèbres, étoient dans ces momens où ne portant fur eux aucune marque diftinctive, ils entendoient leur éloge fortir de la bouche du peuple.

Si l'on accorde des décorations oftenfibles aux gens de guerre, on n'oubliera pas fans doute les hommes de lettres; il en faudra pour toutes les profeffions. Combien de fois il est arrivé à l'auteur du Contrat Social, d'Emile & d'Héloïfe, d'être accofté dans les promenades par de bonnes gens avec lefquels il caufoit dans toute la familiarité de la bonhomie! Que de traits heureux il eût perdu, fi une décoration extérieure, par exem ple, une plume & le flambean du génie en fautoir, eft dit de loin au public: Voilà J. J. Rouffeau! Le peuple fe fût contenu dans le refpect en paffant devant le phi lofophe, fans ofer l'aborder & converser avec lui.

Les anciens, mieux que nous, favoient honorer le talent, la vertu, le patriotifme; ils leur ouvroient le N°. 172. Tome 14"

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prytannée. Làon étoit entretenu & nourri aux frais de la république. N'avons-nous pas, dira-t-on, l'hôtel des Invalides? Oui bien; mais dans le prytannée il n'y avoit pas plufieurs tables; une pour les fimples foldats, une autre mieux fervie pour les officiers. Les uns n'étoient pas vêtus d'un drap plus fin que celui des autres. Dans les fecours qu'on accordoit au mérite indigent, on ne lui difoit point: Allez à la trésorerie nationale pour y toucher une telle fomme qu'on vous y comptera; mais on dotoit les filles, & l'on élevoit les enfans au gymnafe public. Un décret du fénat de Rome enjoignit de cultiver, aux dépens de l'état, le petit champ de Cincinnatus, pendant qu'il purgeoit le territoire de la république de l'armée des Eques & des Volfques. Abordons au plus tôt ces mocurs antiques, mais point de décorations fur les habits, qu'on puiffe étaler par- tout avec foi. L'anneau d'or que les chevaliers romains portoient à leur doigt, perdit la république.

Après l'hymne de la liberté, chanté à Nice fur l'autel de la patrie, ombragé par les drapeaux enlevés lors de la prife de cette ville, un cri fe fit entendre, Le bâton de maréchal de France pour Anfelme! Camarades! que dites-vous-là? (s'écrie l'heureux vainqueur) que demandez-vous pour moi ? des hochets de l'ancien régime; je les méprife; je n'en veux pas.

Prife de Mayence.

Nos troupes font entrées dans cette ville le 21 de ce mois, & nous n'avons eu qu'un homme tué & deux bleffés. Après une marche forcée, & par une pluie continuelle, Cuftines eft arrivé avec fon armée jufqu'à cent cinquante toifes de la place, dont la garnifon étoit de fix mille hommes, & défendue par une fortereffe capable de foutenir un fiége de deux mois. Les difpofitions favantes du général Cuftines, qui avoit bouché toutes les communications du Rhin, l'enlèvement qu'il avoit fait de toutes les échelles trouvées dans le pays, & plus que tout cela, la valeur & la difcipline de notre armée ont effrayé les habitans de Mayence dont le gouverneur demanda à capituler, après quelques tergiverfations auxquelles Cuftines répondit comme il le devoit, c'est-à-dire, en homme qui commande une armée de républicains. Cette correfpondance l'honore, & nous la citons avec plaifir:

Au commandant de Mayence. Monfieur, je connois les forces qui défendent votre cité, elles ne peuvent tenir contre les troupes françaises; la moindre réfiftance de votre part

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provoqueroit la fureur du foldat français, & entraîneroit la deftruction de la ville. Ge font les mêmes Français qui ont combattu à Spire; à mavoix, à mon ordre, ils viennent à bout de tout. Ne balancez pas, demain fi vous hésitez, vous ne ferez plus. Vous avez à choifir entre le faccagement de votre ville & la fraternité que nous vous offrons. Partagez avec nous les bienfaits de la liberté. J'attends votre réponse, je n'en reçois aucune dilatoire. Signé, CUSTINES.

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Aux magiftrats de Mayence. Magiftrats citoyens, vous avez été élus parle peuple pour faire fonbonheur, vous devez i donc lui éviter les plus grands malheurs; j'ai en mon moyen de réduire en cendres votre ville, je connois vos forces l'état de la ville & de la fortereffe. Votre électeur a partagé avec les tyrans, qui vouloient affervir la nation françaife, leur haine pour notre révolution; mais vous connoiffez le vœu du peuple, & foyez y foumis. Songez, magiftrats, que fi vous portez vos concitoyens à fe défendre, vous les expoferez aux horreurs du pillage & de la deftruction totale des votre cité. Vous connoiffez les troupes qui vont vous attaquer, ce font les foldats de la liberté, commandés par un vieux foldat, décidez-vous fans délai, le jour de demain fera le dernier pour vous, car je ne fais pas de promefle en vain. Signé, CUSTINES.LV

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Réponse de Cuftines au commandant de Mayence. Vous defirez ménager le fang, vous me demandez jufqu'à demain pour me répondre, je me rendrois à votre demande, mais l'ardeur de nos grenadiers eft telle que je ne puis plus la contenir. Ils ne voient que la gloire & la riche proie qui les attend. Ce n'eft pas une attaque régulière, mais une attaque de vive force que nous allons faire; elle n'eft pas felon les règles de la guerre; vous devez vous attendre, vous & les troupes qui défendent vos remparts, à être paffés au fil de l'épée. Les troupes françaises font accoutumées à vaincre; je le dis à la gloire de ma république, les fuppôts des tyrans fuient devant les étendards de la Liberté. Réponse, réponse M. le gouverneur Signé, CUSTINES.

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Voici les articles de la capitulation: 1°. Les troupes mayençaifes, & autres qui compofent la garnifon, fortiront avec les honneurs de la guerre, avec armes, bagaartillerie de campagne, & il leur fera délivré des paffe-ports pour fe retirer où bon leur femblera. 2°. Il fera fourni à la garnifon des voitures pour emporter fes bagages. 3. Les troupes compofant la garnifon s'engagent ane pas fervir d'un an, à compter de ce jour, contre la république françaife ou fes alliés. 4°. L'artillerie de la place & les magafins y refteront, & remise en fera

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