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dialement les vils individus avec lesquels il était alors coalisé, qui m'avait dit rejeter l'opinion même pour laquelle il avait voté la veille. Comme je le déclarai alors publiquement, il ne pouvait plus rien y avoir de commun entre lui et moi. Je ne l'avais cultivé que par la foi que j'eus toujours dans son amour pour la liberté et les principes; je devais rompre avec lui du moment où il ne voulait pas rompre lui-même avec une coalition qui n'avait d'autre but que de détruire la liberté, et qui n'était formidable que parce qu'il lui prêtait son appui. Lafayette reconnaîtra un jour ses torts et ses faiblesses; il reconnaîtra que si l'on n'a pas toujours les bravo du peuple en allant sans cesse droit devant soi, en tenant constamment aux principes, au moins on a le témoignage de sa conscience, témoignage qui dédommage bien de toutes les horreurs qu'amasse sur la tête de l'honnête homme la fureur de ses ennemis *.

* Nous n'avons pas à défendre ici M. de Lafayette contre les inculpations de Brissot. Tout s'explique par leur position différente et leur manière d'envisager les choses. Tous les deux pouvaient avoir au fond du cœur les mêmes sentimens politiques. Ceux de M. de Lafayette étaient depuis long-temps connus, puisqu'à la cour de Frédéric on ne le désignait que sous le nom du républicain; mais M. de Lafayette regardait peut-être le gouvernement démocratique comme le plus beau système de gouvernement, sans vouloir en adapter les formes à une vieille monarchie nouvellement affranchie du despotisme,

et pour laquelle il redoutait les excès de l'anarchie. Il se rappelait sans doute aussi que, fondateur du gouvernement constitutionnel, il avait fait serment à la constitution établie; et, tout en demandant pour le peuple la plus grande part de bonheur et de liberté, il ne voulait point oublier ce qu'exigeaient ses sermens.

Au reste, M. Brissot fils désirait supprimer ici et dans les chapitres suivans divers passages des Mémoires de son père qui contenaient à ses yeux peu d'intérêt historique et beaucoup d'injustice. La reconnaissance envers un bienfaiteur semblait lui en faire un devoir; mais M. de Lafayette, devinant son intention, exigea de nous que tout fût conservé, quelle que soit la justice ou l'injustice de Brissot à son égard. Au milieu des clameurs des partis, ce vertueux citoyen sait bien qu'il n'a rien à redouter du jugement de l'histoire.

CHAPITRE XI.

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le

pour Kornman et

Le général Lafayette après le voyage de Varennes. Brissot et Santerre ; le parasite et le mouchard. Liaisons de Brissot avec Lafayette. Son estime général. Enthousiasme universel. l'idolâtrie des femmes. Le Breton et Duport. · Les statues de bronze, l'épée d'honneur et les verroux de la Bastille. Les élections et la mairie de Paris. Pétion l'emporte. Le président de l'Assemblée-Législative et le maire de Paris. La lettre datée de Maubeuge. Clavière, Roland et Servan. MM. Lacolombe et Alexandre Berthier chez Roland. Les soldats français sont des lâches. Le conseil du roi. Correspondance du général et du ministre.

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Peut-être aurais-je dû reconnaître, avant la fuite du roi, que la position et les sentimens secrets de Lafayette étaient perpétuellement en désaccord, et pour cesser de le regarder comme le plus ferme appui de la liberté, pour cesser de le défendre à mes risques et périls, comme je ne l'ai que trop défendu, je n'aurais pas dû attendre le voyage de Varennes et les événemens du Champ-de-Mars. Sa conduite dans l'affaire du voyage de Saint-Cloud pouvait commencer à

m'éclairer. Je laisse quelques notes à ce sujet; qu'on les parcourre, ainsi que la lettre que j'écri

vis à Camille Desmoulins * et les articles du Patriote français du mois d'avril, on verra jusqu'à quel point j'étais aveuglé; mais on ne supposera pas, comme on a eu l'infamie de le publier, que j'étais payé par celui qui n'a jamais égaré que ma bonne foi.

Mes relations avec Lafayette avaient entièrement cessé depuis le 23 juin 1791, jour où il scella sa coalition; et cependant, mes ennemis répandaient partout que j'avais vécu de sa table pendant tout le temps qu'il commandait l'armée parisienne. Un prétendu arrêté, signé Santerre, et que Santerre a démenti, m'avait aussi désigné comme un de ses mouchards. Moi, un parasite de Lafayette, moi, son instrument!..... J'avais une trop haute idée de la dignité d'un homme libre pour appartenir à aucun chef. J'avais dîné, en 1790, deux ou trois fois avec Lafayette; je l'avais vu quelquefois à cette époque, et plus souvent à une époque antérieure; mais alors ces entrevues n'avaient pour objet que le bien du parti populaire et sa réunion. Je voulais soutenir en lui le dernier souffle de la liberté, l'empêcher

* Le fragment sur le voyage de Saint-Cloud et les lettres à Camille Desmoulins sur MM. de Lameth, Lafayette, et sur Mirabeau, forment un des chapitres suivans.

de se livrer aux séductions d'hommes qui avaient juré notre ruine. Jamais je n'eus d'autres intentions, jamais aucune vue intéressée ne flétrit mes démarches. Je l'avais vu surtout au moment où un mouvement inespéré aurait pu imprimer à la constitution française un vaste caractère qui lui manquait. J'avais cru Lafayette assez grand pour s'élever à la hauteur de sa destinée et assez fort pour nous élever à la nôtre; il me l'avait promis, il me trompa....

Mais suis-je le seul qu'il ait ainsi trompé? suis-je le seul que sa conduite, si long-temps belle et noble, ait abusé sur son compte. J'avais rapporté pour lui d'Amérique des témoignages de l'estime que lui vouait Washington; pouvaisje lui refuser la mienne? Pouvais-je croire que quelques divergences d'opinions, quelque timidité dans leur expression, quelques faiblesses sur des affaires d'une importance secondaire, le conduiraient à oublier le rôle sublime qu'il pouvait jouer au milieu de nous! J'attendais beaude lui, je l'ai dit; mais pourtant, ceux qui me font un crime de l'avoir loué quand il pro– mettait un grand homme à sa patrie, ne trouveront dans aucun de mes écrits ces basses flagorneries et cet engouemen ridicule que vingt d'entre eux ont manifesté.

coup

Qu'on se rappelle jusqu'où il fut exalté, quel enthousiasme sa présence ou son nom excitèrent! Ce fut un héros pour les femmes, auxquelles on

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