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les faire valoir, je ne vois pas pourquoi on exigerait ici que les titres fussent perpétuels. »

M. Pardessus a répondu: «L'orateur a fait une confusion de principes: un titre qui n'est pas perpétuel, qui est pour un temps, est irrévocable s'il n'est pas frappé d'un vice qui puisse le faire révoquer avant le temps auquel il devrait naturellement cesser. Il est facile de comprendre pourquoi la commission a mis le mot irrévocable. L'État a des bois qui lui viennent de diverses origines, et auxquels s'appliquaient des législations différentes. Par exemple, dans la Lorraine, la législation sur les domaines n'était pas la même qu'en France. La fameuse ordonnance de 1669 que votre Code va finir par adopter en partie n'était pas loi pour la Lorraine, parce que cette province ne faisait pas partie de la France, lorsque l'ordonnance fut rendue. Dès lors si un concessionnaire avait des droits antérieurs à la réunion de la Lorraine à la France, il pourrait aujourd'hui avoir un titre irrévocable, quoiqu'il fût dans la même position qu'un homme appartenant à l'ancienne France et dont le titre n'aurait pas la même valeur. Ainsi un titre irrévocable est un titre qui n'est entaché d'aucun vice qui puisse le rendre nul, et donner à l'État le droit de reprendre sa chose. Ce titre sera irrévocable, s'il est jugé qu'il a été fait conformément aux lois. Il sera au contraire déclaré révocable s'il est reconnu qu'il n'est pas fait dans les formes légales. Ainsi la rédaction du Gouvernement et de la commission se justifie très-bien, et je crois que la Chambre doit l'adopter.

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M. Avoyne de Chantereine rappelle les principes d'inaliénabilité de l'ancien domaine de la Couronne. Il se demande ensuite si les affectations doivent être considérées comme des aliénations prohibées ou comme de simples usages. Il fait observer que les tribunaux jugeront cette question; qu'ils examineront si telle ou telle affectation est dans le cas de la disposition générale, qui veut que les concessions cessent d'avoir leur effet à une époque déterminée, ou si elle est placée dans une exception favorable; que rien n'est jugé à cet égard dans le système du projet, et que les droits des concessionnaires restent entiers.

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M. Saladin, membre de la commission, parle en faveur des affectations qu'il cherche à disculper du vice d'illégitimité et d'injustice qu'on leur suppose. Et d'abord, dit-il, l'art. 11 du titre xx de l'ordonnance de 1669 que M. le commissaire du Roi a cité pour établir que les affectations sont interdites, y est absolument inapplicable: 1o parce que cette ordonnance de France n'a pu régir la province de Lorraine et les actes qui y ont été faits antérieurement à sa réunion à ce royaume; 2° parce que l'article cité ne s'applique qu'au don et attribution de chauffage qu'il interdit à l'avenir et pour

quelque cause que ce soit; et qu'on ne pourrait en induire ici l'interdiction ni la révocation des affectations, qui n'ont rien de commun avec les chauffages dont traite le titre xx de l'ordonnance de 1669..

Député d'un département où il existe des concessions de ce genre, l'honorable membre en explique le but et l'origine. Il dit que le duc Léopold, restaurateur de la Lorraine, voulut y rappeler les habitans, les arts, l'industrie et le commerce que trente années de guerre en avaient bannis; que des terres en friches, des bois sans valeur et périssant sur souche furent affectés à des établissemens d'usines, de verreries et de forges, à la confection de routes, de ponts et de canaux, à la fondation de villages et de hameaux; que ce n'est pas contre de telles concessions qu'ont été faits les édits de révocation; qu'elles n'ont été accordées ni à la faveur ni à l'importunité; qu'elles sont moins des aliénations du domaine de l'État, que des actes d'une administration à la fois politique et paternelle, que les bons princes ont toujours la volonté et le pouvoir de faire; qu'elles n'ont point les caractères d'une aliénation proprement dite, puisque la propriété des bois affectés demeure à l'État, qui continue à les administrer, en livrant les quantités de bois qu'il est obligé de fournir; qu'aussi, malgré toutes les lois de révocation intervenues depuis l'ordonnance de 1669 en France, et depuis celle de 1707 en Lorraine, jusqu'à la loi du 14 ventôse an 7, aucune n'a atteint les affectations.

Après avoir exposé ces considérations, l'orateur est rassuré par les amendemens de la commission, dont l'objet est de laisser aux parties tous les droits qu'elles peuvent avoir et aux tribunaux toute leur indépendance.

Il vote en conséquence pour l'article tel qu'il est amendé par dernière rédaction.

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M. de Martignac, commissaire du Roi, revient sur les principes qui prohibaient l'aliénation du domaine public, et il ajoute, à l'égard du cantonnement dont la commission a fait la matière d'un paragraphe : « La commission, dans son rapport, a énoncé que les affectations avaient une analogie approximative avec les droits d'usage en bois. Cette doctrine, soutenue par le rapporteur, se trouvant en harmonie avec le dernier paragraphe de l'art. 58, serait de nature à induire en erreur les tribunaux qui auraient trouvé dans le rapport la preuve que le législateur avait considéré les droits d'affectation comme devant être réglés par les principes établis pour les droits d'usage. Nous avions pensé qu'une disposition établie d'une manière si générale n'était pas sans quelque danger lorsqu'elle était rapprochée des principes énoncés dans le rapport; mais la Ire PART. 13

modification qui est apportée dans sa rédaction ne tend plus qu'à créer pour le Gouvernement une faculté, dans le cas où les tribunaux auront prononcé en faveur des concessionnaires. Cette rédaction permet de penser que les tribunaux ne se trouveront pas liés par l'analogie établie entre les droits d'usage et les droits d'affectation. Voilà ce que j'ai cru devoir expliquer, en ne m'opposant nullement à la nouvelle rédaction. »

Le résultat de la discussion a été l'adoption de la deruière rédaction proposée par la commission.

A la Chambre des pairs, M. le comte d'Argout a parlé en faveur des affectations. Il a pensé que l'industrie qui crée a plus de droits à la protection que l'usager qui dévore et détruit. Il a remarqué cepen-dant que le projet de loi traite plus sévèrement les concessionnaires que les usagers. Le noble pair ne voit pas d'aliénation proprement dite dans une affectation; c'est, selon lui, un contrat synallagmatique qui mérite l'intérêt du gouvernement.

M. le vicomte de Martignac, commissaire du Roi, a répondu que les affectations sont toutes postérieures aux lois prohibitives; que c'est là une différence essentielle entre ces concessions et les droits d'usage, dont la création, au contraire, précède les ordonnances de prohibition; qu'il y a donc toute raison d'être plus sévère envers les affectations qu'envers les usages. « Mais, a-t-il ajouté, le projet est-il donc rigoureux à leur égard? La loi générale les prohibait; on pouvait donc, à la rigueur, les considérer comme nulles, et cependant on accorde une durée de dix années à celles-là même dont la nullité devra être reconnue, et l'on réserve à tous ceux qui en sont en possession la faculté de prouver que leurs titres leur donnent des droits irrévocables. Est-ce là rompre des contrats sacrés, est-ce être injuste; et cette disposition n'est-elle pas au contraire toute favorable? Toute latitude est laissée aux tribunaux, en cette matière comme en matière de droits d'usage; la seule règle que la loi leur prescrive, et que la conscience des juges leur aurait dictée, alors même qu'elle n'eût pas été écrite, est de se conformer aux lois. »

M. le comte Roy, rapporteur, a dit, dans le résumé de la discussion générale, qu'au lieu de trouver trop rigoureuses les dispositions relatives aux affectations, on devrait peut-être les trouver, au contraire, trop favorables aux concessionnaires. Comment les concessionnaires, dans les cas de concessions prohibées et nulles, pourraient-ils se plaindre de dispositions qui leur laissent tous les avantages d'une longue jouissance dans le passé, et leur accordent encore les avantages d'une longue jouissance pour l'avenir? Le projet de loi ne porte aucune atteinte aux concessions qui auraient transféré des droits irrévocables et qui seraient dans des cas d'exception, soit parce qu'elles auraient été faites sous l'empire d'une

législation qui les aurait autorisées, soient parce qu'elles seraient maintenues par des traités politiques.

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M. le comte d'Argout, prenant de nouveau la défense des concessionnaires, est entré dans une discussion de principes, qui confirme la doctrine professée par la commission de la Chambre des députés. Il a observé « qu'en supposant évidente la doctrine établie tant par le rapporteur que par le commissaire du Roi, il était parfaitement inutile de le préjuger par le Code; car on ne doit ni on ne peut supposer que les tribunaux ignorent les lois, et qu'ils ne sachent pas en faire une application judicieuse. De deux choses l'une, ou l'interprétation donnée aux lois anciennes de la matière est exacte et certaine, alors les tribunaux jugeront dans le sens du projet, et sa disposition est superflue; ou l'interprétation est douteuse, et alors c'est aux tribunaux que la question doit nécessairement être renvoyée, et la loi ne devait nullement la trancher. En réalité, il faut bien le reconnaître, la question est douteuse; car l'opinion de M. le commissaire du Roi et de M. le rapporteur, quelque imposante qu'elle soit, est contre-balancée en ce point par celle qu'a émise la Cour de cassation lorsque le projet de Code fut soumis à son examen; cette Cour, en effet, toin de regarder les affectations comme proscrites par les lois fondamentales de la monarchie, loin de les regarder comme de véritables aliénations, les a considérées au contraire comme des contrats qui devaient être respectés, alors même que leur durée était illimitée. »

Le noble pair a rappelé ce que la législation a fait, à diverses époques, à l'égard des aliénations domaniales; mais il a demandé • pourquoi les affectations qui ne touchent point au fonds, et qui ne sont que des concessions de fruits, seraient traitées plus défavorablement que les aliénations du fonds lui-même; pourquoi tous les détenteurs de domaines aliénés ou engagés ont fini par être reconnus propriétaires incommutables, tandis que les possesseurs d'affectations seraient seuls dépossédés. Mais, dit-on, l'ordonnance de 1566 défendait expressément d'aliéner les fruits, fût-ce même pour un an. Le noble pair ne saurait croire que l'on voulût appliquer cette disposition dans un sens qui, si on l'admettait, pourrait aller jusqu'à proscrire les adjudications annuelles des coupes, et qui, dans tous les cas, serait contraire aux dispositions de l'ordonnance de 1669, qui règlent les délivrances de bois d'affouage. En supposant d'ailleurs que la prohibition fùt absolue pour la France, comment appliquer les mêmes principes à une province qui se trouvait régie à l'époque des concessions par des lois toutes différentes; à la Lorraine, où se trouvent établies un grand nombre d'affectations?

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M. le comte Roy, rapporteur, a reproduit en partie, pour répondre au préopinant, les argumens qu'il avait déjà présentés.

M. le baron Pasquier ne croit pas que les affectations puissent être considérées comme des aliénations. « Les aliénations, a dit le noble pair, emportent toujours l'idée du détournement du domaine public, et c'est pour cette raison que notre ancienne législation les avait proscrites. Les affectations, au contraire, ont toujours un but réel d'utilité publiqué, l'établissement d'une industrie profitable au canton, à la province, et quelquefois à l'État tout entier. Cèpendant on a été amené à confirmer même les aliénations, tant on a senti qu'il était difficile de toucher à des droits acquis. Le but du législateur doit être de défendre le présent et l'avenir; mais, en général, il doit être fort circonspect à l'égard de ce qui se rattache au passé. Or, que fait ici le projet? tout en admettant pour les concessionnaires le recours aux tribunaux, il pose contre eux le principe de l'assimilation entre les affectations et les aliénations, ce qui change considérablement la position des choses au préjudice des concessionnaires. »

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Selon lui, c'est un grave inconvénient d'appliquer à province (la Lorraine) des prohibitions qui n'y ont jamais été établies, des lois antérieures à sa réunion à la France, et de remettre ainsi en question des droits deux fois confirmés par des traités solennels.

M. le vicomte de Martignac, commissaire du Roi, a insisté sur les principes qu'il avait déjà présentés.

Après cette discussion, qui n'a donné lieu à la proposition d'aucun amendement, l'article 58 a été adopté.

§. 2. La coutume de Lorraine admettait, comme le Code civil, la prescription de trente ans avec titre ou sans titre, entre absens ou présens, contre le prince ou le vassal, et tout autre, quel qu'il fût, pour la propriété d'un héritage et plein droit en la chose mobilière ou immobilière. Il semble donc que les concessions faites en Lorraine, avant la réunion de cette province à la France, doivent être maintenues.

§. 3. Cependant une ordonnance du Roi, du 17 octobre 1821, a établi que le principe d'inaliénabilité qui régissait le domaine royal en France, et même celui des anciens ducs de Lorraine, rendait susceptible de révocation les affectations faites dans les forêts de la ci-devant Lorraine, comme dans les autres forêts. ( Trait. gén., tom. 2, pag. 958.)

S. 4. Il résulte des principes d'inaliénabilité qui régissaient le domaine du Roi de France et qui gouvernaient aussi le domaine des souverains de la Lorraine, que toute affectation faite en France et en Lorraine, même à titre perpétuel, est révocable de sa nature. Le droit de révocation emporte le droit et le devoir pour l'adminis

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