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L'ordre fut exécuté, et ces lignes à Fouché certifient que l'Empereur dédaignait les demi-mesures :

Saint-Cloud, le 24 juin 1806.

Ceux des jeunes gens qui ont fait du tapage au spectacle de Rouen, qui ne sont pas mariés et ont moins de vingtsept ans, seront envoyés au 5° régiment de ligne, qui est en Italie. Faites-les mettre sur-le-champ en marche. En vivant avec des militaires, ils apprendront à les connaître et verront que ce ne sont pas des sbires...

Les coupables profitèrent du recours en grâce qui, par bonheur, leur était ouvert. L'Empereur se laissa toucher, car, au dos de la supplique qui lui fut adressée, il écrivit :

<«< Il me semble que ces jeunes gens sont suffisamment punis. Le ministre de la Police les fera mettre en liberté, puisque les deux plus coupables n'y sont pas, et leur fera recommander par le maire plus de sagesse à l'avenir, et surtout plus de respect pour la force armée. Napoléon. » Le 10 août 1810, le ministre de la Police écrit en ces termes au préfet de la Côte-d'Or : <<< On me rend compte, Monsieur, qu'on vient de jouer sur le théâtre de Dijon la Partie de chasse de Henri IV. La représentation de cet ouvrage n'étant point autorisée, vous voudrez bien donner des ordres pour qu'il ne puisse être donné sur les théâtres qui se trouvent dans votre département. »

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Parcille défense est faite au directeur de Caen, qui sollicite l'autorisation de monter la même pièce. Enfin, en 1811, Fouché, sur l'ordre de l'Empereur, adresse au Commissaire général de police, à Hambourg, l'injonction suivante :

Je vous invite, Monsieur, à prendre les mesures nécessaires pour empêcher dans les nouveaux départements

récemment réunis à l'Empire la représentation de certains ouvrages dramatiques de Werner, de Kotzebue, de Gathe et de Schiller, dont l'effet moral est évidemment de troubler l'ordre social en étouffant le respect qu'on doit aux autorités légitimes. Plusieurs de ces pièces contiennent, d'ailleurs, d'insolentes déclarations contre le Gouvernement et le peuple français. Je vous signale expressément les pièces intitulées Les Brigands, Marie Stuart et Guillaume Tell, de Schiller; Faust, de Goethe; Attila, de Werner; les Heureux, la Comédienne par amour, la Croisée murée, l'Epreuve du feu, Crainte sans nécessité, et le Pauvre troubadour, de Kotzebue.

:

Nous ne saurions mieux clore ce chapitre que par le tableau succinct d'une campagne dramatique faite, sous les auspices de Napoléon, dans cette Italie qui n'était alors, à vrai dire, qu'une province française.

En 1806, Me Raucourt, tragédienne du Théâtre-Français, sollicita de la bienveillance impériale la direction subventionnée de deux troupes formées par elle pour la la propagation de notre langue et de nos chefs-d'œuvre en Italie, dont Eugène de Beauharnais venait d'être fait vice-roi par son glorieux beau-père. Grâce à la protection de Joséphine, elle obtint aisément ce décret qui précise le but de l'entreprise et les conditions du haut patronage qu'on lui accordait :

Au palais de Saint-Cloud, le 10 juillet 1806. NAPOLÉON, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D'ITALIE, etc.

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

ARTICLE PREmier.

Il sera formé, pour l'Italie, deux troupes d'acteurs français, qui représenteront les chefsd'œuvre, tant dans la tragédie que dans la comédie, du théâtre français.

ᎪᎡᎢ. 2. L'une de ces troupes sera chargée du service des principales villes de la partie de l'Italie qui est réunie à notre Empire de France; l'autre troupe devra parcourir les principales villes de notre royaume d'Italie.

ART. 3. La première de ces troupes séjournera trois mois à Turin, trois mois à Alexandrie, trois mois à Gênes et deux mois à Parme; un mois sera employé en voyages.

ART. 4. La seconde troupe passera quatre mois à Milan, trois mois à Venise, deux mois à Bologne et deux mois à Brescia, et emploiera pareillement un mois en voyages.

ART. 5. Chaque troupe jouera quatre fois par semaine. ART. 6. La demoiselle Raucourt, artiste de notre Théâtre-Français, est chargée, aux conditions suivantes, de l'organisation et de la direction de ces deux troupes, pendant l'espace de trois années, qui commenceront au 1er avril de l'année prochaine 1807.

I

ART. 7. La demoiselle Raucourt n'admettra, dans la composition de ces troupes, que des acteurs français d'un talent reconnu et parfaitement en état de rendre les beautés de la tragédie et de la comédie françaises.

Art. 8. Les avances et les appointements, les frais de voyage, de vêtements et de décorations, le loyer des salles de spectacle et toutes autres dépenses, soit ordinaires, soit accidentelles, qui auront pour objet la formation et l'entretien des deux troupes, seront entièrement à la charge de la demoiselle Raucourt.

ART. 9. En considération des dépenses qu'occasionnera cet établissement et de l'insuffisance présumée des recettes qu'il produira, il est accordé à la demoiselle Raucourt une somme de 30.000 francs pour chaque troupe, et ce pour subvenir aux premières dépenses. Un tiers de cette somme lui sera payé à Paris, lorsqu'elle justifiera de l'organisation de chaque troupe conformément au mode qui vient d'être prescrit. Le second tiers lui sera remis à Lyon, quand les acteurs y seront arrivés. Enfin elle recevra le dernier tiers à Turin ou à Milan, aussitôt que chaque troupe sera rendue à sa destination.

ART. 10. Pour les mêmes motifs, il est en outre accordé à la demoiselle Raucourt un secours annuel de 50.000 francs pour chaque troupe. Cette somme lui sera payée de mois en mois, à partir du jour où les deux troupes auront fait l'ouverture de leur théâtre, et continuera à lui être comptée jusqu'à l'expiration des trois années réglées par l'article 6.

ART. 11. Dans le cas où l'une de ces troupes, ou les deux ensemble, ouvriraient leur théâtre avant le 1er avril 1807, le secours annuel porté dans l'article précédent sera également devancé et courra du même jour.

ART. 12. - Pendant le terme de trois années accordé à la demoiselle Raucourt, aucun autre spectacle français ne pourra s'établir dans les villes désignées aux articles 3 et 4. ART. 13. — Le Trésor de France et celui d'Italie acquitteront, par portion égale, les sommes comprises aux articles 9 et 10. ART. 14. Nos ministres de l'Intérieur et du Trésor de notre Empire français, et notre ministre du Trésor de notre Royaume d'Italie sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.

NAPOLÉON.

Le 10 octobre 1806, Mile Raucourt installa une première troupe à Milan; le 3 mai 1807, une seconde à Turin.

Notre confrère Henry Lyonnet a publié 1, sur cette exploitation en partie double, un travail étendu qui nous fournit de curieux chiffres.

D'un compte-rendu signé par Me Raucourt elle-même, il appert, en effet, qu'au 31 mai 1807, malgré les 60.000 francs alloués pour frais d'établissement et les 100.000 francs de subvention annuelle, les 30g représentations données par la troupe d'Italie à Milan, Venise,

Bulletin de la Société de l'Histoire du théâtre, février à avril 1900.

Brescia, Bologne, et par celle du Piémont à Turin, Alexandrie et Gênes, avaient occasionné à la directrice un déficit de 76.559 francs.

Bien que les suites de l'affaire n'offrissent point chance d'un meilleur succès, Me Raucourt n'en persista pas moins pendant un temps double de celui prévu dans l'acte qui l'avait accréditée : ses représentations duraient encore lorsque, le 28 avril 1814, l'entrée des troupes autrichiennes dans Milan contraignit à une retraite précipitée les pauvres missionnaires de l'art français.

IX

Au temps du Consulat, comme depuis 1792, l'anniversaire de la prise de la Bastille (14 juillet), et celui de la proclamation de la République (21 septembre), étaient les principales fêtes à l'occasion desquelles le gouvernement conviait le peuple à des spectacles non payants. A partir de 1804, ces commémorations inopportunes furent remplacées par la Saint-Napoléon, fixée au 15 août, et l'anniversaire du couronnement de l'Empereur, célébré le premier dimanche du mois de décembre. Un décret du 19 février 1806 rendit, dans toute l'étendue de l'Empire, ces fêtes obligatoires; il y eut dès lors, en province comme à Paris, spectacles gratis la veille des deux jours consacrés, ainsi qu'à l'occasion d'événements importants pour le pays. Vingt-huit fois fut offert au peuple parisien le plaisir dont il était friand, aux dates et dans les conditions ci-contre indiquées.

• La représentation de décembre n'eut cependant pas lieu, de 1806 à 1808.

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