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à Dumourier, qui, pour d'autres motifs, m'avait fait à peu près la même proposition que M. de Rivarol.

NOTE SUR LA LETTRE LXIII

Cette lettre doit piquer la curiosité, parce qu'elle renferme l'opinion particulière du roi sur les hommes qui jouaient les principaux rôles à l'époque où elle a été écrite : elle fait connaître aussi l'étrange proposition de Rivarol. La lettre dont le roi envoie une copie à Monsieur est sans doute la précédente.

L'opinion personnelle de Louis XVI sur plusieurs hommes fameux, a un caractère qui doit inspirer de la confiance dans ses jugements. La passion n'en dicte aucun, et cependant il était naturel qu'elle eût quelque influence sur un prince qui ne pouvait voir dans tous ces hommes faibles, ambitieux ou corrompus, que les artisans des maux qui pesaient sur son peuple et sur sa famille.

Le jugement que le roi porte du ministre Roland est curieux. Cette enveloppe de puritain, sous laquelle il se présentait à la cour, avait quelque chose de peu naturel. Il affectait dans ses discours une austérité, on pourrait même dire une rudesse de principes qui est plus souvent la livrée de l'orgueil que l'indice de la modestie. Son costume était peu convenable pour un homme qui approchait, je ne dis pas d'un monarque, mais du premier fonctionnaire public de l'État. Ces manières républicaines laissaient trop percer l'arrière-pensée du ministre, et devaient exciter la défiance du roi et la haine de la reine. Roland était républicain. En acceptant le ministère, il s'était placé dans une fausse position, et voilà pourquoi le roi le taxe d'hypocrisie.

Ce que Louis XVI dit de madame Roland est très-exact. C'est elle qui menait le ministère de l'intérieur : elle avait pour conseils Brissot, Louvet, Clavière, Barbaroux..., et ce n'est pas sans raison que Danton, répondant à ceux de ses collègues qui voulaient que l'Assemblée invitât Roland à ne pas quitter le ministère, dit : « Si l'on fait une invitation à Monsieur, il faut aussi en faire une à Madame. »

Quant à Dumourier, ce provençal difforme était un libertin, un ambitieux, la vanité et la corruption faite homme. Envoyé par Louis XV au secours de la Pologne, il l'avait volée, ainsi que la France. Il se fit battre, et après avoir trahi les Polonais, après les avoir vendus à leurs ennemis, les rois philosophes et les barbares du Nord, il les insulta... de loin, à son retour en France. Il finit par se faire jacobin, puis par se vendre aux d'Orléans. Par lâcheté, il refusa de venir témoigner en faveur du roi, comme le fit Malesherbes.

LETTRE LXIV

A M. LE DUC DE BRISSAC

27 mai 1792.

L'opinion que vous avez manifestée hier me plaît infiniment. Il faut céder pour ne pas irriter; il faut céder pour ôter tout prétexte à mes ennemis de calomnier mes intentions. Vous pouvez mettre à exécution le licenciement de la garde constitutionnelle qui m'avait été accordée. J'espère que ce licenciement ne sera que provisoire. Il est impossible que cet état de méfiance soit de longue durée. On veut me tracasser et me faire perdre patience; on ne réussira pas. Je suis accoutumé aux sacrifices; celui-ci est pénible, je l'avoue. Cette garde me fournissait les moyens d'être utile à tant de braves gens qui ont tout perdu en prenant ma défense! Je redoute pour eux les services qu'ils m'ont rendus. Certaines gens me détestent si cordialement qu'ils ont une haine prononcée pour tout ce qui m'environne ou me paraît attaché. Monsieur, dites à tous ces braves gens qu'ils seront toujours à

mon service, que je serai toujours leur père. Peignezleur toute ma douleur, et témoignez mes regrets à tous ceux qui faisaient partie de ce corps, auquel j'étais fort attaché. Dites-leur que j'espère un jour les réunir, récompenser leur zèle, et payer les services que m'ont rendus et que peuvent me rendre encore des fidèles sujets. Pour vous, Monsieur, je ne vous remercie point: vous êtes Français, vous respectez votre roi, vous savez remplir vos devoirs. Vous aimer, vous estimer, et vous le prouver, voilà quels sont les miens.

NOTE SUR LA LETTRE LXIV

LOUIS.

On sait que M. le duc de Brissac se distingua toujours par son zèle chevaleresque (ce sont les expressions du roi dans la lettre qu'il lui écrivit le 28 octobre 1789), et il n'est pas étonnant qu'on ait cherché à l'abreuver de dégoûts.

La garde, dite constitutionnelle, aurait dû être formée depuis longtemps, aux termes de la Constitution; mais le roi, prévoyant qu'elle deviendrait le point de mire de ses ennemis, ne se pressait pas de l'organiser; cependant, ayant appris que ce retard était regardé comme la preuve de l'espoir qu'il conservait de rappeler ses anciens gardes-du-corps, il donna l'ordre de former cette garde constitutionnelle qui prêta serment devant la municipalité, le 16 mars 1792. Ce que le roi avait prévu arriva. Les journaux des anarchistes répandirent les bruits les plus absurdes sur cette garde, que l'on désigna à la haine de la milice parisienne; bientôt on publia que l'on méditait une contre-révolution, que ce corps formerait l'avant-garde des assaillants, etc., etc. Il est plus naturel de penser que le but de toutes ces calomnies était d'isoler le roi. L'Assemblée, dans une séance nocturne, remarquable par la violence des discours qui y furent prononcés, décréta, le 29 mai, le licenciement de cette garde, dont l'existence fut très-courte.

Le roi avait un instant voulu refuser sa sanction à ce décret; mais les ministres, craignant de voir renouveler les attentats des 5 et 6 octobre, refusèrent de contresigner så lettre à l'Assemblée. Le licenciement eut lieu le 30 mai; il y a donc une légère erreur de date dans la lettre à M. de Brissac : elle doit être du 30 mai au matin.

LETTRE LXV

A MONSIEUR

29 mai 1792.

L'audace des factieux n'a plus de frein, mon cher frère; les propositions les plus absurdes me sont faites pour abdiquer la couronne. Si je défère à cette mesure prétendue de salut public, on proclamera roi des Français, mon fils. Un conseil de régence présidera, jusqu'à sa majorité, toutes les affaires, et signera en son nom. Si j'acquiesce, on me laissera la liberté de faire ma résidence où bon me semblera, même hors du royaume. On me laissera la propriété de tous mes biens patrimoniaux, avec un traitement de cinq millions, dont deux seraient réversibles sur la reine, si je venais à mourir. Ces propositions m'ont été faites par un homme que je ne puis encore vous nommer, mais qui est l'âme de cette société qui, jusqu'à ce jour, a sapé tout ce que les siècles avaient consolidé. Des lettres anonymes me parviennent de toutes parts. On m'annonce que nous touchons à l'époque d'une tragédie, dont le dénoûment sera la chute de la monarchie et ma mort, si je ne me décide pas à rentrer dans

la vie privée. Je n'écouterai point ces insinuations criminelles; je mourrai où la Providence m'a placé, imperturbable, parce que je n'ai jamais cessé d'être juste. Je suis entièrement résigné à tout. Dieu et l'espérance, voilà, mon frère, ce qui ne peut m'être ravi. J'ai, pour braver la haine des méchants, ma conscience et la fermeté du malheur.

Adieu; je vous écrirai plus longuement aprèsdemain.

NOTE SUR LA LETTRE LXV

LOUIS.

On voit par cette lettre confidentielle, que les factieux ne cachaient plus ni leurs projets, ni leurs espérances. La royauté n'existe déjà plus pour eux; mais la vue de l'homme vertueux qui fut si longtemps chéri des Français et que leurs calomnies n'ont pu bannir du cœur des gens de bien, cette vue les importune.

On doit avoir dans le projet de nomination du Dauphin, non le moyen de conserver l'ombre d'une monarchie constitutionnelle qui consacre l'hérédité, mais la nécessité d'avoir un otage qui puisse garantir les factieux du courroux de l'Europe, à la vue du meilleur des rois fugitif, errant. Mais que dis-je ? aujourd'hui ils consentent qu'il fasse sa résidence hors du royaume, et lorsqu'ils étaient moins puissants ils n'ont pas voulu lui permettre d'aller jusqu'à Saint-Cloud, qui était une résidence royale! Ils veulent bien, disent-ils, qu'il sorte d'un pays devenu leur proie; et cependant, lorsqu'il était près d'atteindre Montmédy, ils l'ont ramené comme un grand coupable! Qui ne voit, dans cette permission qu'ils feignent de lui accorder aujourd'hui, une proposition dérisoire ? C'est sa déchéance absolue, c'est sa mort qu'ils veulent.

Et cette régence, quels sont les magistrats qui la composeront? On voit d'ici les factieux se la disputer, car ils sont trop nombreux pour se la partager; ce sont les hommes du 14 juil

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