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françaises. S'emparer des autres points gardés, eût paru un attentat inoui. Le château, la cour intérieure, le côté des jardins restèrent donc confiés aux gardes du corps et aux Suisses. A deux heures du matin après avoir visité ses postes, Lafayette voulut parler de nouveau au Roi. On lui dit qu'il dormait. Après cinq heures, la tranquillité régnant partout, Lafayette exténué de besoin et de fatigue, se rendit à son quartier-général qui avait été établi tout près du château, pour recevoir les rapports, écrire à Paris, prendre quelque nourriture et un peu de repos. Tout-à-coup un officier de ronde accourt vers lui. Une troupe de brigands cachés dans les bosquets du jardin, avait fait une irruption soudaine dans le palais, tué deux gardes du corps, et pénétré jusqu'aux appartemens de la Reine qui, grâce à la courageuse résistance de deux de ses gardes, eut le temps de se sauver chez le Roi.

Ordonner au premier poste de courir aux appartemens qui, malheureusement, se trouvèrent barricadés de ce côté, obstacle qui favorisa la fuite des brigands, sauter sur le premier cheval qui s'offrit à lui, et, pendant que les grenadiers nationaux sauvaient la famille royale et les gardes du corps (dont, soit dit en passant, tous les officiers, à l'exception de quatre, avaient été se coucher), arracher à une multitude qui accourait de toutes parts d'autres gardes du corps saisis dans les rues : telle fut la conduite de la garde nationale et de son chef. Resté seul au milieu d'une foule effrénée, un de ces furieux de

manda la tête de Lafayette: il ne la sauva qu'en ordonnant aux autres d'arrêter ce forcené.

Le Roi ayant tenu conseil et annoncé sa détermination de se rendre à Paris, Lafayette, inquiet des démonstrations qui menaçaient encore la Reine, osa lui proposer de venir seule avec lui sur le balcon; et là, ne pouvant se faire entendre de cette multitude, il eut l'heureuse idée de baiser la main de Marie-Antoinette. « Vive la reine, vive Lafayette, » cria-t-on de toutes parts. Il conduisit ensuite sur ce même balcon un garde du corps, et l'embrassa, « Vivent les gardes du corps », s'écria-t-on encore. Rentré dans le cabinet, madame Adélaïde, tante de Louis XVI, l'appela, en l'embrassant, le sauveur du Roi et de sa famille. Ce cri de sauveur fut répété les premiers jours par la cour, les gardes du corps et tous les partis. Du reste, jusqu'à leur mort, le Roi, la Reine et madame Élisabeth lui ont rendu publiquement la justice de dire que c'est à lui qu'ils avaient dû leur salut dans cette mémorable circonstance.

La cour se transporta à Paris. Il est faux que les têtes des malheureux gardes aient été portées devant la voiture royale; il est faux aussi que le duc d'Orléans ait été aperçu au château dans ces momens de désordres; il n'y arriva que lorsque tout était fini; mais son nom avait été compromis, et cela suffisait pour que, dans une conférence que Mirabeau appela trèsimpérieuse d'une part, et très-résignée de l'autre, Lafayette engageât le prince à sortir pour quelque temps du royaume.

Lafayette souhaitait que les gardes du corps partageassent le service du palais avec la garde nationale. L'aristocratie des chefs s'y opposa, et d'ailleurs la cour voulait que le Roi parût être prisonnier. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que furent réprimés à la fois un complot contre-révolutionnaire, et l'horrible attentat d'une faction coupable.

D'autres actes de fermeté contribuèrent au prompt rétablissement de l'ordre public. Des séditieux qui avaient assassiné un boulanger, furent jugés et pendus; un attroupement de soldats révoltés fut entouré, pouillé de l'uniforme et conduit aux prisons de SaintDenis. Enfin, quoique Lafayette eût souvent des mouvemens populaires à réprimer, et plus encore à calmer par la persuasion, Paris jouit pendant deux ans d'une tranquillité étonnante au sein d'une si grande fermentation.

Les débats de l'Assemblée sont une preuve irrécusable de la liberté des opinions. Celle de la presse, s'exerçant surtout contre les hommes du pouvoir, fut excessive dans tous les sens, depuis les journaux et pamphlets contre-révolutionnaires jusqu'aux écrits de ce Marat, savant assez connu, et médecin attaché à la maison du comte d'Artois, qui, parti aristocrate pour Londres, deux mois avant le 14 juillet, revint, un mois après, démagogue furieux et dénonciateur quotidien de Bailly et Lafayette. Il n'y eut, au milieu de ce conflit que trois hommes traduits en jugement pour crime d'état : Bezenval qui fut acquitté, ainsi que le prince de Lambesc contumace et Favras

officier de la maison de Monsieur depuis Louis XVIII, qui vint alors à l'Hôtel-de-Ville attester làchement qu'il n'existait aucun rapport politique entre Favras et lui, et protester de son attachement à la révolution. Favras fut jugé par le tribunal du Châtelet, d'après les anciennes lois, mais suivant les nouvelles formes favorables aux accusés. « Vos magistrats,» avait dit Lafayette aux deux chefs de ce corps, «sont incapa»bles de se laisser influencer par la crainte, mais ce se»>rait une lâcheté bien superflue, car je vous réponds » de tout. » En effet, le courageux et discret Favras remercia en pleine audience la garde nationale de son zèle à protéger sa personne et l'indépendance de ses juges. Il fut condamné, quoiqu'une des principales charges qui pesaient sur lui, le projet d'assassiner le maire et le commandant général, eût été atténuée par une lettre de ces deux fonctionnaires, tendante à invalider ce chef d'accusation.

Lafayette parla souvent dans l'assemblée nationale sur les désordres qui éclataient dans les diverses provinces ; il demanda des décrets répressifs, et des dédommagemens pour les maisons incendiées, par suite de ces désordres, dont il accusa en grande partie l'esprit contre-révolutionnaire. Cette pensée de l'influence du dehors sur les excès de l'anarchie fut souvent reproduite par lui; ce fut aussi celle d'un grand nombre d'amis les plus purs de la liberté et de l'ordre public. « Ce n'est pas pour le Champ-de>> Mars que vous m'immolez, » disait Bailly, « c'est pour le serment du Jeu de Paume. » On voit, d'un

autre côté, dans les Mémoires de madame Campan, que telle était aussi la pensée de la Reine. Quoi qu'il en soit, c'est en demandant à la tribune des mesures sévères contre les perturbateurs, que Lafayette fit entendre ces paroles qui, depuis, lui furent tant de fois et si amèrement reprochées que, l'insurrection contre le » despotisme était le plus saint des devoirs, et, que, » sous un Gouvernement libre, c'était l'obéissance » aux lois. »

Lafayette appuya de tout son pouvoir les mesures de fermeté prises contre la garnison de Nancy qui s'était insurgée, et il réclama l'approbation de l'assemblée en faveur de la conduite que M. de Bouillé tint à cette occasion. Il demanda le Jury anglais dans toute sa pureté, et lors qu'éclatèrent ces discussions religieuses, dont l'esprit de parti parvint, de part et d'autre, à faire un schisme, il fut, tant à l'Assemblée que dans l'exercice de ses fonctions de commandantgénéral, l'apôtre et le défenseur de la liberté et de l'égalité des cultes; il protégea hautement celui-là même qui était le plus impopulaire et qu'on pratiquait dans sa propre famille; aussi reçut-illes remercîmens de prêtres non assermentés, et de plusieurs couvens de religieuses, où on faisait des prières pour Lafayette ; il parla en faveur des propriétaires hommes de couleur. « L'assemblée nationale, dit-il, convoles colons pour délibérer sur leurs intérêts; » n'est-il pas évident les hommes libres pro>> priétaires, cultivateurs, contribuables d'une co»lonie, sont colons? Or, ceux dont il est ques

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