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congrès à Aix-la-Chapelle pour modifier notre Constitution. et rétablir la noblesse? Est-il vrai que cet insolent projet de congrès doive s'exécuter malgré la déclaration faite par le roi qu'il accepte la Constitution?

» Est-il vrai que l'empereur ait donné ordre de respecter le pavillon national de France, tandis que dans le même temps il tolère les préparatifs militaires que font les réfugiés dans ses états, tandis qu'on annonce la marche d'un nombre considérable de troupes nouvelles vers le Brisgaw?

>> Est-il vrai que le roi de Prusse ait arrêté une réduction de ses troupes, et cependant ne les réduise point, les tienne sur les pied de guerre, fasse préparer les magasins les plus voisins de la France ?

» Est-il vrai que le cordon de troupes espagnoles, sardes et suisses qui avoisine la France se grossisse de jour en jour sous des prétextes imaginaires?

>>

Enfin, quelles sont maintenant les disposition de tous ces états pour notre Constitution depuis que l'acceptation de la royauté constitutionnelle par Louis XVI leur a été officiellement notifiée? Assez de temps s'est déjà écoulé pour que ces dispositions soient connues, et il importe que vous en soyez officiellement instruits vous-mêmes, afin de prendre promptement une détermination grande, généreuse, et digne de l'auguste mission dont vous êtes revêtus.

» Je n'anticiperai point cette communication; je ne me permettrai même aucune observation ni sur l'étrange réponse que vous a faite M. Montmorin à une de vos séances, ni şur les réponses déjà publiques de quelques uns de ces gouvernemens; je les réserve lors de la discussion de son rapport : mais je dis que jusqu'à ce jour vous avez été constamment outragés; que jusqu'à ce jour des plans d'hostilités ont été sans cesse médités et préparés contre vous, que jusqu'à ce jour plusieurs gouvernemens étrangers ont non seulement prêté asile et des secours aux rebelles qui conspirent contre vous, mais même les ont favorisés dans leurs manœuvres et dans leurs préparatifs; je dis que vous devez venger votre gloire ou vous condamner à un déshonneur éternel; que vous devez forcer les étrangers à s'expliquer enfin sur leurs arme

mens, sur leur conduite à l'égard des rèbelles, ou que vous risquez votre sûreté, et que vous encouragez vous-mêmes et la révolte et les émigrations.

» Deux partis sont ouverts aux puissances étrangères; ou elles rendront hommage à votre Constitution nouvelle, ou elles refuseront de la reconnaître.

» Dans le premier cas celles d'entre elles qui favorisent aujourd'hui les rebelles seront forcées de les abandonner, et dès lors la rébellion et les émigrations cessent.

Dans le cas où des puissances étrangères refuseraient de reconnaître notre Constitution deux partis s'offrent encore à elles; le premier de nous attaquer à force ouverte, le second d'établir une médiation armée dont l'objet serait de modifier notre Constitution et de rétablir les chefs des rebelles dans leurs anciens droits.

» Ce n'est pas ici le lieu d'examiner quel parti les étrangers prendront très probablement ; il s'agit de savoir ce que vous devez faire, ce que vous avez à craindre dans les trois cas: cet examen seul peut guider votre conduite à l'égard des rebelles et des émigrans.

» Or je dis que dans les trois cas vous devez vous préparer à déployer toutes vos forces, et que dans aucun cas vous n'avez à redouter celles des étrangers.

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» Dans le premier, quand même les puissances étrangères reconnaîtraient en apparence votre Constitution, il serait possible qu'à l'aide de mille prétextes elles cherchassent à continuer de fomenter les troubles dans votre sein et à favoriser les rebelles l'histoire à cet égard vous prouve que vous ne devez jamais compter sur la foi des rois : la Hollande n'aurait pas essuyé une guerre de trente ans pour conquérir sa liberté si Élisabeth ou même Henri IV eussent voulu de bonne foi cette liberté; mais les rois ne veulent que susciter des embarras à leurs voisins sans s'inquiéter de leur bonheur. Vous devez donc, en vous mettant en force, apprendre à vos voisins à être de bonne foi dans leur hommage à votre Constitution ét dans leur abandon des rebelles et des émigrans.

» Dans le cas de refus ou de médiation armée vous n'avez pas à balancer; il ne faut pas seulement songer à vous dé

fendre, il faut prévenir l'attaque, il faut attaquer vous-mêmes. (Applaudissemens.)

» Le grand-duc de Toscane et la reine de Portugal donnèrent asile aux ennemis de la liberté lors de la révolution de 1650 Blake a ordre aussitôt d'attaquer l'un et l'autre et il brûle dans le Tage la flotte du prince Rupert; voilà la marche d'un peuple libre ! (Applaudissemens.)

» Vous avez bien moins à combattre que ces Anglais, car vous avez à faire à des ennemis que l'image de la liberté a pétrifiés à moitié comme la tête de Méduse, des ennemis qui craignent plus encore d'être abondonnés que d'être vaincus ; et voilà pourquoi la médiation armée sera probablement le parti qu'ils préféreront. Ils essaieront donc de vous dicter des lois dans leur congrès, de vous faire adopter par la terreur de leurs armes et cette résurrection de la noblesse et cette imitation de constitution anglaise à laquelle s'attachent maintenant les rebelles : mais les Français seraient indignes de la liberté s'ils capitulaient par la terreur sur quelque point que ce fût; le principe de la Constitution serait violé, puisque la modification serait le produit de la force et non d'une volonté libre et générale; et si la force pouvait une fois produire une première modification, qui garantirait qu'on n'en exigeât une seconde ? Ainsi votre Constitution serait soumise à une instabilité perpétuelle; vous n'auriez ni gloire ni liberté, car qu'est-ce qu'une liberté qui repose sur la foi de garans étrangers!

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Considérez, messieurs, quelles puissances on veut vous faire redouter, et vous verrez si vous ne devez pas déployer toute votre énergie soit à leur égard, soit à celui des rebelles qu'elles favorisent.

» Le peuple anglais aime votre révolution, si son gouvernement la hait, et pour juger des forces de ce gouvernement il faut ouvrir le registre des intérêts qu'il paie, entendre les volontaires de Dublin, parcourir les déserts de l'Ecosse, et suivre le lord Cornwallis à Seringapatnam.

» C'est à Tippou, vainqueur ou vaincu, que nous devrons la modération du gouvernement anglais; il ne sera jamais à redouter tant qu'il aura à combattre ou à régir le vaste Indos!an: non que je veuille ici déprécier un peuple libre avec lequel la

nature des choses nous commande les liaisons les plus étroites, un peuple appelé à être notre allié, notre frère; mais je veux, je dois calmer de vaines terreurs.

Telles sont encore celles qu'inspire l'Autriche : son chef aime la paix, veut la paix, a besoin de la paix; ses pertes immenses en hommes et en argent dans la dernière guerre, la modicité de ses revenus, le caractère inquiet et remuant des peuples qu'il commande; les mécontentemens du Brabant, que les prédications des Vonkistes, que les querelles des états avec le conseil ne cessent d'allumer; la disposition des troupes, qui ont pressenti la liberté, qui ont déjà donné des exemples funestes pour la discipline, encouragées par une condescendance inouïe dans les troupes autrichiennes; tout fait la loi à Léopold de recourir aux négociations, et non aux armes.

» Les habitudes, les goûts et l'intérêt y porteront également l'héritier du grand Frédéric, qui ne peut en politique excuser sa coalition avec son ennemi s'il veut être de bonne foi jusqu'au bout, car la révolution française ôte à l'Autriche une partie de son poids dans la balance germanique.

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Quant à cette princesse dont l'ambition ne connaît point de bornes, qui ressemble par quelque côté à la célèbre Élisabeth, elle ne lui ressemblera pas au moins en cherchant à combattre un peuple libre: Elisabeth aidait les Hollandais : tout est uni contre elle, ses trésors épuisés, ses guerres ruineuses, les élémens, les distances: on a peine à subjuguer des esclaves à mille lieues; on ne triomphe point d'hommes libres à cette distance. (Applaudissemens.)

» Je dédaigne de parcourir les moyens des autres princes qu'on dit entrer dans cette coalition consommée pour soutenir nos rebelles : peut-on, par exemple, craindre sérieusement un roi qui compte à peine vingt-cinq millions de revenus, qui en dépense les deux tiers pour salarier mal une armée nombreuse d'officiers généraux et une très petite armée de soldats mécon

tens ?

» Soit donc que la France jette les yeux au dehors, soit qu'elle les jette au dedans, tout doit lui donner les plus grandes espérances, tout doit la déterminer et à traiter rigoureusement les rebelles, et à forcer les puissances étrangères de

s'expliquer sur la faveur qu'elles leur accordent et sur leurs dispositions actuelles.

» Il est temps d'effacer l'avilissement où, soit insouciance soit pusillanimité, on a plongé la France; il est temps de lui donner l'attitude imposante qui convient à une garnde nation, de la remplacer au rang qu'elle doit occuper parmi les puissances, de faire respecter, et dans la personne de ses représentans et dans celle de ses simples citoyens, le droit des gens et la dignité d'hommes qui sont membres d'une association libre, enfin de forcer ces puissances à respecter les décrets qu'elle rend contre les émigrans et les rebelles!

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L'Europe connaît la ferme résolution déclarée par la France de ne plus entreprendre aucune conquête, de ne plus troubler les gouvernemens voisins; mais la France a droit d'exiger d'eux un semblable retour; elle a droit de leur dire : nous respectons votre paix, votre Constitution; respectez la nôtre; ne donnez plus d'asile aux mécontens; ne vous associez plus à leurs projets sanguinaires; déclarez-nous que vous ne vous y associerez pas; ou, si vous préférez à l'amitié d'une grande nation vos rapports avec quelques brigands, attendez-vous à des vengeances! La vengeance d'un peuple libre est lente, mais elle frappe sûrement. (Applaudissemens réitérés.)

Tel est, messieurs, le langage qu'un peuple libre doit tenir

à ses voisins, et que vous tiendrez sans doute.

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Mais, encore une fois, avant de prendre aucune mesure vous devez avoir des bases certaines, des faits certains vous devez en conséquence ordonner au ministre des affaires étran-gères de vous mettre sous les yeux toutes les pièces qui doivent vous diriger; vous devez surtout réclamer celles qui pourront vous instruire de quelle manière les puissances étrangères ont accueilli la notification qui a dû leur être faite et de notre Constitution et de son acceptation par le roi. C'est alors que vous pourrez distinguer les agens du pouvoir exécutif qui ont rempli leur mission avec énergie de ceux qui l'ont trahie, ceux qui méritent d'être conservés de ceux dont le salut de l'Etat commande l'expulsion. Ah! si le ciel pouvait tout à coup nous révéler, dévoiler à nos yeux les mystères de notre équivoque diplomatie, peut-être y trouverions-nous les premiers fils de

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