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pres au pouvoir municipal sont de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. » On s'est prévalu de l'expression vague de bonne police pour en induire que le droit de réglementation des autorités locales s'étend à tout ce qui concerne la police dans sa plus large acception. La jurisprudence a toujours rejeté cette interprétation qui ne tendrait à rien moins qu'à transformer les conseils communaux en corps législatifs au petit pied. Le décret de 89, le premier qui ait organisé les municipalités dans l'esprit de la Révolution, ne fit que poser un principe, sauf à le préciser ensuite en le développant; et l'article 50 même limite déjà en l'expliquant cette vague locution de bonne police qui, prise à la lettre, comprendrait tout; il s'agit de la police locale, puisque ce sont les municipalités qui en sont chargées, et cette police locale comprend seulement certains intérêts que le décret énumère, la propreté, la salubrité, la sûreté, la tranquillité. L'explication est déjà limitative; la loi du 24 août 1790 l'est encore davantage. Cette loi, dont l'objet principal est l'organisation judiciaire, contient un titre sur les juges en matière de police; l'article 3 (1) porte Les objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux sont : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté ou la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques; ce qui comprend le nettoiement, l'illumination, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des bâtiments menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des bâtiments qui puisse nuire par sa chute, et celle de rien jeter qui puisse blesser ou endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles; 2° le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait un grand rassemblement d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics; 3° l'inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids, à

(1) Publié en Belgique par l'arrêté du 7 pluviôse an v.

l'aune ou à la mesure, et sur la salubrité des comestibles exposés en vente publique. » Nous n'avons transcrit que celles des dispositions de la loi de 90 qui touchent directement à l'usage de la propriété. Voilà donc la définition de la police communale et les limites dans lesquelles elle s'exerce c'est le développement du décret de 89. La loi de 90 nous dit ce que les autorités locales peuvent et doivent faire pour assurer aux habitants la propreté, la salubrité, la sûreté et la tranquillité. Hors de là, les conseils communaux sont incompétents (1).

118. Il résulte du principe que nous venons de formuler une conséquence importante en ce qui concerne les règlements relatifs à la propriété : les conseils communaux ne peuvent pas porter atteinte à la propriété, ils peuvent seulement en régler l'usage, en tant que la propreté, la salubrité, la sûreté et la tranquillité des habitants y sont inté

ressées.

Un règlement du conseil communal de Liége, du 26 mai 1854, porte qu'il sera ouvert, au bureau du commissaire de police en chef, un registre dans lequel seront inscrites les déclarations d'objets perdus. Puis il dit que toute personne qui sera en possession d'un objet perdu est tenue d'en faire immédiatement la déclaration audit bureau; et si ce sont des clefs, il en doit être fait dépôt. Ce règlement est-il légal? Il suffit de lire les lois de 1789 et 1790 pour se convaincre que la matière des objets perdus n'a aucun rapport avec la police locale; c'est la police générale qui est en cause, et cette police, quant aux objets trouvés, ne pourrait être réglée que par une loi; l'article 717 du code civil le dit expressément (2).

Les conseils communaux ont le droit incontestable de régler le commerce de la boucherie dans un intérêt de salu

(1) Le principe, tel que nous venons de le formuler, est consacré par la jurisprudence de la cour de cassation de Belgique (arrêts du 7 mars 1853, du 26 janvier 1857, du 13 avril 1863, dans la Pasicrisie, 1853, 1, 310; 1857, 1, 74; 1863, 1, 242).

(2) Arrêt de rejet de la cour de cassation de Belgique du 13 avril 1863 (Pasicrisie, 1863, 1, 242). Dans le même sens, un jugement du tribunal de police d'Arbois du 8 décembre 1864 et du tribunal de la Seine du 4 avril 1865 Dalloz, 1868, 3, 105 et 106).

brité publique; ils peuvent notamment faire un règlement sur les abattoirs, mais ils ne peuvent pas attribuer à la commune la propriété de choses qui appartiennent aux bouchers ou aux abatteurs. C'est ce qu'avait fait le consei communal de Nivelles, en décrétant que les abatteurs, bouchers et charcutiers n'avaient aucun droit sur le fumier, le résidu, les vidanges et le sang, qui restaient la propriété de la ville. La ville s'appropriait des choses qui étaient propriété privée; le législateur lui-même n'aurait pas ce droit, puisque c'est une véritable expropriation, une atteinte portée à l'inviolabilité de la propriété, telle que la Constitution la garantit. L'arrêté fut déclaré illégal par la cour de cassation (1).

119. Les conseils communaux n'ont pas un pouvoir absolu de régler l'usage de la propriété; ils ne le peuvent que dans un intérêt de police locale, telle qu'elle est définie par le décret de 1789 et la loi de 1790. Dans un arrêt récent, la cour de cassation de Belgique a formulé le principe d'une manière beaucoup plus large. On lit dans les considérants que « l'usage du droit de propriété comporte toutes les restrictions nécessaires pour qu'il ne soit pas abusif et inconciliable avec l'état de société. » Sans doute, mais reste à savoir qui peut y apporter ces restrictions, et certes les conseils communaux n'ont pas le pouvoir étendu que semble leur reconnaître la cour suprême. Nous croyons que le considérant que nous venons de transcrire dépasse la pensée de la cour; il faut le rapprocher de ce qui précède; or, il y est dit que le conseil communal dont on attaquait le règlement avait statué dans l'intérêt de la sécurité et de la salubrité publique. En y ajoutant cette restriction, la proposition de la cour est exacte, et sa décision en tout cas est irréprochable.

Un règlement du conseil communal d'Ixelles porte que tout propriétaire d'un terrain contigu à la voie publique est tenu de le clôturer par un mur ou un grillage. La légalité de cette disposition fut contestée. On disait que l'article 544 permet bien de restreindre l'usage de la pro

(1) Arrêt du 16 mars 1857 (Pasicrisie, 1857, 1, 142).

priété, mais il n'autorise pas d'enjoindre aux propriétaires tel ou tel exercice obligatoire de leur propriété, et aucune loi ne donne aux autorités communales le droit de contraindre les particuliers à clôturer leurs terrains contigus à la voie publique; elles le pourraient tout au plus dans un intérêt communal de salubrité, de tranquillité, de sûreté ou de commodité, tandis que le règlement est général et absolu. La critique ne nous paraît pas sérieuse. Il est clair que le règlement avait pour objet un intérêt communal : comme le dit l'arrêt de la cour de Bruxelles, contre lequel le pourvoi était dirigé, la sûreté et la commodité du passage ne pourraient être garanties, si le long des rues il était permis de conserver des terrains vagues, accessibles au premier passant; ouverts à toute heure du jour et de la nuit, ils pourraient servir de refuge aux malfaiteurs et de dépôt pour les matières insalubres. Voilà l'intérêt de police locale que le règlement était destiné à sauvegarder. Et dès que le conseil avait le droit de prescrire une clôture, il pouvait aussi et il devait même, pour atteindre le but qu'il avait en vue, déterminer le mode de clôture (1).

120. Les règlements sur les constructions donnent lieu à de nombreuses difficultés. Dès que les autorités locales statuent dans un intérêt de salubrité, de sûreté, de voirie vicinale, leurs règlements sont légaux. Il a été jugé par la cour de cassation de France qu'un arrêté municipal peut interdire aux propriétaires de placer leurs écuries le long de la voie publique; ces arrêtés sont fondés sur un intérêt de salubrité, les écuries répandant une mauvaise odeur; il y a aussi un intérêt de tranquillité publique, les animaux renfermés dans les écuries troublant, par leurs cris, beuglements et chants, le repos et la tranquillité des habitants; le maire était donc dans son droit en ordonnant de construire les écuries derrière les habitations ou dans les cours. On contestait la légalité de son arrêté parce qu'il n'y a pas de loi qui interdise à un propriétaire de placer

(1) Arrêt de rejet de la cour de cassation de Belgique du 20 novembre 1869 (Pasicrisie, 1870, 1, 26). La jurisprudence française est conforme. Voyez les arrêts de cassation rapportés dans Dalloz, au mot Commune, n" 1028.

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ses écuries où bon lui semble. C'était dire que pour chaque objet de police communale il fallait une loi, ce qui évidemment restreindrait l'action des autorités locales dans des limites trop étroites; c'est précisément parce que des lois sont impossibles en cette matière que le législateur s'en est rapporté à la vigilance des autorités locales, comme le dit la loi de 1790 (1).

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Il est encore incontestable que les règlements communaux peuvent fixer la hauteur des édifices et la limiter. Un règlement de voirie du maire de Lyon expose très-bien les motifs de ces restrictions que reçoit le droit de propriété. « La hauteur démesurée que l'on donne aux maisons est de nature à compromettre la sûreté, la salubrité et la commodité publiques : la sûreté, en ce qu'il est difficile de prévoir les événements que peuvent occasionner, soit les défauts de proportion dans les constructions qui ont une hauteur aussi considérable, soit la difficulté de porter des secours pour sauver les étages supérieurs en cas d'incendie la salubrité et la commodité, en ce qu'une trop grande hauteur, dans les rues peu larges, interceptant le jour et la circulation de l'air, rend ces rues toujours obscures, humides et malsaines. On contesta néanmoins la légalité de ce règlement. Le demandeur en cassation invoqua l'article 552, aux termes duquel la propriété du sol emporte la propriété du dessus. Il aurait pu invoquer aussi l'article 544 qui donne au propriétaire le droit de jouir et de disposer de sa chose de la manière la plus absolue; mais ce même article ajoute que l'exercice du droit de propriété peut être limité par les lois et les règlements. Le maire avait-il le droit de porter ce règlement? Son droit est écrit dans le décret de 1789 et dans la loi de 1790 que nous avons rapportés plus haut. Avait-il dépassé les nécessités de la police locale? On le prétendait; la cour de cassation décida que les tribunaux ont seulement le droit d'examiner si les règlements locaux ont été faits dans les limites des attributions confiées à l'autorité municipale. Si les règlements statuent sur des intérêts que les lois placent sous sa sur

(1) Arrêt de cassation du 1er mars 1851 (Dalloz 1851, 1, 303).

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