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2° Toute contre-lettre qui élève le prix de cession d'unoffice est essentiellement nulle. Le paiement fait à compte sur le prix dissimulé doit s'imputer sur le prix ostensible. (1)

(Adhémar C. Quinton.)

L'office de Me Quinton, notaire à Nemours, a été cédé en 1838 à M. Adhémar, moyennant 120,000 fr., d'après le traité produit à la chancellerie, et 136,000 fr. suivant une contrelettre. En 1843, M. Adhémar a demandé 1° que le prix fût réduit, vu l'exagération des produits de l'étude; 2o que les àcompte payés fussent jugés imputables sur les 120,000 fr., prix ostensible. Me Quinton a soutenu 1° que l'action en réduction de prix n'était ni recevable, ni fondée; 2° que les à-compte avaient été dûment imputés sur les 136,000 fr. convenus par la contre-lettre, parce qu'il y avait au moins obligation naturelle.

Le tribunal de Fontainebleau a statué en ces termes.

«Attendu qu'en cédant à Adhémar, le 11 juill. 1838, ses titres, office et clientèle de notaire à Fontainebleau, pour en commencer la jouissance à partir du jour de la prestation du serment, Quinton a fourni un état du nombre des actes par lui reçus et de leur produit pendant les sept ans et demi de son exercice, duquel il résultait qu'année moyenne, le nombre de ces actes s'était élevé à 476, et leur produit à la somme de 14,520 fr. 80 cent.; Attendu que les évaluations portées en cet état ont servi de base au traité susénoncé, dans lequel le prix de ladite cession a été fixé à 120,000 fr., y compris quelques meubles de peu de valeur, garnissant l'étude et le cabinet de Quinton; Qu'encore bien que les parties contractantes aient chacune affirmé sous la foi du serment, le 3 sept. 1838, devant le substitut de M. le procureur du roi, qui en a dressé procèsverbal, que le traité dont il s'agit contenait toutes les clauses et stipulations convenues entre elles, à raison de la cession des titre, office et clientèle de notaire, appartenant à Quinton, sans en rien excepter ni réserver, et sans qu'il existât de contrelettre ou toute autre espèce de stipulation en dehors du traité, la vérité est que, par une contre-lettre non enregistrée, portant la même date que le traité susénoncé du 11 juill. 1838, l'entrée en jouissance du successeur de Quinton avait été fixée au 1 dudit mois de juillet et le prix de cette cession élevé à 136,000 fr.; Attendu que de l'examen fait par le tribunal

(1) V. sur cette grave question, les autorités en sens divers que nous avons citées, en recueillant deux arrêts de rejet, des 7 juill. 1841 ct 7 mars 1842 (J.Av., t. 60, p. 474: t. 63, p. 406). V. aussi J.Av., t. 64, p. 230 et 338. La question va se présenter devant la chambre civile de la Cour de cassation, qui n'avait pas encore eu à la juger.

des répertoires et du livre-journal de Quinton, il résulte que celui-ci n'a pu parvenir à élever la moyenne des actes par lui faits pendant son exercice, au nombre de 473, et celle de leur produit à la somme de 14.525 fr. 80 cent., d'une part, qu'en inscrivant sans nécessité sous plusieurs numéros, sur son répertoire, certains actes qui ne devaient y être portés qu'une seule fois, tels que les procès-verbaux d'inventaires ouverts, continués et clos à des jours différents, et, d'autre part, qu'en portant dans ses perceptions ou évaluations d'honoraires les émoluments applicables à certains de ces cas, soit d'après le tarif, soit d'après l'usage, au risque d'être soumis à des actions en répétition; Qu'en réduisant à leur juste valeur les honoraires auxquels Quinton pouvait prétendre pour les actes par lui reçus comme notaire, pendant son exercice jusqu'au 1er juill. 1838, on reconnaît que les produits bruts de son étude n'ont pas dû dépasser, année moyenne, la somme de 11,000 fr.; - Attendu que, dans ces circonstances, Adhémar, induit en erreur sur les produits de l'étude de Quinton par les documents inexacts à lui ainsi fournis par ce dernier, est fondé à réclamer une réduction sur le prix de son traité; Que vainement Quinton, en assimilant la cession de son office à la vente d'un objet mobilier placé dans le commerce, prétend-il qu'Adhémar, n'administrant la preuve d'aucun dol pratiqué par le vendeur, est sans action pour réclamer cette réduction de prix, et doit être déclaré non recevable dans sa demande, alors même qu'il établirait avoir traité moyennant un prix plus élevé que ne le comportaient les produits de l'office par lui acquis; - Qu'en effet, si, par l'art. 91 de la loi du 28 avr. 1816, les officiers ministériels soumis, à cause des besoins de l'Etat, à fournir des cautionnements, ont, par compensation, été autorisés à présenter à l'agrément de S. M. des successeurs, ce n'est pas à dire que les offices dont il s'agit aient été par-là jetés dans le commerce; - Que la dignité des fonctions attribuées à ces officiers ministériels s'y oppose autant que l'intérêt des justiciables obligés de recourir à leur ministère; Qu'aussi le gouvernement a-t-il prescrit des conditions pour la transmission de ces offices, et a-t-il toujours veillé à ce que le prix des offices transinis fût en rapport avec leurs produits présumés, afin que le nouveau titulaire ne fût pas exposé, par le besoin de remplir des engagements trop onéreux envers son prédécesseur, ou à courir à sa ruine en se renfermant dans le cercle de ses fonctions et en n'exigeant qu'un légitime salaire, ou à se livrer à des spéculations plus ou moins hasardeuses, presque toujours incompatibles avec l'exercice de sa profession, en s'attribuant d'ailleurs, au détriment des parties, des droits et émoluments plus élevés que ceux fixés par la loi; - Que, d'après ces considérations, on doit croire que si Quinton avait, en traitant avec Adhémar,

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présenté un état exact du nombre des actes par lui faits pendant son exercice, et de leur produit, le prix de ce traité, porté, à l'aide d'une contre-lettre, à 136,000 fr., n'aurait pas été accepté par Adhémar, et que, dans tous les cas, l'autorité aurait refusé d'y donner sa sanction; Qu'inutilement Quinton oppose-t-il contre la demande d'Adhémar deux autres fins de non-recevoir résultant, suivant lui: 1° du laps de temps qui se serait écoulé entre la date du traité dont il s'agit et celle de l'introduction de cette demande; 2o du paiement de plusieurs àcompte qu'aurait fait celui-ci dans cet intervalle de temps sur le montant du prix par lui dû, puisqu'il est constant, d'une part, qu'Adhemar a réclamé de Quinton une indemnité dès qu'il a été éclairé sur sa position, et, d'autre part, qu'il n'a payé des à-compte à ce dernier qu'en renouvelant ses réclamations, sur lesquelles l'intérêt respectif des parties semblait devoir appeler une transaction; Attendu, d'ailleurs, qu'Adhémar n'a jamais refusé de tenir compte à Quinton d'une somme de 2,000 fr. que celui-ci lui avait prêtée depuis le traité sus-énoncé, et qui ne devra être remboursée qu'à l'époque fixée lors du premier règlement de compte à intervenir entre les parties, lequel règlement de compte n'a pas encore eu lieu; Qu'il suit de là que Quinton n'est pas, quant à présent, recevable à demander qu'Adhémar soit condamné à lui payer cette somme;

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Par ces motifs, sans s'arrêter aux fins de non-recevoir proposées par Quinton contre la demande principale d'Adhémar, dont il est debouté; Sans s'arrêter non plus à la demande reconventionnelle à fin de condamnation d'Adhémar au paiement de la somme de 2,000 fr., dans laquelle il est déclaré, quant à présent, non recevable; Réduit à la somme de

110.000 fr. le prix de la cession faite à Adhémar par Quinton, fixé à 136,000 fr. par les traité et contre-lettre susénoncés; -Condainne Quinton aux dépens, dans lesquels entreront les droits d'enregistrement applicables à la contre-lettre susdatée.»> Appel.

ARRÊT.

LA COUR; du traité : Considérant que Adhémar, avant de traiter avec Quinton, a pris connaissance des registres, répertoires et livres de l'étude, qui l'ont mis à portée d'apprécier les produits véritables de l'office de notaire qu'il voulait acquérir;

En ce qui touche la demande en réduction sur le prix

Qu'il n'a point établi que Quinton ait pratiqué à son égard aucun dol ni aucune fraude; qu'ainsi il n'est point fondé, après cinq ans d'exercice, à demander une réduction sur le prix de la vente qui a été librement et volontairement fixé entre les parties;

En ce qui touche la demande d'Adhemar, tendant à imputer sur la portion du prix qu'il redoit les 16,000 fr., montant de la contre-lettre; Considérant que Quinton et Adhémar ont mensongèrement affirmé

sous la foi du serment, le 3 sept. 1838, devant un officier du ministère public, qui en a dressé procès-verbal, que le traité du 11 juill. de la même année, portant fixation du prix de la vente à 120,000 fr., contenait toutes les clauses et stipulations convenues entre eux, sans qu'il existât de contre-lettre ou toute autre stipulation en dehors du traité;

Qu'il est établi que Quinton et Adhemar en imposaient sciemment à la justice et se parjuraient, puisqu'il existait entre eux une contre-lettre élevant le prix de cette cession à 136,000 fr.;

Considérant que cette contre-lettre est essentiellement nulle, comme contraire à l'ordre public, et ne peut produire aucun effet;

Considérant qu'en supposant même que les sommes payées volontairement au delà du prix d'un traité ne pussent être répétées, par le motif que ce paiement ne serait que l'exécution d'une obligation naturelle, contre laquelle la loi n'admet pas l'action en répétition, ce motif ne serait point applicable aux sommes payées à compte sur un traité secret; Que toutes les stipulations insérées dans ces sortes de traités sont frauduleuses aux yeux de la loi, et ne peuvent recevoir ancune consécration de la justice; que dès lors les sommes payées à compte doivent être imputées sur le prix du traité soumis à l'autorité; que s'il en était autrement, l'annulation de ces traités, comme contraires à la loi, serait illusoire;

Qu'ainsi Adhémar est fondé à demander que les à-compte par lui payés à Quinton soient imputés sur la somme de 120,000 fr., prix du traité ostensible;

Infirme, et statuant par jugement nouveau, déclare Adhemar mal fondé dans sa demande en réduction de prix, et l'en déboute; et faisant droit sur sa demande afin de nullité de la contre-lettre et d'imputation des 16,000 fr.., déclare nulle et de nul effet la contre-lettre du 11 juill. 1838, dit, en conséquence, que le traité soumis à l'autorité et fixant le prix à 120,000 fr, sera seul exécuté; autorise Adhémar à imputer sur cette somme tous les à-compte par lui payés à Quinton, etc.

Du 1 mars 1844.-1re ch.

COUR ROYALE DE PARIS.

Office. Cession.-Contre-lettre.-Arbitrage.-Compromis.

En matière de cession d'office, les conventions secrètes qui modifient les clauses du traité ostensible sont nulles, surtout quand elles attribuent au cédant soit des intérêts excédant le taux légal, soit une part dans les bénéfices à provenir de la gestion de l'office. Et cette nullité frappe même la sentence arbitrale rendue sur les contestations relatives à l'exécution de la clause secrète (1).

(Dehérain C. Grulé,)

En 1827, Me Dehérain, notaire à Paris, cède son office à (1) V.J.Av., t.60, p.474; t.63, p.406; t.64, p.220 et 338.

M. Grulé. Le prix porté dans le contrat était de 400,000 fr.; mais un traité secret est passé, qui confère au cédant un supplément de prix et divers avantages non mentionnés dans l'acte ostensible. M. Grulé ayant, quelques années après, cessé ses fonctions, une contribution est ouverte sur le prix de sa charge; M. Dehérain y produit pour une somme de 38,000 fr., restant due sur son prix, en vertu d'un jugement arbitral rendu par M° Glandaz, avoué, statuant en dernier ressort, comme amiable compositeur.

Cette demande est contestée dans l'intérêt de Grulé. La sentence, dit-on, est nulle en la forme, comme ayant statué sur une matière d'ordre public. Au fond, les 38,000 fr. réclamés se composent en majeure partie d'un supplément de prix convenu secrètement entre les parties, et dissimulé sous forme d'intérêts de prix de vente au taux de 7 p. 100 pour les deux premières années, et de 6 p. 100 pour les années suivantes, jusqu'à parfaite libération du prix principal.

Le tribunal de 1r instance a accueilli ce système par les motifs que reproduit l'arrêt confirmatif.

ARRÊT.

LA COUR ;-En ce qui touche la contestation particulièrement soulevée contre la collocation privilégiée de Dehérain, en tant qu'elle serait le résultat des stipulations secrètes de son traité avec Grulé ;-Attendu qu'il est constant, en fait, que des conventions particulières sont intervenues entre les parties au moment de la réalisation du traité ostensible qui a eu lieu au mois d'octobre 1827; que Dehérain s'est notamment réservé un droit de participation aux bénéfices pendant dix ans, droit auquel a été, dans le cours de 18 2, substitué, d'un commun accord, l'obligation par Grulé de servir les intérêts du prix restant dû au taux de 7 pour 100 pendant les deux premières années, et au taux de 6 pour 100 les années suivantes; que des difficultés s'étant élevées depuis, sur le compte à établir entre les parties, et particulièrement sur le pointde savoir si les stipulations d'intérêt qu'on vient de rappeler devaient s'exécuter, un arbitre, amiable compositeur, a été appelé à vider définitivement ces différends; qu'enfin, de sa sentence en date du 17 octobre 1839, il résulte qu'après avoir réduit à une seule année le temps pendant lequel devaient être comptés les intérêts à 7 pour 100 et à 6 pour 100, il a définitivement fixé la somme de 38,358 fr. 87 c., reliquat en principal restant dù par Grulé, avec intérêts à 6 pour 100, à partir du 1er octobre 1840; que tel a été, en résumé, le principe de la collocation privilégiée faite au profit de Dehérain, et qui a donné naissance à la contestation qu'il s'agit en ce moment d'apprécier; Attendu, en droit, qu'en matière de cession d'office, les conventions secrètes qui ont pour objet de modifier le prix et les clauses portées au traité ostensible sont essentiellement contraires à l'ordre public, et doivent être, en conséquence, déclarées nulles; que ces principes doivent particulièrement s'appliquer à des conventions relatives à une participation dans les bénéfices de l'office à exploiter, ou à des stipulations d'intérêts supérieurs au taux légal, telles

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