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dans tous fes articles, ou elle doit refter toute entière de bout. Nous demanderons aux partifans, aux amis du roi, pourquoi Louis-le-Traître ne doit pas être jugé ; ils répondront: c'eft que la constitution ne le permet pas; mais, vils hypocrites que vous êtes, felon vous la conftitution nous lie donc à cet égard? On pénètre vos indignes deffeins; car fi la conftitution nous lie à l'égard de cet article, elle nous lie à l'égard de tous : il faut tout ou rien. Si ce décret en particulier eft obligatoire, tous les autres le font: dès-lors nous devons refpectueufement reporter Louis le dernier fur let trône, le combler, comme autrefois, de vils hommages lui rendre, & fa garde d'honneur, & fes vingt-cinq millions, & fon veto, & fes châteaux nombreux; dès-lors fa famille fi bien appelée princes & princeffes du fang, doit faire encore une claffe à part parmi des hommes égaux; que difonsnous! des hommes égaux! Non: il n'y a plus d'égalité : nous devons reconnoître encore des citoyens actifs & paffifs, tous les vices de la conftitution demeurent intacts; il n'y a pas de milieu: ou nous fommes tenus d'obéir à quelques articles de la conftitution, ou il faut leur obéir à tous & rentrer dans l'esclavage constitutionnel.

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Heureufement que cette conftitution, invoquée aujour d'hui par tant d'hommes qui naguère la critiquoient tant pour le peu de bien qu'elle renferme, heureufement que cette conftitution bâtarde a reconnu folemnellement que la nation a le droit imprefcriptible de changer fa constitution, & par conféquent de n'admettre, s'il lui plaît, aucune des idées, aucun des principes que contient celle qu'elle réprouve; & d'après la conftitution même, les conftitutionnels n'ont rien à répondre,

Il eft vrai, & nous ne pouvons nous empêcher de l'avouer, que fi une conftitution faite par un peuple, long-temps méditée par lui, librement acceptée par lui, venoit tout-àcoup à être diffoute, de manière à ce qu'il n'en laiffât fubfifter aucune pièce, quoique nous ne pushions lui reprocher d'outre-paffer fes droits, puifqu'un peuple peut tout ce qu'il veut, on auroit lieu de l'accufer d'inconftance & de verfatilité; mais dans ce moment, qui oferoit nous faire ce reproche? Avons-nous pu, tandis que l'on compofoit notre conftitution, nous bien pénétrer de fes principes, les bien pefer, les examiner à loifir, à tête repofée? Non; elle s'eft fabriquée à la hâte & au milieu des orages: les circonfances en dictoient alternativement les différens

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articles; on n'avoit jamais, pour la former, établi un ensemble, une férie de queftions; on l'a faite réellement par lambeaux, & ces lambeaux les diverfes factions les différens pattis les ont coufus au hafard? Ge n'eft point ce peuple qui a fait l'ancienne conftitution, ni par lui, ni par fes représentans : non, nous ne craignens point de le dire, c'eft le roi, c'eft Louis XVI qui l'a dictée lui-même.

Dans quel temps notre prétendue conftitution a-t-elle commencé à prendre une certaine forme, à faire un tout, tant bien que mal? N'eft-ce pas à la révision? Jufqu'alors les décrets conftitutionnels avoient été jetés, éparpillés çà & là; on ne les avoit pas même diftingués des décrets réglementaires. C'est à la révision qu'on les a raffemblés, réunis comme on l'a pu, que, malgré leur incohérence on a tâché de les faire accorder enfemble. Or, qui ignore aujourd'hui que le roi après fa fuite concertée avec les conftituans, n'ait regné pleinement à l'affemblée, que fa lifte civile n'y ait dicté les décrets, que la grande majorité n'y ait été la vile efclave du tyran couronné? On fe rappelle avec quelle chaleur tous les feuillans, tous les aristocrates déguisés attaquèrent, mutilèrent & détériorèrent les décrets les moins mauvais. Le peuple étoit vendu à beaux deniers comptans, & l'on eût tout auffi-tôt fait de laiffer à l'infâme Louis le droit de dicter feul & tout haut cette conftitution composée en fecret aux Tuileries; à peine y auroit-on vu quelque différence, car Louis, non plus que nos conftituans › n'auroit rien ofé demander de trop évidemment révoltant, il eût craint encore de foulever la multitude. Tout l'art confiftoit à cacher le ferpent fous les fleurs, à fair e retentir à tort & à travers les mots de paix, d'ordre, d'harmonie & de bonheur public; & c'eft fur-tout avec ces vains fons qu'on fit paffer le décret qui nous occupe en ce moment, ce décret abfurde qui prolonge l'inviolabilité royale même au-delà du règne, & qui ferviroit d'égide au monftre roi, même lorsqu'il ne feroit plus roi. Les patriotes s'élevèrent avec force contre une loi qui ne laifferoit aucun frein à la tyrannie; mais le tyran avoit payé, & leur voix fut étouffée par les murmures, les huées & les outrages des royaliftes.

Devons nous donc juger Louis-le-Traître par des loix qu'il a faites lui-même, & qu'il a faites en fa faveur? A-t-on jamais lajffé compofer un code pénal-par les fcélérats qu'il

doit punir? Et fi un code fe trouvoit compofé ainfi, ne feroit-il pas nul par cela même ?

J'entends d'ici nos adverfaires répéter leurs argumens favoris, & nous dire : Pourquoi donc avez-vous juré cette conftitution? Et puifque vous l'avez jurée, comment ofezvous violer vos fermens?

Nous pourrions dire qu'un ferment ne nous engage qu'autant que notre confcience garde les mêmes lumières, & qu'elle perfifte à voir le bien dans l'accompliffement du ferment qu'elle a prononcé, mais nous répondrons d'abord que ce ferment que l'on fait, tant valoir a été forcé, & qu'ainfi il eft nul, qu'ainfi il ne nous engage à rien.

Lorfque la royale famille fut'allée, fuivant l'expreffion de Louis XVI, faire Jes farces, ce ne fut qu'un cri dans tout Paris & dans tout l'empire qu'il falloit faire le procès à ce lâche déferteur. Des mouvemens patriotiques éclatèrent dans la capitale & dans tous les clubs civiques. Des pétitions furent envoyées de divers départemens; elles demandoient la déchéance du roi; de là il n'y avoit qu'un pas à l'abolition de la royauté, plufieurs le franchissoient déjà & l'exigeoient. Les patriotes de Paris fe raffemblent au champ de Mars pour rédiger & figner une pétition qui renfermoit ces deux points principaux. Le vœu général commençoit à fe manifefter; c'étoit le même vou que les bons citoyens connoiffant enfin leur force & leur majorité ont fait éclater le 10 août. Mais l'affemblée conftituante étolt d'intelligence avec le prévenu, dès-lors les pétitions des départemens reftèrent enfevelies dans les comités, & ne virent point le jour; une troupe de fayettiftes en habit bleu, avec fufils, fabres & canons, tomba fur les pétitionnaires du champ de Mars, qui conformément à la loi étoient fans armes, tua & maffacra depuis huit heures jufqu'à onze. Dans tout le cours du mois fuivant, des décrets de prife de corps, des mandats d'arrêt étoient continuellement lancés contre les patriotes; les directoires, les tribunaux de départemens imitèrent ceux de Paris; & lorsque Louis-le-Traître accepta la conftitution qu'il avoit faite luimême, il fallut bien accepter auffi & répéter fon ferment; trop heureux d'en être quittes à ce prix, de ne plus gémir dans les cachots, de ne plus trembler fous le fer des affaffins. C'eft le poignard fous la gorge qu'on nous a fait jurer la conftitution n'a donc point été jurée librement par le peuple. D'ailleurs il ne l'a pas faite, il n'a pas eu même

le temps de la méditer. Cette conftitution eft l'ouvrage du plus grand ennemi de la France; nous ne fommes donc aucunement obligés aujourd'hui de la fuivre.

Cette conftitution ainfi fabriquée, on s'eft bien gardé de la faire fanctionner par le peuple: on fentoit bien qu'elle n'étoit faite ni par lui ni pour lui; mais on l'a fait fanttionner ou accepter par le roi, parce qu'elle étoit faite par le roi & pour le roi. Rien ne nous lioit, rien ne peut nous lier à la conftitution. Louis XVI feul fe trouvoit lié par fon acceptation & fes fermens; il avoit fait avec nous de cette manière un contrat frauduleux qui étoit tout à fon avantage. Son intérêt comme fón devoir étoit de le fuivre,

Mais ce Louis fi avantagé par ce contrat a été le premier à le rompre. Le premier il a cherché à le détruire, le premier il a violé la conftitution, & a tâché de la renverfer; c'est donc lui-même qui a voulu annuller le contrat; il il n'en peut plus réclamer aucun article. Puifque malgré toutes les raifons qu'il avoit de maintenir ce traité, il re l'a pas cru obligatoire pour lui, il ne peut pas l'être pour nous. Il s'eft condamné lui-même.

Il est donc évident que fous quelque point de vue que ce foit, nous ne sommes pas obligés de fuivre la conftitution: il ne peut pas y avoir d'exception pour le jugement de Louis-le-Traître; ce n'eft pas d'après la conftitution qu'on doit le juger.

Malgré tant de preuves irréfragables, nous voulons bien cependant encore fuppofer, pour contenter tous les efprits, que nous devions fuivre à l'égard de ce traître lå la conftitution entière. Eh bien! la conftitution même ne nous empêche pas de le juger fuivant la raison, la juftice. Si l'on veut fuivre la conftitution, il ne faut lui faire dire que ce qu'elle dit; il ne faut point lui faire dire ce qu'elle ne dit point; nulle part elle n'a dit qu'on ne dût point juger le roi pour les crimes dont celui-ci s'eft rendu coupable.

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Quels font les crimes royaux que la conftitution a prévus? Ils fe bornent à trois. Le refus ou la rétractation du ferment; fa fortie du royaume & fon refus d'y rentrer après l'invitation du corps législatif; enfin le commandement d'armées ennemies pris par le roi, ou fa non-oppoftion par un acte formel à l'entreprise des ennemis. Voilà les feuls cas prévus par la conftitution.

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Elle inflige la même peine pour ces trois crimes; la dé chéance.

Elle n'a pas fuppofé d'autres forfaits dans un roi; elle n'a pas indiqué d'autres peines pour d'autres forfaits.

Elle n'a pas prévu qu'un roi commanderoit le massacre du peuple, qu'il parcouroit en perfonne le rang des foldats pour les exciter à faire feu fur les français.

Si un roi le trouve donc fouillé de tels crimes, c'eft d'après la raifon univerfelle, c'eft d'après les loix communes qu'il doit être jugé.

Qu'on ne dife point qu'il ne doit pas l'être, parce que la conftitution a déclaré fa perfonne inviolable & facrée. Cette phrafe eft affez abfurde en elle-même; elle put affez l'idolatrie pour qu'on ne lui donne pas un fens plus étendu qu'elle ne l'a. Cela fignifie qu'aux yeux de cette conftitution facrilege le roi eft inviolable & facré tant qu'il eft roi; cela fignifie qu'il eft inviolable & facré tant que fa déchéance n'eft pas prononcée; mais dès qu'il eft descendu du trône, cette même constitution déclare qu'il rentre dans la claffe des particuliers.

Cette inviolabilité qui couvre un roi pendant tout son régne, annonce non-feulement des légiflateurs efclaves, mais des légiflateurs ftupides; elle eft réellement imprat cable. On l'a dit cent fois : quoi! fi un farouche tyran vient violer ma femme ou ma fille, attaquer en fe jouant mes propriétés ou ma vie, quoi! mon premier mouvement, mon premier devoir ne feroit pas de poignarder ce tyran couronné? Quoi! je ferais puniffable pour avoir vengé la vertu outragée! Non, ce ne peut être là que la doctrine des férails de la Turquie; & la nature, plus forte, plus jufte que vos loix, me ciie qu'il n'y a de facré que la

vertu.

Quoi! je verrois un Charles IX tirer fur les Français ; je verrois un Louis XVI conjurer la perte d'un peuple entier, couvrir une furface de deux cents quarante lieues quarrées de sang et de carnage, attirer par d'horribles perfidies les ennemis dans nos foyers tout en feignant de les repousser par des actes formels, nous livrer fans défense, piés & mains liés à de lâches Autrichiens, & nous n'aurions pas le droit de donner la mort à ce monstre, quand même il feroit encore roi constitutionnel! La déclaration des droits ne dit-elle pas que le devoir des peuples et des particuliers eft de résister à l'oppreffion? Comment refifterons-nous si

nous

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