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J'ai eu quelquefois occasion de me trouver dans un pays peu fertile, et dont les habitans même n'avoient qu'une médiocre industrie, et pourtant le peuple s'y plaignoit peu des impôts, et paroissoit les acquitter sans peine. J'en demandai la raison. C'est, me répondit-on, parce qu'il y a beaucoup d'argent dans le pays. Cette réponse me donna bien à penser. Voyons ce qu'elle veut dire. D'abord, comme l'impôt se paie en argent, il faut que ceux qui le payent puissent s'en procurer aisément. C'est ce qui arrivera, si nous trouvons près de nous beaucoup de gens qui troquent leurs écus contre nos denrées ou notre travail. Ce n'est pas tout. L'argent même que nous déboursons pour l'impôt, il faut qu'il nous revienne le plus promptement possible. C'est ce qui doit arriver. Car au lieu d'envoyer, comme autrefois, à Paris, presque tout l'argent des impôts d'une province, on en laissera dans les caisses du département une très-grande partie, pour acquitter les dépenses, qu'on appelle locales, parce qu'elles se font sur les lieux. Or, comme cet argent sert à payer cette foule d'administrateurs, de juges et d'hommes employés au service public, ces hommes-là par leur dépense particulière, nous rapporteront, en grande partie ce qui sera sorti de nos mains. Une autre partie nous reviendra de même, par ce grand nombre de propriétaires, que le nouveau régime fixera dans les campagnes. Car, mes amis, j'ai fait une découverte singulière. c'est que les hommes qui travaillent, des hommes laborieux et industrieux, comme nous, ne font guère que l'avance de l'impôt, puisque cet argent nous est, pour ainsi dire, rendu par tous ceux à qui nous vendons nos marchandises, nos ouvrages ou notre peine : et qu'ainsi il n'y a que le riche oisif pour qui l'impôt soit un sacrifice complet et absolu, car il n'y a que lui à qui personne ne le rende, parce que, ne travaillant pas, il ne gagne rien avec personne.

N'avez vous pas souvent oui dire que l'argent circule, comme on le dit du sang qui parcourt sans cesse toutes les veines du corps humain, du sommet de la tête à la pointe des pieds? Eh! bien, c'est là cette cir

culation utile de l'argent. Plus elle est régulière et facile, plus aisément nous subsistons, et sur-tout nous contribuons. Or il est aisé de voir que désormais l'argent doit circuler', parmi nous, plus vite et plus abondamment, puisqu'il restera dans ce pays plus d'argent et plus de personnes qui en dépensent.

Est-il donc un seul d'entre nous qui ne doive se ressentir de ces nouveaux avantages? Les plus pauvres même et les moins habiles, ceux qui n'ont d'autre industrie que la force de leurs bras, tireront un grand profit de ces changemens, et la foible taxe qu'on leur demande, sortira sans effort de leurs mains. Malheureux par Finégalité des lois autant que par leur propre détresse, is se trouvoient tellement à la merci des riches, qu'ils étoient obligés de vendre leur travail au plus bas prix. Mais aujourd'hui qu'ils jouissent d'une plus grande liberté, que des secours leur seront distribués, aujourd'hui que des travaux publics seront établis, en même temps que les travaux particuliers se multiplieront, ces pauvres gens, moins pressés par la misère et par la crainte, auront des moyens sûts de soutenir leurs salaires à un taux plus juste, et ils pourront enfin nourrir leurs enfans du fruit de leurs sueurs mieux récompensées.

Enfin, mes amis, la manière de percevoir l'impôt donnera encore de grandes facilités pour le payer, Les administrateurs n'ont pas moins changé que l'impôt. Les anciens se croyoient les maîtres du peuple, les nouveaux se regardent comme les serviteurs et les commis. Les anciens ne s'embarrassoient que de nous faire payer et vite et beaucoup, les autres choisiront pour nous demander la taxe, les temps les plus commodes pour nous. Nos paiemens se feront en différens termes et par portions déterminées. Nous n'aurons, pour ainsi dire, à faire la dépense de l'impôt qu'à mesure de nos recettes, et nous ne serons plus obligés, comme autre fois, de vendre à perte nos grains et toutes nos denrées, pour satisfaire la tyrannie du collecteur, et sauver la ruine des records.

Me trompai-je, mes amis, et n'êtes-vous point d'a

vis, que payer plus commodément, c'est déja payer moins; que payer autant, quand on fait mieux ses affaires, c'est en effet moins payer; que même retirer plus de services pour une égale contribution, ce seroit encore avoir moins contribué, et qu'ainsi, quand même les impôts ne se trouveroient point diminués pour quelques - uns, ou pour chacun de nous, il est impossible que nous n'éprouvions pas tous un soulagement véritable. Et si nous ajoutons encore ce que j'appris hier d'un brave citoyen de Paris qui visitoit ces cantons, dans la vue d'y acquérir des biens nationaux, nous nous réjouirons pour l'avenir encore plus que pour le présent. Nous pouvons, disoit-il, compter sur une prompte et graduelle diminution des impôts, puisqu'il en a presque un tiers consacré à payer des intérêts viagers, qui s'éteindront avec ceux qui en jouissent. Il m'expliqua fort bien comment cette partie de la dépense publique finissant, nous serions dispensés d'autant d'y contribuer. Et moi, mes amis, j'embrassai cette espérance, et je me dis: voilà un fonds tout trouvé pour la dot de ma fille et l'aisance de mes vieux

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jours.

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Voilà ce que j'avois à vous dire sur l'impôt. Vous voyez combien nous avons lieu de nous rassurer et de chérir tous les effets de la révolution. Ne soyez donc plus étonnés de l'air calme et serein avec lequel j'ai "commencé un entretien si sérieux. Croyez-moi; moc"quez-vous des menaces, des alarmes dont on vient "sans cesse vous tourmenter. Ceux qui vous crient que vous paierez énormement, vous trompent comme ceux "qui vous disoient que vous ne paieríez plus rien. At"tendez donc tranquillement que vos contributions "soient fixées. N'oubliez pas qu'il faut remplacer celles "détruites. Songez sur-tout, en paiant l'impôt, que c'est "pour vous même qu'il doit être employé, et qu'enfin » s'il manquoit, la Nation, vous et moi, nous serions "tous perdas "".

A mesure que le sage-Etienne parloit, l'assemblée avoit paru redoubler d'attention il y avoit même quelque temps qu'il avoit cessé, et le long silence des

assistans se prolongeoit encore. Il fut enfin rompu par les questions qu'on se mit à faire à ceux qui passoient pour les plus habiles. Car ces bonnes gens n'étoient point tenus par sotte vanité si commune dans les villes; ils ne craignoient point de demander ce qu'ils ne savoient pas; ils aimoient mieux paroître un moment ignorans, que de l'être toujours. Les petits débats que ces questions occasionnèrent, firent voir à M. Etienne qu'il avoit été assez bien compris ; c'étoit le nombre plutôt que la force de ses raisons qui embarrassoit un peu les esprits de l'auditoire villageois. N'en seroit-il pas de même de nos lecteurs? En ce cas, comme M. Etienne proposa à ses concitoyens de leur répéter son discours, nous propo sons aussi à nos lecteurs de le relire. Heureux si nous obtenons des villageois qui nous lisent, la même confiance que M. Etienne a trouvée dans le village qui l'écoute !

Troisième lettre de Félicie à Marianne.

De Paris, ce 9 Novembre 1790.

Quel plaisir m'a fait ta réponse! Ma bonne Simonette existe ! elle ne m'a point oubliée ; elle t'a parlé de moi avec attendrissement !.... Elle n'a jamais quitté la terre qui l'a vu naître'; elle possède une jolie petite maison et un beau verger : elle vit dans une douce indépendance, au milieu de sa famille; elle est aimée dans son village et n'a point d'ennemis : voilà le vrai bonheur? Et il ne peut être aussi pur que dans l'état obscur et paisible où le ciel t'a placée. N'en doute pas ma chère Marianne, la plús heureuse de toutes les conditions, est celle des habitans de la campagne, lorsqu'ils sont vertueux, et qu'ils jouissent d'une honnête

aisance. Souvent dans ton état, on envie le sort des gens riches et puissans, faute de connoître leur véri table situation. Quels plaisirs peuvent procurer les richesses? celui d'avoir des beaux habits. Mais tu conçois facilement que l'habitude ôte bientôt tout le prix d'une telle satisfaction. Lorsque dans ta première jeunesse, je te donnai une croix d'or et un juste de linon, tu vins à la danse avec tout le ravissement que peut éprouver dans un bal, la dame la plus magnifiquement parée : le dimanche d'ensuite, ta joie fut moins vive, et enfin elle se dissipa tout-à-fait. Il en est de même parmi nous ; et même comme notre parure est plus incommode que la vôtre, nous nous en dégoûtons promptement. On nous donne, en nous mariant, des diamans et des bijoux, que nous ne portons jamais, et nous préférons une robe de mousseline ou de toile aux plus belles étoffes de soie brodées d'or et d'argent. Par la même raison, on habite avec indifférence un superbe palais. Le sommeil et l'appétit sont les fruits du travail, et je t'assure que tu dors mieux, et que tu dînes avec plus de plaisir, que toutes les reines et toutes les impératrices du monde. Enfin une multitude de domestiques cause beaucoup de dépense et d'embarras, et l'on n'est bien servi que par une bonne servante et ses enfans. Ajouter à tout cela que lorsqu'on a une grande fortune, il faut s'occuper sans relâche des soins les plus ennuieux; compter tous les jours avec son cuisinier, son maître-d'hôtel, son intendant; surveiller ses domestiques, vérifier, arrêter les mémoires de ses ouvriers; soutenir des procès, visiter des terres etc. toutes ces peines ne préservent ni d'être trompé, ni d'être volé, très-souvent; mais si on

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