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Après quelques observations de M. Girod (de l'Ain), qui, n'admettant point la distinction faite par la proposition entre les cas emportant la peine capitale et les cas passibles d'une peine moins grave, ne refusait pas toutefois un douzième de chances de plus en faveur de l'accusé, et adoptait en conséquence la majorité de neuf voix contre trois, parce qu'elle lui paraissait offrir une probabilité plus forte. M. Renouard, commissaire du gouvernement, monta à la tribune, et combattit les amendements de toute espèce. A ses yeux, la seule question qui dût occuper la Chambre était celle de savoir quels éléments de certitude judiciaire lui semblaient suffisants. La solution de cette question dépendait de l'examen des faits: or, en les interrogeant, on acquérait facilement la conviction que personne ne reprochait au jury, dans sa forme actuelle, une excessive sévérité; personne ne se plaignait qu'il n'offrit pas assez de garanties à l'innocence; rien n'indiquait donc le besoin de changer la législation existante. Quant au système soutenu par MM. Gaujal et de Tracy, l'orateur lui opposait surtout l'impossibilité d'établir dans la loi deux éléments de certitude sans en renverser la base :

On ne doit prononcer aucune peine, remarquait-il, depuis le bas jusqu'au haut de l'échelle, que sur une complète certitude. Il faut une complète certitude pour prononcer une amende ou quelques jours de prison, comme il faut une complète certitude pour prononcer la peine capitale. Or, si vous établissiez deux tarifs, si je puis parler ainsi, deux modes de certitude; si vous dites qu'on sera certain dans un cas à telles conditions, et certain dans un autre cas d'après d'autres conditions, vous semblez vous jouer de la liberté de l'homme, et tout en vous montrant si scrupuleux pour la vie humaine, vous faites voir peu de respect pour tout ce qui se rapporte à la fortune et à la liberté. »

A cette habile argumentation, M. de Tracy répliquait que les deux ordres de faits que M. le commissaire du gouvernement reprochait à l'amendement de vouloir établir existaient réellement. Entre une peine, quelque sévère qu'on la suppose, mais appréciable, mais réparable de sa nature, et une autre peine inconnue, irréparable, la différence est telle, que rien ne saurait permettre de la faire disparaître. Cette différence,

l'amendement ne la créait pas; elle tenait à la nature des choses, et en nécessitait une autre équivalente dans le jugement. La peine de mort étant irréparable, le jugement devait porter tous les caractères de certitude que les hommes peu

vent se flatter de réunir.

D'un autre côté, M. Philippe Dupin objectait, et son opinion entraînait beaucoup de bons esprits, qu'adopter la proposition de MM. Gaujal et de Tracy, c'était trancher d'un seul coup, et par amendement, la question si grave de la peine de mort, sans établir en même temps un nouveau système de pénalité qui pût concilier les intérêts de la société avec le vœu de l'humanité; car il suffirait de l'opposition obstinée d'un seul juré pour empêcher l'application de la peine capitale.

*11 janvier. La discussion roula encore quelque temps dans le même cercle. Après avoir entendu, d'une part, M. Gaëtan de La Rochefoucauld, de l'autre, MM. de la Pinsonnière, Mestadier et Barthe, ministre de l'instruction publique, la Chambre rejeta, à une assez grande majorité, l'amendement proposé, malgré les répliques et les nouveaux efforts de MM. Gaujal, de Tracy et de Lafayette. L'amendement de ce dernier, combattu seulement par M. Daunant, fut ensuite également rejeté. MM Daunou et Laisné de Villévêque en présentaient un autre, espèce de terme moyen entre la proposition du gouvernement et celle qui venait d'échouer devant la volonté de la Chambre: ils demandaient que la décision du jury ne pût désormais se former qu'à la majorité de neuf voix. M. Laisné de Villévêque justifia en très peu de mots cette importante modification il se borna à dire que si elle dérobait quelques coupables à la vengeance de la loi, elle pourrait aussi sauver quelques innocents des suites d'erreurs funestes dont il n'existait que trop d'exemples. Aucune voix ne s'éleva ni pour soutenir ni pour combattre cet amendement, et, après une première épreuve douteuse, il fut adopté à une faible majorité. Ce résultat, auquel, selon toute apparence, ne s'attendaient pas les commissaires du gouvernement, fit quelque sensation

dans l'assemblée. L'opposition s'en montra satisfaite, et au dehors les organes de l'opinion y virent un signe du peu d'influence qu'exerçait le ministère sur la Chambre élective.

Avant de passer à l'article 4 du projet de loi, la Chambre eut à se prononcer sur deux additions proposées par MM. Amilhau et Lachèze, et portant, l'une, que dans tous les cas où les circonstances peuvent changer la nature de la peine, les jurés seraient appelés à déclarer s'il existait des circonstances atténuantes; l'autre, que l'amende encourue par tout juré défaillant pourrait être réduite jusqu'à un minimum de 100 fr. La Chambre rejeta ces deux propositions, dont la première, celle de M. Amilhau, passa plus tard dans la loi du 28 avril 1832, et dont la seconde, celle de M. Lachèze, avait été défendue par le commissaire du gouvernement.

Enfin, après avoir voté sans contradiction l'article 4 du projet ministériel, amendé par M. Jacquinot de Pampelune, la Chambre procéda au scrutin secret sur l'ensemble de la loi, qu'elle adopta à la majorité de 186 voix contre 122.

Le jour même où cette loi passait à la Chambre des députés, la Chambre des pairs adoptait un projet de loi sur la traite des nègres, et en rejetait un autre relatif à l'abrogation de la loi du 11 septembre 1807 sur les pensions. Les motifs de cette dernière décision ayant été déduits ailleurs (voyez Annuaire de 1830, pages 401-403), nous n'avons plus à nous en occuper. Quant au projet de loi sur la traite des nègres, il faut, avant d'en parler, que nous achevions rapidement d'exposer ce que devint la loi sur la composition des cours d'assises et les déclarations du jury.

Le gouvernement voyait avec déplaisir l'amendement de MM. Daunou et Laisné de Villévêque, qui, introduit à l'improviste, s'était substitué à l'art. 3 du projet ministériel. En apportant le projet de loi à la Chambre des pairs (20 janvier), le ministre de la justice commença par en justifier les dispositions principales : arrivant à l'importante modification faite à l'article 3, par suite de l'amendement qui exigeait pour con

damner une majorité de 9 voix contre 3, M. Mérilhou résumait brièvement les raisons qu'avait le gouvernement de ne pas croire un tel changement nécessaire : « Cette question si grave, «ajoutait-il, de la majorité nécessaire pour une condamna«tion, sera de nouveau examinée dans cette Chambre, et, «quelle que soit la proposition qui, en définitive, sera jugée «la meilleure, la sagesse des jurés saura concilier les garan«ties dues aux accusés et celles que les autres intérêts de la « société réclament.»>

La Chambre des pairs répondit à cet appel, La commission, par l'organe de M. le duc de Broglie (7 février) proposa de rejeter l'amendement de la Chambre des députés, comme dangereux pour l'ordre public, et de faire revivre l'article primitif, modifié toutefois en ces termes : « La décision se formera à la majorité de plus de 7 voix. » Dans la séance du 11 février, la Chambre adopta pleinement les conclusions de sa commission, et le projet de loi, ainsi amendé, passa sans discussion à la presque-unanimité (90 voix contre 1). Ce résultat, auquel le gouvernement donna son adhésion, nécessita une nouvelle présentation à la Chambre des députés (17 février), qui n'insista pas sur sa première résolution. La commission se prononça unanimement en faveur de l'amendement de la Chambre des pairs (24 février), et deux jours après le projet fut définitivement adopté, sans changemens, à une majorité de 267 voix contre 20 seulement : très peu de membres avaient pris part à la discussion.

Revenons au projet de loi sur la répression de la traite des nègres.

Ce projet, cousistant en 17 articles, donc il suffira d'indiquer ici les principales dispositions, avait été présenté directement à la Chambre des pairs le 13 décembre de l'année précédente. D'abord, il substituait aux peines du bannissement et de l'emprisonnement, portées par la loi du 25 avril 1827 contre toutes personnes ayant participé à la traite comme armateurs, bailleurs de fonds, assureurs, capitaine, subrécar

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gue, officiers, matelots, les peines plus graves des travaux forcés et de la réclusion. Il remplissait une lacune de la même loi de 1827, et prévoyait la tentative de traite, donc il distinguait deux espèces: tentative avant la mise en mer du navire, tentative après la mise en mer. Dans le premier cas, les armateurs, bailleurs de fonds, capitaine et subrécargue seulement, encouraient un simple emprisonnement correctionnel. Dans le second cas, la tentative, considérée comme le crime, était punie des mêmes peines. Ensuite le projet interdisait, sous peine d'emprisonnement, la fabrication, la vente et l'achat des fers spécialement employés à la traite des noirs; il prohibait dans les colonies le recel, la vente et l'achat de tout noir de traite, également sous peine d'emprisonnement: il règlait le sort des esclaves saisis, soit à bord d'un navire négrier, soit dans les colonies. Ces esclaves aussitôt déclarés libres, étaient toutefois, selon le mode usité en Angleterre, soumis à un engagement de dix ans envers le gouvernement, qui se réservait de les employer dans les ateliers publics. (En Angleterre l'engagement des esclaves envers le gouvernement est de 14 ans.) Enfin le projet déterminait les tribunaux devant lesquels la répression des crimes et délits en matière de traite serait poursuivie. Cette poursuite devait avoir lieu devant les cours d'assises de France, lorsque le fait incriminé aurait été commis dans un port continental du royaume, et que le navire aurait été saisi et conduit dans ce port; devant la cour d'assises de la colonie, quand le fait aurait été commis dans une colonie, et que le navire y aurait été saisi et conduit. Toutefois, dans ce dernier cas, par une précaution sagement prise contre des préjugés enracinés, les quatre assesseurs appelés à former la cour d'assises coloniale devaient être tirés au sort parmi les douze fonctionnaires de la colonie les plus élevés en grade dans l'ordre administratif.

Il s'agissait, comme on le voit, de remplacer les dispositions de la loi du 25 avril 1827, dernière loi spéciale sur la matière, par un système de mesures préventives et pénales tel, qu'on

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