gence dans le fait de saisir exactement le moment propice? Il ne suffit pas, comme le vulgaire le pense, pour être un bon photographe, de savoir ouvrir et baisser machinalement une trappe. Fut-il vrai d'ailleurs que l'intelligence du photographe ne s'exerce que dans un travail antérieur à la réalisation de l'œuvre, nous ne voyons pas enquoi cette considération pourrait influer sur la reconnaissance du droit (1). (V. en effet n° 82.) L'un des reproches que l'on adresse ordinairement au photographe et dont on se sert pour saper son droit, est l'impossibilité dans laquelle il se trouve de modifier son modèle. L'art ne crée-t-il donc un droit que parce qu'on pourrait s'en servir pour fausser ce qui est? L'art qui ne trompe pas n'est-il donc pas un art? (Paris, 12 juin 1863, aff. Mayer et Pierson, Pat., 62, 225). Notre système compte dans la doctrine de nombreux partisans. Citons, en notre faveur, tous les ouvrages de M. Sauvel, avocat à la Cour de cassation. (Voy. notamment : Les œuvres photographiques devant les Chambres; - Examen du projet de loi sur la propriété artistique, etc., J. dr. cr., 82. 129 et suiv.; Des œuvres photographiques et de la protection légale à laquelle elles ont droit, La prop. ind. du 1er juin 1880, p.157,etc., etc. Voy. aussi Acollas, p. 34; -Pouillet, no 105; - Lamartine (Entretien XXXVIIe, t. VII, p. 48, 1859) (2); - Henri Hardoin, Gaz. trib., 26 (1)« Le peintre souvent a composé son tableau avant de toucher son crayon. Viendra-t-on dire que la composition n'a lieu que par le moyen d'exécution? Mais alors on arrive à des résultats étranges. L'auteur qui dicte ses œuvres ne serait plus auteur; ce serait le scribe que la loi devrait protéger. Non, l'œuvre que le législateur a voulu protéger, c'est la pensée humaine.» (Perrot des Chaumeux, La prop. ind., no 15, 3a part., p. 47 affaire Franck et Truchelut c. Caspari.) Faut-il marchander à l'auteur cette protection? Assurément non, car ce serait dire que l'œuvre artistique n'existait pas d'ores et déjà à l'état latent et intime; dès sa conception et avant sa naissance matérielle, ce serait dire que le procédé l'emporte sur la création.» (Sauvel, Des œuvres photographiques el de la protection légale à laquelle elles ont droit, p. 18.) (2) Le passage de Lamartine, qu'invoque l'autre opinion, et que nous avons nous-même reproduit au no 84, fait partie du premier entretien sur Léopold août 1881; A. Rendu, Pat., 62, 28; n° 891; Pataille, Pat., 62, 33, etc.) Rendu et Delorme, Le congrès industriel de Paris a émis le vœu qu'une loi spéciale protège les œuvres photographiques. On avait proposé (à la séance du 17 septembre 1878, réunion du soir), pour la durée de protection à accorder, de distinguer entre les œuvres photographiques industrielles et les œuvres photographiques artistiques. Puis, le congrès s'est ravisé et a laissé ce soin au congrès artistique. Le compte rendu des séances de ce dernier ne fait aucune mention relative à la photographie. On voit là l'un des inconvénients qui devaient nécessairement résulter de la coexistence, en 1878, de plusieurs assemblées appelées à traiter ces mêmes questions. 86. L'architecture n'est point un art de reproduction; on a soutenu cependant qu'elle ne devait point bénéficier de la protection légale (1). Mais ici les difficultés ne viennent pas exclusivement des principes; elles procèdent de la pratique. Dans le cas de contrefaçon, dit-on, la loi permet toujours à la partie lésée de faire saisir les objets contrefaisants; or, il est évident qu'il serait ridicule de prétendre qu'un architecte serait en droit de confisquer l'édifice, construit, d'après ses plans, par un de ses collègues. (Blanc, p. 249 et s.) Puis, l'œuvre d'architecture, par sa nature même, est exposée aux yeux de tous. On ne peut en réserver l'usage exclusif à un seul, lorsque, par la volonté même de l'artiste, sa jouissance appartient à tous. (Comp. Morillot, p. 4, note 2.) Ensuite, ajoutet-on, dans les travaux d'architecture, la reproduction matérielle et l'exécution mécanique l'emportent de beaucoup sur la conception intellectuelle, et la matière n'est pas uniquement là Robert et date de 1858 (t. VI, p. 140). Lamartine s'est donc rétracté à l'endroit que nous indiquons au texte. (1) Non seulement les architectes ne pourraient, d'après ce premier système, empêcher que l'on construise un monument semblable à celui qu'ils ont mis au jour, mais encore ils ne pourraient s'opposer à la reproduction de leurs dessins par profils, plans, coupes ou élévations. pour donner sa forme à la pensée, comme c'est le cas dans les ouvrages de peinture et de sculpture. (Comp. Ch. Lyon-Caen, p. 10.) Enfin l'architecture, a surtout pour objet de satisfaire à des nécessités d'un ordre purement matériel. C'est elle qui donne à l'homme son habitation. (Comp. Rapport Bardoux, J. off., 29 mars 1881 (Ann. Ch. des dép., p. 402.) 87. Ces raisons ne nous touchent en aucune façon; l'architecture peut donner naissance à de véritables œuvres artistiques; cela suffit; ses produits par là même sont dignes de protection (1). Quant à l'impossibilité de confiscation qu'on oppose, il est certain qu'elle ne saurait nous arrêter. La loi ne peut vouloir l'impossible; mais de ce que l'un des moyens de protection donnés ordinairement fait ici défaut, on ne saurait en induire que tous les autres moyens sont refusés aux architectes; ajoutons d'ailleurs que cette confiscation est même quelquefois possible; aucune raison ne peut, en effet, être élevée pour rejeter la confiscation des dessins, plans, coupes, etc., dressés en violation du droit de l'architecte. Dans tous les arts, il y a une certaine part toute matérielle. Nous n'avons cependant point hésité à reconnaître le droit des artistes. L'architecture emprunte plus à la matière que les autres arts. Mais cette considération n'a pour nous aucune valeur; l'objet du droit est l'œuvre même et non sa réalisation matérielle (V. no 34); nous n'avons donc aucun compte à tenir de la nature de la chose produite. L'architecte, sans doute, est artiste d'un côté, industriel de l'autre peu nous importe, nous lui conservons néanmoins la protection des lois relatives aux œuvres artistiques (2). Pour (1) Pouillet, no 97; nouard, t. II, p. 80; Re - Morillot, Protect. des œuvres d'art, p. 147; Ancillon de Jouy, p. 150; - Acollas, p. 35 et suiv. ; - Batbie (édit. de 1861), p. 472-3; — Ch. Lyon-Caen, Rev. crit., 85, 414. V. dans ce sens l'exposé des motifs du projet Bardoux (séance du 24 juillet 1879 à la Chambre des députés). · V. encore J. off., 29 mars 1881, Ann., Ch des dép., p. 406 et suiv. (2) Pouillet, no 97. L'architecte n'a droit que sur son œuvre ; aussi il ne nous, en effet, l'œuvre d'art a droit à une même garantie, qu'elle reçoive ou non, une destination industrielle (1). 88. -- Ainsi donc, d'une manière générale, toute œuvre artistique a droit à la protection. (V. A. Champetier de Ribes, Gaz. trib., 6 mars 1884 (2); Ch. Lyon-Caen, p. 8; comp. Montagnon, Introduction, p. 1.) Mais que faut-il entendre par œuvre artistique? Aucune législation n'a tenté d'en fournir une définition. (Comp. Ch. Lyon-Caen, p. 10.) Une production réaliste estelle de nature à rentrer dans cette catégorie? Nous le pensons. Car, même dans cette hypothèse, il y a travail intellectuel, il y a mise en jeu d'une personnalité : c'est qu'en effet, même alors, l'objet naturel fournit simplement le prétexte à une œuvre personnelle; deux artistes réalistes ne reproduiraient pas de même façon le même objet. 89. Ici devrait se terminer la partie théorique de notre étude; mais, pour ne point embarrasser notre recherche des principes par des considérations accessoires, nous nous sommes borné à établir le caractère temporaire du droit pécuniaire, sans nous demander alors quelle était, à ce point de vue, la meilleure réglementation possible. Il est utile de nous arrêter quelque peu sur cette question particulière. Elle nous paraît être une de celles par lesquelles l'uniformisation peut peut empêcher que, dans une vue d'ensemble, on reproduise l'édifice qu'il a élevé son travail ne peut avoir pour résultat la confiscation de la nature à son profit. L'œuvre, pour donner droit à la protection, doit être nouvelle : les édifices modernes sont presque tous jetés comme dans un même moule; aussi rarement les architectes ont réclamé contre la violation de leurs droits. (1) Tirons-en quelques conséquences importantes: il n'existe aucun motif qui, rationnellement permette de traiter les dessins de fabrique d'autre façon que les dessins ordinairement appelés dessins artistiques. Puis les marques, indépendamment de la protection particulière à laquelle elles ont droit, sont encore placées sous la garantie des lois relatives aux œuvres d'art (pourvu d'ailleurs qu'en elles-mêmes elles constituent de véritables œuvres d'art). — (V. notre Nouveau traité des marques de fabrique, no 51. (2) « Parties d'un même point, elles (la propriété artistique et la propriété littéraire) marchent parallèlement vers un idéal commun et comme deux sœurs légitimes, elles ont droit au même patrimoine.» (Comp. Pouillet, La Loi du 30 août 1883.) commencer (1). Ordinairement, on tient compte de la vie de celui qui a conçu et réalisé l'œuvre garantie: la protection survit pendant un certain temps après sa mort; quelquefois aussi, on pose un délai préfix qu'à son expiration normale on prolonge tant qu'il survit, et c. (V.de Borchgrave, § 30, Benoidt et Deschamps, p. 63.)Aucun de ces systèmes ne satisfait notre esprit; le droit pécuniaire a pour base les idées de travail et de respect dû à la personnalité. Nous avons vu (no 1) que chacun de ces motifs devait coexister pour que la rémunération soit légitime. Mais alors le droit de l'auteur doit disparaître du jour où il a été payé de ses peines. Rigoureusement, sans doute, il faudrait, pour chaque œuvre nouvelle, procéder à une détermination du salaire; évidemment, cette conception purement théorique n'est point susceptible d'être admise par la pratique. Il y a donc lieu de fixer par avance, et pour toutes productions, le délai de la jouissance. Son point de départ doit être, selon nous, le jour de la publication de l'œuvre. De ce moment, en effet, celle-ci peut être une source de profits; de ce jour, on peut dire que l'ayant droit commence à être payé de ses travaux. La vie de l'auteur ne doit point entrer en ligne de compte dans la détermination de la durée du droit, aucun élément aléatoire ne doit intervenir; un salaire doit être proportionné à l'importance du travail fourni; mais il ne saurait varier par suite de certaines circonstances purement extérieures. (Bélime, t. II, p. 283 et suiv.; J. Delalain, cité par Charpentier, p. 9; Durier, cité par Chenu, p. 314; (1) Dans le projet d'Union arrêté en 1884, on avait considéré la matière de la durée comme pouvant figurer au nombre des principes recommandés pour une unification ultérieure ; dans celui de 1885 avait disparu toute mention de cet ordre; les idées du Congrès ne s'étaient point d'ailleurs modifiées; mais on considéra cette insertion comme inutile. (Rapp.de la Commission de 1885, p. 19.) Au surplus, l'organisation pour laquelle les diplomates avaient marqué leurs préférences, mérite toutes les critiques que nous adressons aux systèmes actuellement en vigueur; on a, en effet, pensé à Berne que la « protection accordée aux auteurs d'œuvres littéraires ou artistiques devrait durer leur vie entière, et, après leur mort, un nombre d'années qui ne serait pas inférieur à trente. >> |