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Et il y avait, en outre, le travail des commissions qui fonctionnaient presque tous les jours, et souvent la nuit.

Si les travaux de l'Assemblée étaient multipliés et immenses, l'activité de ses membres était infatigable; jamais on ne vit plus de zèle au service de plus de talents.

Plus l'Assemblée grandissait, plus la royauté s'amoindrissait, et les démagogues ne cessaient de la battre en brèche; mais l'Assemblée, quoique préoccupée, à l'excès peut-être, du soin d'établir en France la liberté, était bien loin d'être hostile à la majesté royale; ses membres respectaient en Louis XVI la royauté, et surtout la personne, que rendaient auguste la vertu et la bonté.

Une particularité bien significative, c'est qu'à l'occasion du renouvellement de l'année, en 1790 et en 1791, le roi reçut les hommages de l'Assemblée nationale et de la municipalité de Paris; mais ceux-là seulement, ou peu s'en faut. C'est auprès de l'Assemblée que les députations* affluèrent; c'est à elle que d'innombrables adresses présentèrent les hommages des populations reconnaissantes, et exprimèrent la résolution de soutenir ses décrets jusqu'au dernier soupir.

Mais l'Assemblée, mue par un noble sentiment, cherchait à convaincre Louis XVI de son respect et à ranimer sa confiance. Elle le pria de vouloir bien fixer lui-même le chiffre de sa liste civile; et son président, Montesquiou, exprima la pensée de ses collègues, lorsqu'il le supplia de faire violence à son amour de la simplicité et de l'économie, dans l'intérêt même du peuple, aux yeux de qui la splendeur du trône ajoute à la majesté des lois.

Outre la liste civile, qui fut fixée à vingt-cinq millions, l'Assemblée, grande et généreuse pour tout ce qui tenait à la dignité extérieure du pouvoir, accorda une dotation annuelle de deux millions à chacun des princes, frères de Louis XVI; un traitement de cent quatre-vingt

mille francs au ministre des affaires étrangères, de cent mille francs aux autres ministres, et de quatrevingt mille à toutes les personnes que le roi jugerait convenable d'appeler à son conseil; et cela, dans le même temps qu'elle introduisait dans les dépenses publiques la plus sévère économie, et qu'elle faisait éclater son indignation à la suite de la découverte d'un fameux livre rouge, où étaient inscrites les pensions exorbitantes accordées à l'avidité des courtisans par la prodigalité de Louis XV, ou par la bonté quelquefois trop facile de Louis XVI.

Au-dessous de l'Assemblée nationale, quelquefois même concurremment avec elle, régnait la municipalité de Paris, représentée par Bailly, et surtout par Lafayette. Elle était composée, en général, de gens éclairés et honnêtes, passionnés pour la liberté, sincèrement constitutionnels, ennemis du crime : aussi son comité des recherthes s'associait-il aux efforts du Châtelet pour découvrir les auteurs des forfaits des 5 et 6 octobre; ce qui irritait violemment les démagogues. « Pourquoi,» disaient-ils, « mettre en cause une portion quelconque de ce grand acte, dont Paris et la révolution avaient tant profité, et qui avait prévenu tant de conspirations?

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Aussi les démagogues, alors peu nombreux, qui tendaient à un bouleversement général, attaquaient sans relâche ces deux grands pouvoirs, l'Assemblée nationale et la municipalité de Paris. Desmoulins, Danton, Marat, Fréron, Carra, Hébert, par leurs publications, tendaient sans cesse à surexciter les passions de la portion inférieure du peuple, à développer en elle tous les instincts jaloux et cruels, et à lui donner de la confiance dans ses forces, afin de la lancer plus tard à l'assaut du gouvernement constitutionnel qui allait se fonder. Ce mouvement démagogique s'effectuait en plein soleil, et chaque jour on pouvait en constater les progrès. Lafayette, qui ne pou

vait paraître dans les rues sur son cheval blanc sans être accueilli par les acclamations frénétiques de la foule, dont les démonstrations allaient jusqu'à baiser ses bottes, est appelé par les démagogues l'éléphant blanc, idole de l'Inde. Quant à Bailly, il ne peut rien faire, à les entendre, qui soit innocent, pas même nommer dans la garde nationale les officiers d'état-major, pas même avoir des domestiques à la livrée de la ville, pas même toucher le traitement de cent mille francs que la ville lui avait voté.

Ce qui venait en aide aux démagogues et entretenait dans Paris une effervescence nuisible à l'ordre, c'était l'existence des districts, où les citoyens ne cessaient de se réunir et de discuter: aussi l'Assemblée nationale songeat-elle sérieusement à supprimer les districts, lorsqu'elle résolut de constituer définitivement la Commune de Paris par une loi expresse. Les plus violents de ces districts, celui des Cordeliers surtout, où régnait Danton, s'irritèrent; ils réclamèrent la permanence de leurs assemblées et leur convocation perpétuelle. Tel n'était pas l'avis d'un membre de la municipalité, Brissot, déjà célèbre, et qui cachait peu ses tendances républicaines. Dans son journal, il fit ressortir combien il serait dangereux de partager la capitale de la France en soixante oligarchies délibérantes et armées, toujours en fermentation: « Ce bouillonnement perpétuel du centre de l'empire serait du plus dangereux exemple pour le reste du pays. La capitale appartient à l'Etat plus encore qu'à elle-même. » Les journaux de la démagogie répondirent à Brissot qu'il était un scélérat.

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La population, vivement agitée, s'associait aux réclamations des districts. « Empêcher les citoyens de se réunir et de délibérer quand il leur plaît !... c'est détruire la liberté dès sa naissance.» Tel était le cri général. Aussi Maury, dans l'Assemblée nationale, dit : « Les districts continueront de s'assembler malgré vous. » Mais Mirabeau ne voulait plus de désordre; il répondit vive

ment à Maury; et, par un décret de l'Assemblée, les districts de Paris furent supprimés. Le mot de l'abbé Maury fut même relevé, comme une insulte, par les districts les plus exaltés, qui envoyèrent à l'Assemblée protester de leur soumission à ses décrets, quels qu'ils fussent; et l'un de ces districts eut la singulière idée d'aller en procession enterrer la sonnette de son président, et de chanter un De profundis sur la fosse.

La Commune de Paris fut partagée en quarante-huit sections, qui sont exactement les quarante-huit quartiers actuels. Robespierre voulait que ces sections eussent le droit de délibérer sur les matières politiques, Mirabeau s'y opposa. Les sections ne furent autre chose que des divisions électorales et administratives; les citoyens devaient se réunir dans le chef-lieu assigné à chacune pour y procéder aux élections; là aussi était l'état-major du bataillon. Chaque section choisissait son commissaire de police.

La municipalité de Paris fut ainsi composée : un maire, un procureur de la commune, deux substituts, et cent quarante-quatre membres, dont seize administrateurs, trente-deux conseillers municipaux, et quatre-vingt-seize notables.

La nouvelle municipalité, qui fut alors nommée, n'hérita pas de la sagesse de l'ancienne : l'effervescence des districts y passa en partie; elle se tint néanmoins sur une prudente réserve, tant que la présence de l'Assemblée constituante lui imposa. Plus tard, nous verrons ses actes; nous verrons aussi les sections parisiennes devenir ce qu'avaient été les districts parisiens.

Les membres de l'ancien district des Cordeliers, pour se dédommager, se formèrent en un club qui porta le même nom. Dès lors, l'appellation de district fut réservée pour les subdivisions des départements que l'on substitua aux provinces, comme nous allons voir.

VIII

DESTRUCTION DE L'ANCIEN ORDRE JUDICIAIRE, ADMINISTRATIF ET ECTRIBUNAUX DÉPARTEMENTS. CONSTITUTION

CLÉSIASTIQUE.

CIVILE DU CLERGÉ.

Tout en travaillant sans relâche à la constitution politique de la France, l'Assemblée, pour mieux assurer le règne de cette constitution et pour abolir tout vestige de l'ancien régime, résolut de briser le plus tôt possible toute l'organisation administrative et judiciaire. Les parlements surtout lui déplaisaient. Celui de Paris subissait alors, dans une muette épouvante, le châtiment de la conduite à la fois illibérale et séditieuse qu'il avait tenue sous Louis XVI; les autres laissaient percer un esprit hostile à la révolution.

Sur la proposition de Thouret et d'Alexandre de Lameth, fortement appuyée par Target, tous les parlements furent déclarés en vacances, avec défense de s'assembler; seule, la chambre des vacations, dans chacune de ces cours, devait pourvoir aux appels les plus urgents et à l'enregistrement des actes de l'autorité publique, enregistrement considéré alors comme indispensable, ainsi que je l'ai dit plus haut, et qui a été plus tard remplacé par l'insertion au Bulletin des lois. Celles de ces chambres de vacations qui mirent dans leurs opérations de la mauvaise grâce et de la lenteur, furent mandées à la barre de l'Assemblée et réprimandées sévèrement, et leurs membres furent privés provisoirement de l'exercice des droits civiques.

En renouvelant l'ordre judiciaire, la principale préoccupation de l'Assemblée fut d'abolir à tout jamais le droit d'immixtion dans les affaires politiques et dans l'administration, droit que les cours supérieures avaient insensiblement usurpé.

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