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eu quelque danger à prévenir. Le marquis de Bouillé se chargea de protéger le voyage jusqu'à Montmédy, et il fut convenu que Monsieur suivroit le roi dans sa retraite.

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Quoiqu'on n'eût communiqué ce projet qu'au petit nombre de personnes qu'il étoit nécessaire de mettre dans la confidence, il arriva cependant qu'il fut su de ceux à qui il importoit le plus d'en dérober la connoissance. Parmi les femmes de la reine, il y avoit deux dont l'une étoit vendue à Voidel, et l'autre à la Fayette. L'une et l'autre surent le jour et l'heure fixés pour le départ de la famille royale, ainsi que la route qu'elle tiendroit. La Fayette fut si bien servi par celle des femmes qui lui rendoit compte de toutes les actions de la reine, qu'il eut un échantillon de la robe que la princesse devoit porter le jour de son départ. Il fit part de ce qui se passoit au château, à Bailly et à quelques officiers de sa garde nationale, entr'autres à Gouvion et au duc d'Aumont. Voidel en instruisit le comité des recherches de l'assemblée nationale et le duc d'Orléans. Celui-ci fut au comble de sa joie; il ne douta plus qu'il alloit enfin être élevé tout au moins à la régence.

Quelques heures avant le départ du roi, la Fayette eut avec lui un entretien, où de part et d'autre l'on dissimula. Lorsqu'il se fut retiré; l'auguste princesse sœur du roi, dit avec beaucoup d'émotion aux auteurs de ses jours: "Nous sommes trahis; la Fayette en

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se retirant, a jetté sur nous un regard, et a souri d'une manière qui me persuade qu'il sait tout." On négligea cet avis, mais un noir pressentiment flétrissoit le cœur de la reine. En descendant le château pour gagner la voiture, elle dit douloureusement à la marquise de Tourzel: "Ce voyage nous sera funeste; le roi n'est pas heureux."

La Fayette, Gouvion et le duc d'Aumont se trouvoient dans la cour des Tuileries, lorsque le roi y monta dans son carosse. Comme la nuit étoit fort avancée, aucune des personnes de la famille royale ne les apperçut. Le roi avoit avec lui dans le même carosse son épouse, sa sœur, ses deux enfans, et la marquise de Tourzel. Monsieur partit avec son épouse, du Luxembourg, où il logeoit. Il y avoit tant de sentinelles et dans l'intérieur du château des Tuileries et au Luxembourg que leur silence dans l'un et l'autre de ces palais tiennent du prodige. On croit, et il est très-vraisemblable que les factionnaires avoient feint de se laisser gagner par la famille royale; mais que réellement ils avoient été gagnés d'avance par d'Orléans et la Fayette.

Dès qu'on sut dans Paris que le roi étoit parti avec toute sa famille, la faction d'Orléans se livra à l'allégresse la plus effrénée, et la Fayette montra une sécurité qui seroit inconcevable, s'il n'eût pas été au fait de toute cette machination. Les orléanistes arrachèrent les armoiries du roi, de tous les lieux où

elles se trouvoient, et effacèrent le mot roi de toutes les enseignes. Ils commencèrent aussi à parler de déclarer le roi déchu du trône. La Fayette se montrant impassible au milieu de ces mouvemens, parcouroit les rues sur son cheval blanc, sourioit au peuple, et lui promettoit que le roi ne tarderoit pas à

revenir.

Le général ne faisoit pas une promesse vaine; il avoit fait partir des couriers et des aides-de-camp, non pas sur toutes les routes, mais seulement sur celle de Montmédy. Louis n'alla pas jusqu'à cette ville; Varennes fut le terme fatal de son voyage. On laissa passer Monsieur au delà de la frontière; son émigration servoit d'Orléans; elle rapprochoit celui-ci du trône.

On a beaucoup blâmé Louis XVI de n'avoir pas suivi Monsieur, mais c'est qu'on n'a pas voulu considérer que la retraite de Monsieur étoit favorisée par les agens de d'Orléans, et que des obstacles insurmontables s'opposoient à celle de Louis XVI. Voilà du moins ce que des témoins oculaires et dignes de foi m'ont assuré. A peine le roi fut dans Varennes que le tocsin sonna à dix lieues à la ronde; des légions de paysans armés de toutes les manières, accoururent et se trouvèrent là à point nommé. On dressa même des batteries de canon sur tous les passages. On a prétendu depuis que ces canons n'étoient pas chargés, et qu'ils étoient même hors

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d'état de tirer. Louis XVI ne pouvoit pas deviner.

On a dit aussi qu'il auroit dû se faire jour le pistolet à la main, à travers les gens qui l'arrêtèrent. Charles XII lui-même n'eût pas entrepris cette folie, et quand Louis XVI l'eût faite, il n'en eût pas moins été arrêté, ou, ce qui est plus vraisemblable, les émissaires de d'Orléans qui se trouvoient là, l'eussent égorgé avec sa famille.

Il falloit bien qu'il y eût une impossibilité physique à ce que le roi s'évadât, puisque le marquis de Bouillé ni les troupes qu'il commandoit ne firent aucun mouvement pour protéger son évasion. Pour détruire la force de cette objection, on a prétendu que le roi avoit donné ordre de n'opposer aucune résistance à la violence qu'on lui faisoit. Mais dans une occasion semblable, on eût servi le roi malgré lui-même, s'il y eût eu réellement possibilité de l'arracher aux gens qui le retenoient. Le reproche dans ce cas devroit tomber plutôt, ce me semble, sur ceux qui s'étoient chargés de le mettre en sûreté, que sur lui-même.

On a dit enfin qu'il eût mieux valu cent fois pour Louis XVI, qu'il eût péri sur la place avec toute sa famille, que de perdre la vie sur un échafaud. Mais Louis XVI pouvoit-il, et devoit-il prévoir qu'on le livreroit un jour aux bourreaux?

Ce furent un nommé Drouet maître de

poste de Sainte-Menehould, et un nommé Guillaume commis au district de la même ville, à qui on attribua la gloire d'avoir arrêté le roi. Ceux qui se disputèrent l'honneur de les avoir aidés dans cette fonction, furent en grand nombre. Je citerai seulement les noms de Toulotte, Bellette, Thévenin, Chevalette, Georges, Toussaint fils, Chevallon le jeune, Sauce, Leblanc, Bellitte.

Dès que la nouvelle de la détention du roi à Varennes parvint à Paris, la Fayette fit. partir un détachement nombreux de sa garde nationale pour escorter le monarque; d'Orléans envoya au devant de lui des troupes de bandits, et l'assemblée nationale dépêcha trois commissaires pour protéger sa marche jusques dans la capitale. Ces trois commissaires furent la Tour-Maubourg, Barnave et Pétion, tous trois à cette époque zélés orléanistes. Les deux derniers prirent place dans la voiture du roi, et on remarqua que Pétion tint constamment le jeune dauphin sur ses genoux.

Je ne décrirai point tous les outrages que la famille royale reçut dans le long trajet de Varennes à Paris. Je me bornerai à un seul trait. Le marquis de Dampierre apprenant que le roi passoit à son voisinage, n'obéit qu'au mouvement de son zèle; il monte à cheval, court après le monarque, fend la foule qui l'environnoit, s'approche de la voiture, descend de cheval, s'incline, et baise respectueusement la main

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