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pays plus ou moins grande; enfin, des irrigations pratiquées au moyen de grands travaux, exécutés par l'Etat ou des compagnies avec l'autorisation et sous la surveillance de l'Etat.

1. PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE EN MATIÈRE D'IRRIGATION.

11. DE L'IRRIGATION PRATIQUÉE PAR DE SIMPLES PARTICULIERS DANS UN INTÉRÊT INDIVIDUEL.— § 1er. Règles du droit civil en matière d'irrigations. 1° Législation du Code civil. - 2o Loi du 29 avril 1845. 10 Servitude d'aqueduc etablie en faveur des irrigations.-20 Servitude d'écoulement des eaux, sur les fonds inférieurs, après l'irrigation.- 3 Servitude de passage sur les fonds voisins pour l'écoulement des eaux d'un terrain submergé, applicable en dehors des irrigations. 30 Loi du 11 juillet 1847. Servitude d'appui en faveur des irrigations. §2. Application des règles du droit civil et de l'intervention administrative dans la pratique des irrigations. — 1° Emploi des eaux privées à l'irrigation. — 20 Prises d'eau pour l'irrigation sur les cours d'eau non navigables ni flottables. -5° Prises d'eau pour les irrigations sur les cours d'eau navigables ou flottables,

III. DE L'IRRIGATION PRATIQUÉE PAR DES PROPRIÉ-
TAIRES ASSOCIÉS DANS UN INTÉRÊT COMMUN, OU
DES ASSOCIATIONS D'ARROSANTS.

IV. DES CANAUX ET GRANDS TRAVAUX D'IRRIGATION
ENTREPRIS PAR L'ÉTAT DANS UN INTÉRÊT PUBLIC,

OC PAR DES COMPAGNIES INDUSTRIELLES AVEC
L'AUTORISATION ET SOUS LA SURVEILLANCE DE
L'ÉTAT.

intéressée dans la question des irrigations. L'industrie manufacturière, pour ses usines et moulins; la navigation, le flottage, pour les moyens de communication et de transport; les droits acquis; la pêche, etc.; la police des eaux dans l'intérêt général; enfin, les droits privés, en raison du morcellement des terres et de la situation des fonds, peuvent être gravement affectés par le mode d'emploi des eaux pour les irrigations.

Tous ces intérêts, tous ces droits se recommandent à titre égal, à la vigilance et à la protection de l'administration. C'est à elle qu'il appartient d'intervenir, lorsque, dans l'application, ces droits se trouvent en concurrence: c'est à elle de régler, dans l'intérêt public, la juste distribution des

eaux.

Ces notions générales des devoirs et des droits de l'administration dans la question qui nous occupe ne sont pas seulement un exposé de doctrine ou de pure théorie. Elles ont été tracées par le législateur lui-même.

La loi du 22 décembre 1789, par une disposition expresse, charge l'administration de la conservation des rivières et de la direction et confection des canaux. (Sect. III, art. 2, §§ 6 et 7.)

L'instruction législative des 12-20 août 1790, qui présente un résumé si remarquable des fonctions administratives à l'égard des industries agricoles manufacturières et commerciales, met au nombre des devoirs de l'administration le soin de se procurer les instructions et renseignements d'après lesquels d'utiles améliorations puissent être proposées et exécutées; et l'on sent bien qu'il est dans la nature même d'une telle recommandation de suivre le progrès du temps et de ne pas être bornée dans son application à l'époque seule pour laquelle elle fut spécialement rédigée.

En ce qui concerne le cours des eaux et l'irrigation, la même instruction trace dans les termes suivants les devoirs de l'administration:

Elle doit chercher et indiquer les moyens: 1o de procurer le libre cours des eaux ; — 2o d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses, des moulins, et par les autres ouvrages d'art établis sur les rivières;

I. PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE EN MATIÈRE D'IRRIGATION. C'est dans la nature même des besoins sociaux qu'il s'agit de sausfaire que l'administration trouverait, à défaut de dispositions spéciales écrites dans la loi, l'indication de ses devoirs et la raison de ses droits. Nous avons dit combien l'utile emploi des eaux est important pour l'industrie agricole; par conséquent, pour le développement de la richesse nationale et le bien-être du pays. Nous avons ajouté que, bien que cette importance soit aujourd'hui mieux appré- 3o de diriger, enfin, autant qu'il sera posciée que jamais, la législation laisse beaucoup à dé-sible, toutes les eaux du territoire vers un but sirer sous ce rapport: c'est ce que confirme l'élo- d'utilité générale, d'après les principes de l'irriquente plainte de l'un des maitres de l'économie gation. (Instr. législat. 12-20 août 1790...... rurale (M. de Gasparin), déplorant que les sources chap. 6.) ⚫ de nos montagnes et nos fleuves majestueux rou⚫ lent annuellement à la mer des milliards, qu'une ⚫ pensée et une volonté pourraient fixer sur notre territoire. »

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Voyons maintenant de quelle manière et dans quelle mesure les principes que nous venons d'exposer sont applicables dans la pratique des irrigations.

II. DE L'IRRIGATION PRATIQUÉE PAR DE SIMPLES PARTICULIERS DANS UN INTÉRÊT INDIVIDUEL.-§ 1er. Règles du droit civil en matière d'irrigations.

Eh bien, c'est à l'administration qu'il appartient d'avoir cette pensée, d'exercer cette volonté dans les limites d'une prudente réservé, en favorisant le progrès sans prendre l'enthousiasme pour guide; c'est un devoir pour elle de se préoccuper des ré- C'est aux prises d'eau et aux travaux d'irrigation clamations de l'agriculture à ce sujet; de tenir exécutés par l'industrie privée que se rapportent compte de l'expérience acquise, des observations les seules règles posées jusqu'à présent par la léqui fui sont signalées, et de préparer ainsi les élégislation civile en cette matière. ments d'une bonne loi sur les irrigations, loi si déstrée et saluée à l'avance du nom de baptême agricole du pays.

Séclairer pour instruire et au besoin diriger; encourager les efferts particuliers; protéger, surveiller: accorder, en cette matière, à l'agriculture toute la faveur compatible avec l'intérêt public: telle est, ce nous semble, la mission de l'administration. Pour l'accomplir, elle doit avoir, elle a nécessairement, le droit de prendre les mesures et de faire les réglements nécessaires.

L'industrie agricole n'est pas d'ailleurs la seule

Ces règles sont contenues:

- 10 dans le Code civil, au titre DES SERVITUDES ET SERVICES FONCIERS, au chapitre des servitudes qui dérivent de la situation des lieux, notamment dans les articles 644, 645; 2o dans les lois des 27 avril 1845 et 11 juillet 1847, intitulées Lois sur les irrigations.

-

Ces deux dernières lois ont, en effet, été proposées et discutées dans le but tout spécial de donner à l'agriculture de nouvelles facilités pour l'emploi des irrigations. Elles sont un premier pas fait par notre époque dans cette question d'un si

haut intérêt pour l'industrie rurale. Mais c'est en cela seulement qu'elles justifient le titre un peu ambitieux dont on les a décorées.

Elles se réduisent à peu près à ouvrir, en faveur de ceux qui veulent employer à l'arrosement des terres les eaux dont ils ont le droit de disposer, et pour les cas où il y aurait intérêt sérieux et justifié, le bénéfice de deux nouvelles servitudes légales dérivant aussi de la situation des lieux, et imposées pour de graves raisons d'utilité générale. Elles ont uniquement pour objet de faciliter les travaux d'irrigation qu'un ou plusieurs propriétaires peuvent entreprendre dans un intérêt privé; mais elles ne s'occupent en aucune façon ni des associations d'arrosages, ni des grands travaux d'irrigation que l'Etat peut entreprendre ou faire exécuter par des compagnies dans un intérêt public. En résumé, ces deux lois ne sont qu'un complément heureux et nécessaire des dispositions du Code civil en cette matière; quant à une véritable loi d'ensemble sur les irrigations, elle est encore à faire.

1o Législation du Code civil. - Le Code civil n'avait donné qu'une attention très-secondaire à la question des irrigations. Il ne semble s'en occuper que pour reconnaître à celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle déclarée dépendance du domaine public par l'article 558, le droit de se servir de cette eau, à son passage, pour l'irrigation de sa propriété (C. c. 644). L'article suivant pose un principe qui doit toujours servir de guide en cette matière: «S'il s'élève des ⚫ contestations entre les propriétaires auxquels ces • eaux peuvent être utiles, les tribunaux, en prononçant, doivent concilier les intérêts de l'agriculture avec le respect dû à la propriété. » (Ibid., art 645). Le même article fait d'ailleurs toute réserve des droits ou du mode d'emploi des eaux établis soit par titres particuliers, soit par des règlements administratifs.

Le Code ne parle expressément que de ce droit d'usage du propriétaire riverain d'une eau courante qui n'est pas déclarée dépendance du domaine public. Ce n'est que par voie de déduction qu'on en peut tirer les règles concernant l'emploi, pour les irrigations, des eaux qui sont l'objet d'une propriété privée, ou des concessions obtenues de l'administration supérieure sur les grands cours d'eau du domaine public. Nous exposerons ces règles en leur place.

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20 Loi du 29 avril 1845. 10 Servitude d'aque luc établie en faveur des irrigations. Mais, à quel que titre que l'on pût disposer des eaux, le bénéfice de leur emploi pour l'arrosement des terres était assez restreint avant les lois de 1845 et 1847. Il se bornait, dans la plupart des cas, à la possibilité d'arroser seulement le fonds riverain ou celui de la situation des eaux. Le propriétaire usager ou concessionnaire des eaux destinées à l'irrigation n'avait, en aucune façon, le droit de les faire passer sur un fonds voisin, pour les employer à fertiliser une autre portion de sa propriété séparée par ce fonds de leur point de départ. Il pouvait sans doute acheter ce droit à l'amiable du propriétaire voisin; mais pour peu que celui-ci, inspiré par un mauvais vouloir ou par la cupidité, se refusat absolument à faire cette concession ou élevât des prétentions trop exorbitantes, il fallait renoncer à l'entreprise et laisser s'écouler en pure perte un volume d'eau peut-être susceptible de fertiliser de vastes terrains.

Cet état de choses très-préjudiciable à l'agriculture, en ce qu'il laissait aux mauvaises passions la possibilité de frapper de stérilité une portion considérable du sol cultivable, s'aggravait de jour en jour. D'un côté le morcellement des terres et les muta

tions de propriété restreignaient l'étendue du terrain appelé à profiter, par l'irrigation, du bienfait des eaux à sa portée de l'autre, le développement de l'industrie agricole, et la nécessité de mettre en valeur de nouveaux fonds peu ou point cultivés jusqu'alors, donnaient chaque jour un nouveau prix à cet élément de fécondité, dont l'utile et facile emploi importe si fort à la prospérité générale.

Ces considérations ont amené le législateur à imposer à certains fonds la servitude légale d'aqueduc dans l'intérêt de l'agriculture, et pour favoriser l'extension des irrigations. C'était faire, disait le rapporteur de la loi du 29 avril 1845 à la chambre des pairs, la déclaration d'une de ces contraintes légales qui ne portent sur certaines parties du sol que dans un intérêt commun à toutes les autres, et qui, sagement réglées, rendent, en définitive, au droit de propriété plus qu'elles ne semblent lui

ôter.

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• Seront exceptés de cette servitude les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habi⚫tations. »

Notre intention n'est pas de faire le commentaire de cette loi, mais nous voudrions en faire ressortir les principes avec quelque détail. Ils nous paraissent empreints d'un esprit de sage réservé et d'un amour sincère du progrès qui caractérisent l'époque où elle a été portée, et devrait servir de guide dans l'appréciation des questions que peut soulever son application. Le respect intelligent de la propriété, l'intention prononcée de favoriser l'agriculture et non la spéculation, s'y rencontrent à chaque ligne.

Bien que frappé des avantages généraux des irrigations et du résultat déplorable de la déperdition des eaux, le législateur ne s'est point laissé entraîner à décréter, ainsi qu'on l'avait proposé, que les travaux d'irrigation des propriétés rurales, entrepris, soit collectivement, soit individuellement, pourraient être déclarés d'utilité publique, ce qui comportait l'expropriation dans les formes voulues par la loi du 3 mai 1841.

Il a refusé de transférer à l'intérêt privé un droit dont l'Etat seul doit être armé. Il a pensé qu'il suffisait, pour atteindre le but recherché, d'introduire simplement dans la loi une nouvelle servitude légale. Encore ne l'a-t-il pas déclarée de droit. Cette servitude pourra être obtenue par les intéressés justifiant d'un intérêt sérieux d'irrigation. « Il ne

suffira pas, disait le rapporteur, d'alléguer une ⚫ irrigation imaginaire ou d'invoquer un simulacre d'irrigation pour obtenir du juge le droit de diriger sur la propriété voisine des eaux réellement ⚫ destinées à l'exploitation d'une usine, à la commodité d'une maison de campagne, ou à l'embel⚫lissement d'un parc. Il ne suffira pas davantage « à un propriétaire d'avoir un volume d'eau quel⚫ conque à sa disposition, si le niveau des terres ne permet pas l'irrigation ou si le volume d'esu « est évidemment insuffisant pour l'arrosement d'une faible parcelle, car la propriété privée ne < peut être asservie que dans un intérêt général qui ne peut exister que là où l'opération est réelle et utile; tel est le sens dans lequel la disposition a « été conçue, et les tribunaux sont armés d'un ⚫ pouvoir discrétionnaire propre à faire respecter < la pensée de la loi. »

2. Servitude d'écoulement des eaux sur les fonds inférieurs après irrigations. Ce n'était pas assez de régler les conditions auxquelles les eaux destinées à l'irrigation d'une propriété peuvent y être conduites à travers les fonds intermédiaires qui l'en séparent; il fallait s'occuper encore des conséquences de l'irrigation pour les héritages inférieurs qui touchent aux terrains arrosés, et se trouvent ainsi exposés à recevoir l'écoulement des eaux que la terre n'absorbe pas en totalité. L'article 640 du Code civil dispose que les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement et sans que la main de l'homme y ait contribué. Mais cette servitude n'existait pas pour les eaux naturelles ou artificielles, amenées au moyen d'un aqueduc, soit que cet aqueduc traverse le fonds d'autrui, soit qu'il parcoure exclusivement l'héritage du propriétaire qui se livre à l'irrigation.

Il était naturel et indispensable d'étendre à ces eaux la servitude établie par l'article 640, et d'obliger le propriétaire inférieur à en recevoir l'écoulement. L'article 2 de la loi du 29 avril 1845, ajoute en terminant: sauf l'indemnité qui pourra être due. Le plus ordinairement, en effet, la présence de ces eaux sera un avantage pour le propriétaire du fonds inférieur; néanmoins, comme il peut arriver que l'imposition de cette servitude lui soit dommageable dans certains cas, la loi devait lui assurer la réparation du préjudice qu'il pourrait avoir

souffert.

Les contestations auxquelles pourraient donner lieu l'établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d'eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnités dues soit au propriétaire du fonds traversé, soit à celui qui recevra l'écoulement des eaux, sont portées devant les tribunaux qui, en prononçant, doivent concilier l'intérêt de l'opération avec le respect dû à la propriété. (L. 29 avril 1845, art. 4.)

La servitude est une question de propriété, et les questions de propriété sont toujours du ressort des tribunaux de l'ordre judiciaire. L'article 645 du Code civil portait une disposition semblable avec la même recommandation faite au juge de concilier, autant que possible, les intérêts de l'agriculture avec le respect dû à la propriété.

Dans le but d'éviter des frais onéreux pour les parties, la loi veut qu'il soit procédé devant les tribunaux, pour les contestations dont il s'agit, comme en matière sommaire: s'il y a lieu à expertise, le tribunal est autorisé à ne nommer qu'un seul expert. (Ibid.)

La loi n'avait entendu porter aucune atteinte aux dispositions du Code civil sur la propriété et la jouissance des eaux: elle réserve aussi, par une disposition formelle, toutes les dispositions spéciales qui conferent la police des eaux à l'autorité administrative (Ibid., art. 5). (Voy. L. 12-20 août 1790; Déer. 28 septembre, 6 octobre 1791, tit. II, art. 16; L. 14 floréal an xi.)

30 Servitude de passage sur les fonds voisins pour l'écoulement des eaux d'un terrain submergé, applirable en dehors des irrigations. Une disposition étrangère à l'irrigation proprement dite, mais trèsutile à l'agriculture, fut intercalée par voie d'amendement dans la loi du 29 avril 1845, dont elle forme l'article 3. Ellea pour objet d'accorder au propriétaire d'un terrain submergé, en tout ou en partie, la faculté d'obtenir un passage sur les fonds intermédiaires à l'effet de procurer aux eaux nuisibles leur écoule

ment.

Il n'est pas inutile de mentionner que cette disposition fut admise en raison de son utilité géné

rale et non comme conséquence des dispositions précédentes. Elle n'a pas pour but de venir au secours des inconvénients que l'exécution de la loi pourrait présenter par suite des infiltrations résultant du détournement des eaux. Il est pourvu à ces inconvénients par l'article 2 de la loi avec lequel celui-ci, pris au même point de vue, serait en complète opposition. L'article 3 est d'intérêt général et applicable en dehors des irrigations. Il ouvre un moyen de rendre à la culture des terrains submergés autrement que par le fait de l'homme, cas auquel la réparation du dommage, ou l'indemnité qui le compense, incomberait à celui qui l'aurait causé. Cet article fut adopté dans le but général d'élargir les superficies où se reproduit la richesse territoriale d'assainir le sol et de tarir dans leurs sources ces cruelles maladies qui frappent continuellement les populations voisines des terrains submergés. (Voy. Rapport de M. Passy à la chambre des pairs. 30 Loi du 11 juillet 1847. Servitude d'appui en faveur des irrigations. — Cette loi n'était point une loi nouvelle sur les irrigations; mais le complément nécessaire de la loi précédente, l'adoption d'une proposition ajournée lors de la discussion de la loi du 29 avril 1845 jusqu'à plus ample informé (Voy. les rapports et la discussion au Moniteur). Par conséquent, tout ce que nous avons dit de l'esprit et des motifs de la loi de 1845, est parfaitement applicable à celle de 1847.

L'article 1er porte: Tout propriétaire qui voudra se servir, pour l'irrigation de ses propriétés, des eaux naturelles ou artificielles dont il a le droit de disposer, pourra obtenir la faculté d'appuyer sur la propriété du riverain opposé les ouvrages nécessaires à sa prise d'eau, à la charge d'une juste et préalable indemnité..

Sans la concession de cette faculté, la constitution de la servitude d'aqueduc en faveur des irrigations ne pouvait atteindre que très-imparfaitement le but du législateur. Souvent il arrive, en effet, que les eaux d'une rivière ne peuvent être utilisées pour l'irrigation que par l'élévation artificielle de leur niveau. Si le propriétaire ne peut établir sur la rive opposée, comme sur la sienne, les ouvrages nécessaires, son droit d'irrigation est frappé d'impuissance; il ne peut tirer parti, ni des concessions, ni de la servitude d'aqueduc qu'il aurait obtenues. Les mêmes considérations d'utilité générale, qui avaient déterminé le législateur à accorder la servitude d'aqueduc, devaient le conduire à établir celle d'appui pour la même fin et dans les mêmes conditions.

Ici, comme dans la loi de 1845, la loi ne confère aucuns droits nouveaux, quant à la propriété ou à la jouissance des eaux: elle ne s'occupe uniquement que des moyens de faciliter l'usage de celles dont on a la disposition, elle réserve expressément et complétement tous les droits de l'administration. En conséquence, on ne peut réclamer la servitude d'appui que pour le volume d'eau dont on a le droit de disposer, et pour les seuls travaux d'art qu'on a préalablement obtenu de l'administration l'autorisation de construire sur le cours d'eau dont la police lui appartient essentiellement, même quand elle n'en a pas la propriété absolue. (Voy. Rapport à la chambre des députés sur la présente loi.

C'est par suite des mêmes principes que le législateur a refusé d'accorder aux propriétaires non riverains la faculté d'appuyer sur les deux rives, qui ne leur appartiennent ni l'une ni l'autre, les ouvrages d'art destinés à faciliter des prises d'eau sur des cours d'eau dont la législation antérieure réservait l'usage aux seuls riverains. (C. C., art. 645.)

Le riverain, sur le fonds duquel l'appui est ré

clamé, peut toujours demander l'usage commun du barrage, en contribuant, pour moitié, aux frais d'établissement et d'entretien. Lorsque cet usage commun n'est réclamé qu'après le commencement des travaux, celui qui le demande doit supporter seul l'excédant de dépense auquel donnent lieu les changements à faire au barrage, pour le rendre propre a l'irrigation des deux rives. (L. 11 juillet 1847, art. 2)

Les exceptions à la servitude d'appui, les règles concernant la compétence des tribunaux et le mode de procédure, aux cas de contestations relatives à la servitude d'appui, sont identiquement les mêmes que celles posées par la loi du 29 avril 1845, et que nous avons rapportées ci-dessus. (Ibid., art. 1 et 3.) Après cet exposé des règles générales de la législation civile en matière d'irrigation, passons à leur application aux cas spéciaux et voyons quels sont, à cet égard, les droits et les devoirs de l'administration.

§ 2 Application des règles du droit civil et de l'intervention administrative dans la pratique des irrigations par des individus.-1o Em ploi des eaux privées à l'irrigation. On entend par eaux privées, celles sur lesquelles le propriétaire a un droit absolu de propriété; telles sont : les eaux des sources et fontaines, lacs et étangs renfermés dans des propriétés particulières; les eaux des puits; les eaux recueillies par des moyens artificiels dans des réservoirs; celles qui jaillissent du sol par le sondage des puits artesiens ces eaux appartiennent, en toute propriété, à celui sur le sol duquel elles naissent ou sont fixées. En vertu de son droit, le propriétaire en peut faire tel usage que bon lui semble, pour les irrigations comme pour tout autre objet, sauf les droits acquis par des tiers et les prohibitions portées par les lois et règlements. (C. C., art. 544, 641, 642, 643. )

Tant que ces eaux restent sur sa propriété, le propriétaire peut en changer ou en détourner le cours naturel, les absorber en totalité à son usage, les concéder à des tiers; il n'est tenu à nul partage avec ses voisins supérieurs ou inférieurs. L'administration ne pourrait pas, par un règlement, obliger le propriétaire de la source a transmettre les eaux dans telle direction plutôt que dans telle autre. Elle ne peut, à aucun titre, intervenir dans l'usage que le propriétaire fait de ses eaux, du moins en ce qui concerne les irrigations; quant aux devoirs de surveillance générale et aux droits de police, ils existent toujours à l'égard des eaux de propriété privée, et il est des cas où l'administration peut avoir à les exercer par exemple, lorsque la conduite de ces eaux est si mal dirigée que leur cours n'est pas assuré et qu'il en peut résulter des stagnations dont les émanations corrompent l'air et nuisent à la salubrité publique; ou bien lorsqu'elles se trouveraient amenées, comme par torrents, sur une voie publique où elles compromettraient la sûreté des passants. Il appartiendrait alors au pouvoir de la police d'intervenir, parce qu'il est essentiellement de son devoir de préserver le pays des inconvénients qui peuvent résulter du mauvais emploi des eaux. » (DAVIEL, Commentaire sur la loi du 29 avril 1845.)

Lorsque ces eaux sont de nature à prendre un cours, le droit exclusif du propriétaire cesse au moment où elles sortent de sa propriété Ce qui était une fontaine, un ruisseau privé, devient un ruisseau public, et les droits de tous ceux dont ce ruisseau borde ou traverse les propriétés prennent naissance. Le propriétaire de la source ne peut donc faire aucune

concession utile sur ces eaux comine en vertu d'un droit de suite. Si le propriétaire d'une usine établie sur un ruisseau a traité avec le propriétaire d'une des sources qui l'alimentent, afin de s'assurer qu'aucune direction contraire ne sera donnée aux eaux, le contrat lui sert de titre contre le propriétaire de la source pour empêcher tout détournement, mais ne peut porter aucun préjudice aux droits, que la loi donne aux propriétaires des héritages situés entre l'usine et le fonds où nait la source, de se servir des eaux pour l'irrigation de leurs prairies.

Prises d'eau, pour l'irrigation, sur les cours d'eau non navigables ni flottables. Une fois qu'il a franchi les bornes de la propriété sur laquelle il a pris naissance, le ruisseau change, si l'on peut s'exprimer ainsi, de nature légale. En général, il ne tarde pas à acquérir de l'importance; il va, tout en répandant la fécondité sur son passage, s'adjoindre à un autre ruisseau dont il augmente la puissance, ou, grossi lui-même par des affluents, fournir à l'industrie des moteurs, au commerce des moyens de transport et de navigation. S'il n'a pas encore acquis un développement qui, en le rendant propre à un service public, lui fasse assigner par la foi ou par la déclaration faite en vertu de la loi, le caractère de propriété publique (C. C., art. 558), il a cessé du moins d'être soumis au droit exclusif de propriété privée. La loi veut que, sur tout son parcours, chacun des riverains dont il traverse ou borde l'héritage, puisse user de sa bienfaisante influence, mais en user dans une certaine mesure, et sans l'absorber jamais à son avantage personnel (C. C., art. 644). L'usage en est commun aux riverains, avec les distinctions indiquées précédemment; la propriété n'en appartient à personne. La nature physique de cette masse d'eau, qui passe et se renouvelle sans cesse, résiste par elle-même à une appropriation exclusive telle que la comporte la propriété proprement dite: les intérêts généraux de l'agriculture, de l'industrie, du commerce et de la navigation s'opposent également à ce que cette appropriation soit permise. La cour de cassation s'est prononcée en ce sens, dans un récent arrêt, sans attribuer, d'ailleurs, à l'Etat, sur ces cours d'eau une propriété que la loi ne lui reconnait que sur les cours d'eau navigables et flottables. (Arr. Cass. 10 juin 1846.)

10 Nature du droit des riverains sur les petits cours d'eau: étendue de ce dont quant aux irrigations.-II résulte donc de la nature même des choses, des textes formels de la loi et de la jurisprudence de la cour suprême, que le droit des riverains, à quant l'irrigation, sur les cours d'eau non navigables ni flottables, n'est point un droit de propriété, mais un simple droit d'usage, un démembrement de la propriété, tout ce qu'il était possible enfin de détacher en faveur des propriétés privées d'une chose telle qu'un cours d'eau non navigable. Ce droit d'usage appartient exclusivement aux riverains, c'est à eux seuls que la loi l'a départi; mais il n'appartient à aucun d'eux en particulier; chacun en jouit à son tour en raison de la situation de son héritage. Il suit de là que le droit de chacun devant se combiner avec le droit équivalent qu'ont les autres au-dessus et au-dessous, il doit être exercé de telle sorte que l'usage des autres n'en éprouve ni diminution ni obstacle. Le riverain supérieur ne peut donc pas absorber, intercepter les eaux au détriment du riverain inférieur. Il ne peut pas usurper

exclusivement des avantages destinés à tous. Il ne peut non plus, au détriment de ses co-usagers, transmettre les eaux à des non-riverains. L'usage qu'il fait ne peut pas rendre inutile l'usage qui, au même titre, appartient à autrui.

Ces principes étaient ceux de l'ancienne jurisprudence. Soit dans l'intérêt des prairies inférieures, soit dans l'intérêt des moulins, les arrêts des par lements défendaient aux riverains supérieurs de détourner entièrement ou d'absorber en trop grande partie le volume des rivières.

Parmi nos anciennes coutumes, on voit celles mêmes qui regardaient le seigneur comme proprié taire des rivières ne permettre d'en détourner les eaux qu'à charge de les rendre, à l'issue de leurs fiefs, à leur cours ordinaire et ce sans dommage d'autrui (Coutume de Normandie, art. 206). L'art. 207 de la même coutume ajoutait défense ⚫ de faire étangs, fossés et écluses pour détenir les ⚫eaux des fleuves et rivières, qu'elles ne coulent • continuellement pour la commodité de ceux qui • sont au-dessous, à peine de répondre de tous dommages-intérêts. Cette dernière disposition, bien qu'elle ne soit pas expressément écrite dans nos Codes, s'applique à l'un des genres d'arrosage prohibés par les règlements. «En rivières et autres héritages publics, le droit de chacun est d'en user tellement, que l'usage des autres n'en soit ⚫ empêché. (Coquille sur Nivernais, Tit. de Maisons, art. 2.)

Le droit du propriétaire d'une seule rive des cours d'eau non navigables ni flottables est restreint par la loi à l'emploi des eaux pour les irrigations; il ne peut exercer sa prise d'eau que par saignées ou rigoles, sans mettre à nu la rive opposée, en détournant la rivière. Le droit du proprié taire des deux rives est plus étendu; il peut, dans l'espace de sa propriété traversé par le cours d'eau, détourner le cours entier, lui faire décrire sur son fonds certains circuits, le diriger, en un mot, comme il l'entend, soit pour l'irrigation du fonds, soit pour des usages d'agrément; mais il n'est pas moins tenu que tout autre riverain de rendre l'eau courante, à la sortie de ce fonds, à son cours naturel.

Concurrence pour l'emploi des eaux entre des propriétaires de prairies et des propriétaires d'usines: Reglements administratifs à cette occasion.-Il arrive fréquemment qu'il y a concurrence pour l'emploi des eaux entre des propriétaires de prairies et des propriétaires d'usines. Si les co-intéressés ne peuvent s'arranger à l'amiable pour l'exercice de leur droit d'usage, il appartient à l'autorité administrative de prendre les arrêtés et de faire les réglements nécessaires pour assurer à chacun une jaste et convenable distribution, en conciliant autant que possible les intérêts également précieux de findustrie rurale et de l'industrie manufacturière. La prédominance de l'une de ces industries sur l'autre peut servir de texte à de longues et futiles déclamations. Mais aux yeux du pouvoir chargé de veiller à la satisfaction générale de tous les besoins sociaux, cet antagonisme n'est qu'apparent; l'une et l'autre industrie méritent une égale protection. Soit qu'elles offrent au commerce des chemins qui marchent et se réparent d'eux-mêmes, soit qu'elles fournissent à l'industrie manufacturière des moteurs qui se mettent successivement à la disposition de tous, sans lésion pour personne, soit que par leurs principes fécondants elles versent sur nos champs la vie et l'abondance, les eaux providentiellement réparties et entraînées par les pentes générales du sol sont données à l'homme comme instrument de travail et de production, et la loi n'intervient que pour leur reconnaitre et leur garantir ce caractère. Agriculteurs et industriels sont également, sous la protection du droit commun, appelés à profiter de cette richesse naturelle. Ni les uns ni les autres n'ont reçu les cours d'eau en apanage

exclusif; ils ont le même titre à en réclamer l'usage; leur industrie differe, leur droit est le même: mais leurs besoins different comme leur industrie, et la préoccupation de l'administration, quand elle intervient entre ces divers intérêts, doit être de les concilier sans les sacrifier les uns aux autres.

Si, du reste, la balance devait pencher un peu en faveur de l'industrie agricole dans la réglementation de l'usage des cours d'eau entre propriétaires agricoles et manufacturiers, ce serait, pensonsnous, par des appréciations de fait beaucoup mieux fondées que la considération de prédominance d'une industrie sur l'autre. L'eau, en quantité considérable et à son état de nature, est l'agent perpétuel et indispensable de la production agricole. Elle peut, au contraire, réduite à l'état de vapeur, offrir à l'industrie un moteur bien plus puissant et bien plus maniable que celui qu'elle lui fournit aujourd'hui aux dépens de l'énorme volume mis à sa disposition. Plus la science perfectionnera les machines, moins l'industrie sera obligée d'emprunter aux cours d'eau, et plus large pourra être la part laissée à l'agriculture dans la libre disposition des eaux. Il n'est pas impossible que, dès à présent, ces considérations ne trouvent leur place dans l'appréciation des circonstances relatives à là distribution des eaux entre usiniers et agriculteurs. Il ne saurait y avoir, à cet égard, de règles absolues à tracer. L'administration avise suivant les lieux et les circonstances Elle déterminé suivant l'étendue des terrains arrosables et les nécessités locales les jours et heures d'irrigation. Les ayants droit à l'usage des eaux doivent arroser leurs prairies de manière à ce qu'à l'expiration du temps fixé l'eau soit partout rendue à la rivière. Si les arrosants pouvaient prendre l'eau sans ordre, arbitrairement, un jour celui-ci, un jour celui-là, le cours d'eau, alternativement épuisé par les uns ou par les autres, ne présenterait jamais aux propriétaires de moulins ou usines un volume constant et continu, et ceux-ci seraient exposés à de capricieuses alternatives dans la force motrice dont ils peuvent disposer, à des chômages continuels trèspréjudiciables, mortels même pour leur industrie. Au lieu que si les temps consacrés à l'irrigation sont limités et fixés, les propriétaires d'usines, sachant sur quoi compter, peuvent ordonner régulièrement les travaux de leurs ateliers.» (Voy. DAVIEL, Cours d'eau, no 586.)

Pendant les jours réservés aux propriétaires de prairies, si le cours d'eau est assez abondant, lous les riverains peuvent ouvrir leurs prises d'ean durant tout le temps fixé pour l'irrigation. Si, au contraire, le volume d'eau est insuffisant pour tous concurremment, il est avantageux qu'un règlement indique l'ordre et le temps pendant lequel chacun à son tour pourra successivement prendre le volume tout entier, pendant un temps proportionné à l'étendue et aux besoins des terrains arrosables. Tel est, en effet, l'usage très-anciennement suivi partout où l'insuffisance du volume alimentaire se fait sentir. Alternis vicibus huic et illi aqua dividitur, dit MORNAC, cum omnibus simul non possit: mos ille est in pluribus locis nostræ Galliæ. (Ibid., ét MERLIN, Répert., au mot Moulin, 312.)

30 Règlements pour l'irrigation entre les riverains ou co-usagers de petits cours d'eau.-L'intervention administrative en matière d'irrigations par des prises d'eau sur les cours d'eau non navigables ni flottables, ne se borne pas seulement au cas où les intérêts de l'agriculture et ceux de l'industrie se trouvent en concurrence, quant à l'emploi dés

eaux.

En supposant que le cours d'eau, dans toute son

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