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même filence; cela donne fans doute beaucoup de penchant à croire que c'est encore un ouvrage des Romains. On va voir, par le récit que je vais extraire du premier livre du Poëme d'Abbon (1), que cette enceinte, loin d'être un ouvrage des Romains, ne fut commencée que vers la fin du neuvième fiècle : « Sigefroy, furieux de ne pouvoir obtenir » le paffage par la Ville, vint brusquement ( 2 ) » attaquer la groffe Tour du grand (3) Pont. Eudes, » Comte de Paris, Robert fon frère, les Comtes Raguenaire & Sibange, l'Evêque Goflin, & Eble, » Abbé de Saint-Germain, la défendirent jufqu'à » la nuit avec tant de valeur, que les Normands, » malgré les brèches considérables qu'ils y avoient faites, furent obligés de fe retirer avec perte de » quatre à cinq cents hommes. . . . Le lendemain >> ils revinrent avec la même fureur. . . . l'attaque » dura jufqu'au foir. . . . . fe voyant toujours re» pouffés, ils prirent le parti de faire des foffés & » de fortifier un camp avec des pierres & de la

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(1) Il étoit dans Paris pendant le fiége de Sigefroy, en

886.

(2) Nempè ruunt omnes ratibus, turri properantes,

Quam feriunt fundis acriter, complentque fagittis. (3) Le grand Châtelet.

» terre, dans le Bourg (1) de Saint-Germain » l'Auxerrois ».

Ce récit prouve que la muraille, ou l'enceinte en question, n'existoit pas encore en 886; Abbon en auroit parlé; Sigefroy auroit été obligé d'y donner d'abord l'affaut & de s'en rendre maître; au lieu qu'on voit qu'il arriva tout de fuite & fans obftacle au bord du foffé de la Tour du grand Châtelet. Voici mes conjectures fur cette muraille: D. Félibien, & tous ceux qui fe font particulièrement appliqués à l'hiftoire de Paris, prétendent que le terrein où eft à préfent la (2) Ville, étoit couvert d'une forêt; cette Tour octogone qui fubfifte encore au coin du Cimetière des Innocens, fervoit, dit-on, pour faire fentinelle dans cette forêt contre les bandes de voleurs, & contre les Normands qui pouvoient s'y embufquer par troupes détachées, venir fondre dans le marché de la place de Grève, piller le port & emmener des efclaves. Je crois que l'on fit cette muraille contre les incurfions fubites, & que

(1) Ce quartier étoit encore appelé Bourg fous le règne de Philippe-Auguste, 300 ans après ce fiége; & le favant Ménage veut bien nous apprendre, à ce fujet, que le Bourg eft toujours féparé de la Ville, au lieu que le Fauxbourg y

tient.

(2) Le côté de la rivière au Nord.

les Juifs, qui reparoiffent en France à-peu-près dans ces temps-là, obtinrent la permiffion de bâtir, dans cette enceinte, des maifons qui formèrent ces vilaines rues Saint-Bon, de la Tacherie, du Pet-audiable, & autres adjacentes. Il eft certain qu'ils y avoient une fynagogue & des écoles au commencement de la troifième Race. Ce ne fut que fous le règne de Louis le Jeune, que l'on commença de bâtir dans (1) Champeaux & aux environs de Sainte-Opportune, qu'on appeloit auparavant l'hermitage de Notre-Dame des Bois, parce qu'il étoit à l'entrée de la forêt.

Entre le boulevard & la rivière au Nord, depuis le terrein où eft à préfent l'Arcenal, jufqu'au bout des Tuileries, repréfentons - nous donc les reftes d'un bois marécageux; de petits champs, des (2) cultures, des haies, des foffés, & quatre ou cinq Bourgs, plus ou moins (3) éloignés les uns des autres ; quelques

(1) Quartier des Halles.

(2) Les rues Culture-Sainte-Catherine & Culture-SaintGervais (on prononçoit Coulture) s'appellent ainfi de ce mot, qui fignifioit des endroits propres à être cultivés.

(3) Le Bourg Thibouft, les Bourgs l'Abbé & Beau-bourg, & l'ancien & le nouveau Bourg de Saint Germain-l'Auxerrois; ils furent en partie renfermés dans l'enceinte que fit faire Philippe-Auguste, & qui fut achevée en 1121. Les rues de ces Bourgs en ont toujours confervé les noms. Le

rues bien boueuses autour du grand Châtelet & de la Grève; un grand Pont (le Pont au Change) pour arriver dans une petite Ifle (la Cité), qui n'étoit habitée que par des Prêtres, quelques marchands, & des ouvriers; un autre Pont (le petit Pont) pour en fortir du côté du Midi, & au-delà de ce Pont & du petit Châtelet, trois ou quatre cents maisons éparfes çà & là fur le bord de la rivière, & dans les vignes qui couvroient les environs de la montagne Sainte-Geneviève : tel étoit Paris fous nos premiers Rois de la troisième Race; & je crois que, fi l'on veut réfléchir fur les mœurs de ce temps-là, & fur les caufes de fes accroiffemens dans la fuite, on conviendra qu'il ne devoit pas être plus grand ni plus confidérable. Tous ces différens Tribunaux que nous voyons aujourd'hui, & dont les dépendances font fi nombreuses, n'exiftoient point encore; le Roi, le Comte ou le Vicomte écoutoient les parties, jugeoient fommairement, ou bien ordonnoient le combat, fi le cas étoit trop embarraffant. Il n'y avoit point auffi de Colléges; l'Evêque & les Chanoines entretenoient quelques écoles auprès de la Cathé

Commissaire de la Marre convient qu'ils étoient féparés de Paris & de fes fauxbourgs par des prés, des marais, & des terres labourées; on peut juger par-là du peu d'étendue des fauxbourgs.

drale pour ceux qui fe deftinoient à la Cléricature. Les Nobles fe piquoient d'ignorance, & souvent ne favoient pas figner leur nom; ils vivoient fur leurs terres; & s'ils étoient obligés de paffer trois ou quatre jours à la Ville, ils affectoient de paroître toujours bortés, pour qu'on ne les prît pas pour des Vilains. Dix hommes fuffifoient pour la perception des impôts; il n'y avoit que deux portes : & fous Louis-le-gros, les droits de la porte du Nord ne rapportoient que douze (1) francs par an. Les arts

(1) La livre numéraire de France doit fon institution à Charlemagne : ce fut lui qui fit tailler, dans une livre d'argent, 20 pièces qu'on nomma fols, & dans un de ces fols, 12 pièces qu'on nomma deniers; en forte que la livre d'alors, comme celle d'aujourd'hui, étoit compofée de 240 deniers. Les fols & les deniers ont été d'argent fin jufqu'au régne de Philippe I, père de Louis-le-Gros; on y mêla un tiers de cuivre en 1103; moitié, dix ans après; les deux tiers fous Philippe-le-Bel, & les trois quarts fous Philippe de Valois. Cet affoiblissement a été porté au point que 20 fols qui, avant le régne de Philippe I, faifoient une livre réelle d'argent, n'en renferment pas aujourd'hui le tiers d'une once. On prétend que Charlemagne étoit auffi riche avec un million de revenu, que Louis XV avec foixante-douze millions. Vingt-quatre livres de pain blanc coûtoient un denier fous le règne de Charlemagne : ce denier étoit d'argent fin fans alliage. On peut voir, par la valeur qu'il auroit dans ce temps- ci, fi le pain & les autres denrées étoient plus ou moins chères alors qu'à-préfent. Douze

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