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<< dera pour elle, pour ses parens, pour ses amis, << pour ses alliés : elle n'en abusera pas. Qu'elle s'a«dresse directement à vous pour tout ce qu'elle « voudra. »

Le désintéressement inouï qu'elle avoit eu dans la faveur devoit être une assez forte recommandation auprès d'un prince équitable et généreux.

TROISIÈME PARTIE,

DEPUIS LE COMMENCEMENT DU RÈGNE DE LOUIS XV JUSQU'EN 1756.

LIVRE PREMIER.

[1715] PHILIPPE, duc d'Orléans (1), né en 1674, trèscapable de bien gouverner le royaume s'il avoit moins

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(1) Philippe, duc d'Orléans : Fils de Philippe de France, frère unique de Louis XIV. Il porta le titre de duc de Chartres jusqu'à la mort de son père (9 juin 1701); il fit casser le testament de Louis XIV (1715), changea les systèmes de ce monarque, maria sa fille au prince des Asturies, qui régna un moment en Espagne après l'abdication de Philippe v, etc. Le Régent acheta, pour la somme de deux millions, le beau diamant qui porte son nom : il pèse plus de cinq cents grains, est exempt de toute tache, et d'une eau admirable; sa grosseur est celle d'une belle prune de Reine-Claude. Ami des lettres et des arts, Philippe forma dans son palais une riche collection de tableaux, de médailles et de pierres gravées; il dessina de jolies vignettes pour une édition des Amours de Daphnis et Chloé, connue sous le nom d'édition du Régent. Saint-Simon loue son administration en général, mais il peint les désordres de sa vie privée avec des couleurs affreuses : « Il s'accou« tuma, dit-il, à la débauche jusqu'à ne pouvoir s'en passer, et il ne « s'y divertissoit qu'à force de bruit, de tumulte et d'excès: c'est ce « qui le jeta à en faire souvent de si étranges et de si scandaleuses; et « comme il vouloit l'emporter sur tous les débauchés, à mêler dans ses « parties les discours les plus impies, et à trouver un raffinement pré« cieux à faire les débauches les plus inouïes aux jours les plus saints. » Ce portrait, tracé par un ami du Régent, explique l'élévation et la fortune singulière de Dubois, l'homme le plus méprisable et le plus dissolu de cette époque. En même temps Saint-Simon représente le Régent comme un prince superstitieux, qui cherchoit à voir le diable. « Un « cònsulta, ajoute-t-il, des verres d'eau devant lui, sur le présent et « sur l'avenir.» ( Voyez les Mémoires de la Régence, et ceux de SaintSimon.)

aimé les plaisirs et les nouveautés, étoit devenu suspect à Louis XIV depuis ses intrigues en Espagne. Les bruits calomnieux répandus au sujet de tant de malheurs qui réduisoient la branche royale à un foible rejeton, avoient fortifié les préventions contre sa personne (1). Aussi le testament de Louis ne lui étoit-il point favorable : il établissoit un conseil de régence, où le duc d'Orléans ne devoit avoir que la voix prépondérante; il donnoit au duc du Maine (2), prince légitimé, le commandement absolu des troupes de la maison du Roi, pour opposer la force aux entreprises de l'ambition. Un tel partage de l'autorité n'auroit servi qu'à exciter des troubles dans l'Etat.

Le secret du testament étoit inconnu; Philippe n'en

(1) « Les horreurs qui ne peuvent plus se différer d'être racontées, << dit Saint-Simon, glacent ma main : je les supprimerois, si la vérité << due si entièrement à ce qu'on écrit, si d'autres horreurs qui ont ren« chéri encore sur les premières s'il est possible, si la publicité qui en a « retenti dans toute l'Europe, si les suites importantes auxquelles elles << ont donné lieu, ne me forçoient de les exposer, comme faisant partie « intégrante et des plus considérables de ce qui s'est passé sous mes « yeux. » — (2) Duc du Maine : Louis-Auguste de Bourbon, prince de Dombes, duc du Maine, fils naturel de Louis XIV et de madame de Montespan, né le 30 mars 1670, légitimé le 29 décembre 1673, mort le 14 mai 1736. Il avoit épousé, le 19 mars 1692, Louise-Bénédicte de Bourbon, petite-fille du grand Condé, célèbre par son esprit, par ses intrigues, et par sa cour de Sceaux. (Voyez les Mémoires de madame de Staal, qui font partie de cette Collection). Madame de Maintenon fit imprimer, en 1677, les OEuvres d'un jeune enfant qui n'a pas encore sept ans. Ce n'étoit qu'un recueil de thêmes du duc du Maine, qui passoit alors pour un prodige, et qui ne fut depuis qu'un homme ordinaire. Louis XIV le fit colonel général des Suisses, grand-maître de l'artillerie, etc. Il lui donna tous les honneurs des princes du sang, et l'appela même en 1714 à la succession à la couronne. Mais le Régent fit annuler cette disposition : il lui enleva les prérogatives des princes du sang (1716), et la préséance sur les pairs (1718). Le duc du Maine cut pour fils le comte d'Eu, mort sans postérité.

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jugeoit que par conjecture: mais dès que le monarque eut expiré, il prit, en homme de tête, une résolution décisive. Il se rendit au parlement avec les princes et les pairs; il harangua l'assemblée; il se montra persuadé que ses droits en qualité de premier prince du sang, et même la volonté du feu Roi, lui assuroient la régence; il demanda qu'après la lecture du testament on délibérât d'abord sur le premier de ces titres. << Mais, à quelque titre que j'aie droit d'aspirer à la régence, dit-il, j'ose vous assurer, messieurs, que je la mériterai par mon zèle pour le service du Roi, <«<et par mon amour pour le bien public, surtout << étant aidé par vos conseils, et par vos sages remon<< trances. Je vous les demande par avance, en pro<< testant dans cette auguste assemblée que je n'au<< rai d'autre dessein que de soulager les peuples, de « rétablir le bon ordre dans les finances, de retran«< cher les dépenses superflues, d'entretenir la paix <«<au dedans et au dehors du royaume, de rétablir << surtout l'union et la tranquillité de l'Eglise, de tra<< vailler enfin, avec toute l'application qui me sera possible, à tout ce qui peut rendre un Etat heu

«reux. >>

Ce discours flatteur fut d'autant plus efficace, que le parlement avoit eu moins d'autorité sous le dernier règne. Les volontés testamentaires de Louis XIV parurent ensevelies dans sa tombe; et comme le duc du Maine, soit timidité, soit prudence, ne fit aucune opposition, le duc d'Orléans obtint, par les arrêts du 2 septembre, tout ce qu'il voulut. Il s'obligeoit à suivre la pluralité des voix dans le conseil de régence; il se réservoit seulement la distribution des charges,

des emplois, des grâces, des bénéfices. « Je ne veux « être indépendant que pour faire le bien, avoit-il

dit; je consens à être lié tant qu'on voudra pour << faire le mal. » On applaudit à ces belles paroles, on les consigna dans les registres : elles auroient dû se graver dans l'ame du Régent.

Ses talens supérieurs et ses qualités aimables se développèrent avec plus d'éclat lorsque, dépositaire de la puissance royale, il se livra au désir de mériter les suffrages de la nation. Toujours trop ardent pour la volupté, il ne le fut guère moins pour le travail; son génie saisit avidement de grands projets, inspirés par l'amour du bien public; et le début de sa régence auroit été un présage certain du bonheur de la monarchie, si l'expérience de tous les siècles n'avoit appris à se défier des commencemens, lorsqu'ils ne sont pas fondés sur des principes invariables. L'ivresse du pouvoir, les prestiges des passions ont égaré tant de princes, et même des princes long-temps vertueux !

Un des premiers soins du Régent, et des plus dignes de son caractère, fut d'aller à Saint-Cyr visiter madame de Maintenon, qui s'y étoit retirée pour le reste de ses jours. Il la traita comme le méritoit une femme aussi respectable par sa conduite que par le rang qu'elle avoit eu auprès de Louis XIV. Leur conversation, qu'elle écrivit sur-le-champ, doit intéresser les ames nobles et sensibles.

Le prince, en lui témoignant la plus grande considération, sans lui laisser même le temps de le remercier: « Je ne fais que mon devoir, dit-il; vous savez «< ce qui m'a été prescrit. » Elle répondit qu'elle voyoit avec plaisir la marque de respect qu'il donnoit

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