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qu'on demandait de lui; dans un plaid où furent convoqués les leudes et les évêques de Neustrie et d'Austrasie, il fit un partage du royaume; tous les leudes jurèrent de maintenir ce partage. La Bourgogne et la Neustrie furent promises à Clovis qui venait de naître, tandis que l'Austrasie restait à Sigebert. Ce partage fut bientôt suivi d'un plaid plus solennel encore. La pensée de cette seconde assemblée fut inspirée à Dagobert par les remords qui l'agitaient. A mesure que les désordres de sa vie allaient croissant, le pressentiment d'une mort prématurée le troublait. Il pensa à racheter par de pieuses libéralités les fautes de sa vie, et voulut qu'après sa mort on fît en son nom des offrandes expiatrices pour le repos de son âme.

Le plaid qu'il tint pour préparer les esprits à l'exécution de ses volontés eut lieu à Guarches, le 23 mai 636. On n'avait pas encore vu d'assemblée aussi magnifique. Les évêques et les leudes réunis, les fils du roi présents, Dagobert au milieu d'eux, assis sur un trône d'or, œuvre de saint Éloi, couvrit sa tête de la couronne royale, et, d'un ton qui offrait le mélange de l'autorité et de la prière, comme un roi qui commande et comme un père qui lègue ses dernières volontés, il prononça un discours dans lequel il rappelait « la fragilité de la vie, l'inévitable jugement de Dieu, la « nécessité de désarmer sa justice, les souffrances des pauvres, « le dénûment des églises, les nécessités des saints, les miséri«< cordes du ciel promises à ceux qui y subvenaient, enfin ses «< erreurs et ses fautes, le désir qu'il éprouvait de les expier, l'espoir qu'il avait d'en soulager le fardeau en consacrant à de << saintes œuvres tous les domaines privés qu'il avait acquis. »>

Cette espèce d'homélie fut écoutée avec un respect profond, car elle s'accordait avec les idées du temps, où le fond de barbarie des mœurs empêchait de saisir l'essence du christianisme, et où trop souvent les grands, méconnaissant le véritable esprit de la charité et de l'aumône, pensaient moins à plaire à Dieu et à soulager

leurs frères, qu'à racheter leurs fautes par des dons pieux, sans songer à réformer leur propre cœur.

Aussi la parole de Dagobert excita-t-elle l'admiration. On écouta en silence la lecture qu'il fit faire à haute voix de son testament; et quand, après cette lecture, le roi reprit la parole en conjurant ses fils et ses leudes d'en protéger l'exécution, chacun aurait cru commettre un sacrilége s'il s'y fût refusé. On prêta un serment solennel, le roi y fit apposer le sceau de chaque royaume, et ordonna qu'il en serait déposé quatre copies, une à son trésor, et trois aux cathédrales de Metz, de Lyon et de Paris.

Six mois à peine étaient écoulés depuis cette cérémonie, qu'une maladie subite surprit Dagobert dans sa maison d'Épinay. Il se fit porter dans la basilique de Saint-Denis; puis, voyant que tout était inutile et que son heure était venue, il fit venir Éga, maire du palais de Neustrie : « Voici que je vais cesser d'être roi, lui « dit-il; prends soin de mon fils Clovis, de ma femme Nanthilde. « Je les confie à ta sagesse et à ta fidélité; enseigne à mon jeune << fils comment il devra régner, afin qu'il le fasse pour le bien des << peuples. >>

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Ayant reçu le serment d'Éga, il fit appeler ses leudes, et leur dit : « Mon jour est proche, souvenez-vous des droits de mon fils; « souvenez-vous de sa mère; jurez tous devant moi que vous obéi<< rez à Clovis comme vous m'avez obéi. »

RÉGENCE DE NANTHILDE.

Dagobert mourut, et l'on vit commencer à sa mort, par une double régence en Austrasie et en Neustrie, l'époque la plus paisible de ces deux royaumes, près de vingt-deux années passées sans trouble. En Austrasie, ce bonheur fut l'ouvrage de

Pepin de Landen et des vertus de Sigebert. En Neustrie on le dut à deux femmes, Nanthilde et Bathilde, qui surent faire du règne d'un prince nul et presque imbécile, une époque de paix et de justice.

Le premier acte de l'administration de Nanthilde fut relatif au partage que les leudes des trois royaumes avaient promis de respecter, mais dans lequel il n'avait pas été fait mention du trésor de Dagobert. Pepin de Landen, maire d'Austrasie ne crut pas devoir laisser à Clovis le trésor entier, et députa vers Nanthilde pour en revendiquer la moitié au nom de Sigebert.

La reine eut la prudence de ne pas prendre sur elle cette détermination, car il fallait d'une part ménager les Austrasiens, et de l'autre ne rien faire que les leudes de Neustrie pussent lui reprocher comme contraire aux intérêts de Clovis; elle assembla un plaid, qui se tint à Compiègne, et auquel on donna la même solennité qu'aux deux derniers plaids tenus par Dagobert. Chunibert et Pepin y assistaient pour le roi d'Austrasie, et il y fut décidé que les richesses qui formaient le trésor de Dagobert seraient divisées en trois parts: l'une pour le roi d'Austrasie, l'autre pour le roi de Neustrie, et la troisième pour la reine, mère de Clovis1. L'administration de Nanthilde ne trouva pas d'opposition parmi les leudes que l'habileté d'Éga savait maintenir; la discrétion, le tact et la douceur distinguaient ce maire, heureusement placé pour aider la régence de Nanthilde; mais Nanthilde eut la douleur de perdre cet appui. Éga mourut; sentant approcher sa dernière heure, il voulut assurer la mairie à son gendre Hermanfrield, mais celui-ci perdit sa cause par sa violence. Dans un plaid assemblé à Riez, il tua le comte Ænulf, un de ses compétiteurs; ce meurtre rompit brusquement le plaid, car les leudes prirent les armes, poursuivirent le meurtrier, pillèrent ses domaines,

1 Frédégaire, page 225.

massacrèrent ses partisans, et le forcèrent à chercher un asile dans la basilique de Reims.

Éga, sur le lit où il languissait, apprit avec douleur l'emportement de son gendre et le désordre qui en était la suite; mais dès qu'il eut fermé les yeux', les leudes, réunis précipitamment, firent un choix plus heureux qu'on n'avait dû l'attendre des conjonctures dans lesquelles ils s'assemblaient; leurs suffrages, presque unanimes, se réunirent sur le comte Archinoald, de la famille de la reine Bertrude, aïeule du roi, et d'un caractère tel, qu il savait se concilier l'amour et la confiance de tous ceux qui l'approchaient. A la prudence et à l'habileté de son prédécesseur, il joignait une grande bonté, un caractère affectueux, une modestie pleine de charme; il accepta les fonctions de maire avec la ferme volonté de les remplir toujours suivant sa conscience, en sorte que jamais des vues intéressées ou ambitieuses ne le détournassent des mesures d'équité, de sagesse ou de politique utiles au roi et à l'État2.

Cependant la Bourgogne et la Neustrie, réunies sous le gouvernement de Clovis, étaient régies par des lois différentes, et prétendaient former des royaumes à part. La Bourgogne avait fait partie autrefois du lot de Gontran ; les leudes se refusèrent à obéir au nouveau maire de Neustrie; ils alléguaient que le serment qui les avait soumis à l'autorité d'Éga, ne les obligeait point à l'égard de son successeur, et que, s'ils demeuraient fidèles à la reine et à son fils, ils voulaient au moins qu'elle leur donnât un maire pris parmi eux.

La prudence de Nanthilde triompha de cette difficulté ; de concert avec Archinoald, elle fit choix du comte de Flaochat, leude de

1 En 640.

2 Voici le témoignage de Frédégaire, contemporain: « Il aima tellement la paix, qu'il devint agréable à Dieu; il était sage, mais surtout d'une extrême bonté, ne » s'enrichit que modérément, et fut chéri de tout le monde. »>

Bourgogne, qu'elle connaissait habile, actif, fidèle dans son dévouement, et dont elle s'assura l'amitié, en lui donnant en mariage sa propre nièce Ragnoberte; puis elle écrivit aux évêques, parla aux leudes, et réunit à Orléans l'assemblée des leudes de Bourgogne, qui donnèrent leurs voix à Flaochat. La division se mit entre le nouveau maire et un leude du nom de Villebald; ils en vinrent aux mains: Villebald fut tué, mais Flaochat ne lui survécut que quinze jours. On ne réélut point de maire, et l'autorité resta sans partage à Archinoald.

Nanthilde, dont l'administration prudente n'avait été troublée que par ces deux événements, la courte révolte d'Hermanfrield et l'inimitié de Villebald, ne vit ni le triomphe ni la mort de Flaochat; elle venait d'être enlevée par une courte maladie, dans un temps où le caractère et la jeunesse du roi auraient encore demandé toutes ses lumières.

Mais une autre femme vint prêter à Clovis l'appui de ses talents et de ses vertus.

SAINTE BATHILDE, femme de CLOVIS II.

INMICHILDE, femme de SIGEBERT II.

La reine Bathilde est une de ces âmes d'élite dont la vertu repose au milieu des choses douloureuses que l'histoire oblige à découvrir. Comme Radegonde, elle a été canonisée; comme cette reine, elle a fini dans un monastère une vie commencée dans la

' Frédégaire.

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