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Le tzaréwitch est torturé plusieurs fois. On ne se contente plus du knout, on sort des tenailles d'un coffre recouvert d'une peau d'ours. On ne s'en tient pas aux actes, on recherche les paroles, et qui dans cette époque de réformes, de transition, ne s'est pas permis d'exprimer un blâme ou un doute? On découvre qu' Eudoxie, cloîtréé sous le nom d'Hélène, la femme délaissée de Pierre, a eu une intrigue avec Gléboff, un colonel de la garde. Ce gentilhomme n'avoue rien malgré les tourments les plus atroces; on l'empale, le tzar va l'insulter à son supplice, et lui, il lui crache à la figure. Kikine, ancien favori du tzar, deux fois en exil, conseiller de l'amirauté, conseiller d'Alexis, expire d'une mort lente et cruelle. Le tzar lui fait grâce, en lui faisant couper la tête Abraham Lapoukhine est exécuté, on arrache les narines et la langue à Stcherbatoff et l'envoie en Sibérie, on fait grâce à Basile Dolgoroukoff en l'exilant. Eudoxie-Hélène est envoyée à Ladoga dans un couvent naissant, la tzarewna Marie Alexiewna est séquestrée aussi.

La princesse Troiékouroff a le knout; Barbe, la veuve de Golovine, à la bastonnade et est réléguée dans un couvent...

Le tribunal, tout esclave qu'il est, ose rappeler au tzar sa promesse de grâce, mais Pierre assure ne l'avoir donnée qu'à condition que

son fils dirait tout; or il a caché la vérité, comme si l'on pouvait faire un crime à un accusé de cacher quelque chose. Il prononce alors la peine de mort contre Alexis, qui mourut le 26 juin 1718.

A force de vouloir être grand, on devient infâme!

Du sublime au criminel il n'y a qu'un pas! L'histoire contient tont en elle, les exemples les plus sublimes, comme les plus atroces. Il faut savoir choisir entre eux.

Constantin a fait exécuter son fils et a bâti Constantinople; mais il aurait dû suffire au tzar de n'imiter le fondateur du Bas-Empire que dans ce second point. Brutus a condamné ses neveux, mais Brutus était un républicain, et dans une monarchie l'héritage décide de la succession au trône. Philippe II. a fait exécuter son fils, qui avait dérangé son cerveau en tombant sur l'escalier; mais Philippe II. n'est pas un modèle à citer aux souverains. Iwan le terrible a tué son fils; mais ce fut un monstre et Pierre lui ressembla en confirmant l'arrêt contre Alexis. Le crime s'attribue à celui qui en profite, et Catherine et Menchikoff ont trop profité de l'exécution pour ne pas avoir influencé l'esprit du tzar. Elle a bien parlé en faveur du couvent, mais ce fut quand il était trop tard.

L'histoire disculpe aujourd'hui Pierre d'avoir été le bourreau de son fils, après en avoir été le juge. Si une potion forte a été préparée par un pharmacien allemand, par ordre du feldmaréchal Weide et remise au tzar, Alexis a refusé de la boire et il serait mort des suites de la torture. Or de tous les assassinats le pire c'est la torture.

Pierre craignait qu' Alexis ne détruisît son œuvre, la civilisation. Et aujourd'hui, après un siècle et demi, nous nous demandons où est cette civilisation? Le marchand russe déclare qu'il n'a pas conscience de flouer le prêtre qui prend du mort et du vivant" (un franc par enterrement et par baptême); le paysan est aussi ignorant qu'il l'a été et le noble n'a pas renoncé à vivre de la sueur du serf. Cette civilisation ne valait donc pas tant d'assassinats judiciaires, et d'ailleurs la renonciation d'Alexis au trône étant publique et confirmée par les états, ses partisans n'étant pas aussi nombreux que ceux de Pierre, il n'aurait pas pu ressaisir le pouvoir. Le tigre aime le sang, mais non celui de ses petits.

Aujourd'hui, dit-on, un tel crime est impossible. La mort de Pierre III., de Paul I., de Constantin ont pourtant eu lieu depuis, et tout sujet russe accusé de désobéissance peut être sûr d'être condamné, au moins par le tribunal secret!

Il y eut une justice même pour Alexis; son fils Pierre régna assez pour rappeler sa grande mère, pour combler un Lapoukhine (Etienne) de ses faveurs et pour exiler Menchikoff!

Le jour de l'anniversaise de Poltava, le corps d'Alexis fut transporté du talus Troubetzkoy à l'église de la Trinité par quatre soldats des gardes, et le 30, le cerceuil fut déposé à la cathédrale, à côté de sa femme.

Le résident autrichien Pleyer dut quitter son poste pour avoir rapporté à sa cour qu'on avait coupé la tête au tzaréwitch. Sa depêche fut ouverte par le comte Golovkine, et Wesselowsky dut aussi quitter Vienne. Il s'ensuivit du refroidissement entre les deux cours.

Le résident hollandais van Ber rapporta aux Etats-Généraux qu'on avait ouvert les veines à Alexis. Le gouvernement russe lui fit toutes sortes d'avanies, et le prince Menchikoff informa les cours étrangères de ce que le tzaréwitch était mort criminel.

CHAPITRE XVI.

LA PAIX DE NYSTADT.

Charles XII. était entré dans les plans du Hanovrien Görz: de se défaire de l'ennemi le plus puissant, le tzar, et de se dédommager des pertes sur le Danemark. En conséquence, l'île d'Aland fut élue comme lieu de réunion pour le congrès, et Pierre I. nomma ses plénipotentiaires le général Bruce et le comte Ostermann. On était convenu presque de tous les points, lorsque Charles XII. fut frappé d'un boulet au siége de Friedrichshall, en Norvège (Nov. 30, 1717). Pierre, en recevant cette nouvelle, pleura son rival et s'écria: Frère Charles, comme je te plains!" La soeur cadette de Charles, Ulrique Eléonore, la femme du prince héréditaire de Hesse, lui succéda sur le trône et déclara vouloir continuer les négociations. Pierre expédia Lefort à Stockholm, mais la reine tardait d'envoyer

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