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DES

GIRONDINS

LIVRE DIX-SEPTIÈME.

I.

La cour tremblait à l'approche des Marseillais : elle n'avait pour se défendre que le fantôme de la constitution dans l'Assemblée et que l'épée de La Fayette sur les frontières. Les orateurs constitutionnels Vaublanc, Ramond, Girardin, Becquet luttaient d'éloquence mais non d'influence avec les orateurs de la Gironde; ils défendaient lettre à lettre le code impuissant que la nation venait de jurer; ils montraient dans cette crise le plus beau et le plus méritoire des courages, le courage sans espoir. La Fayette, de son côté, défiait avec sa généreuse in

trépidité les Jacobins dans les proclamations qu'il adressait à son armée et dans les lettres qu'il écrivait à l'Assemblée; mais quand un peuple est sous les armes, il écoute mal les longues phrases: un mot et un geste, voilà l'éloquence du général. La Fayette prenait le ton d'un dictateur sans en avoir la force. Ce rôle n'est accepté qu'après des victoires. Aussi les dénonciations courageuses contre la faction des Jacobins n'excitèrent que de rares applaudissements dans l'Assemblée et les sourires des Girondins; elles furent seulement un avertissement pour ces partis ils sentirent qu'il fallait se hâter pour devancer La Fayette. L'insurrection fut résolue; Girondins, Jacobins, Cordeliers s'entendirent pour la rendre sinon décisive au moins significative et terrible contre la cour.

II.

A peine les bandes de Santerre et de Danton étaient-elles rentrées dans leurs faubourgs, que déjà l'indignation générale soulevait l'opinion du centre de Paris. La garde nationale, si pusillanime la veille, la bourgeoisie, si indifférente, l'Assemblée elle-même, si passive ou si complice avant l'événement, n'avaient qu'un cri contre les attentats du peuple, contre la duplicité de Péthion, contre les offenses. impunies à la majesté, à la liberté, à la personne du

souverain constitutionnel. Toute la journée du 24, les cours, le jardin, les vestibules des Tuileries furent remplis d'une population émue et consternée, qui, par son attitude et par ses paroles, semblait vouloir venger la royauté des outrages dont on venait de l'abreuver. On se montrait avec horreur, aux guichets, aux grilles, aux fenêtres du château, les stigmates de l'insurrection. On se demandait où s'arrêterait une démocratie qui traitait ainsi les pouvoirs constitués. On se racontait les larmes de la reine, les frayeurs des enfants, le dévouement surnaturel de madame Élisabeth, la dignité intrépide de Louis XVI. Ce prince n'avait jamais manifesté et ne manifesta jamais, depuis, plus de magnanimité. L'excès de l'insulte avait découvert en lui l'héroïsme de la résignation. Jusque-là on avait douté de son courage. Ce courage se trouva grand. Mais sa fermeté était modeste et, pour ainsi dire, timide comme son caractère. Il fallait que des circonstances extrêmes la relevassent malgré lui. Ce prince, pendant cinq heures de supplice, avait vu sans pâlir les piques et les sabres de quarante mille fédérés passer à quelques doigts de sa poitrine. Il avait déployé dans cette lente revue de la sédition plus d'énergie et couru plus de périls qu'il n'en faut à un général pour gagner dix batailles. Le peuple de Paris le sentait. Pour la première fois il passait de l'estime et de la compassion jusqu'à l'admiration

pour le roi. De toutes parts des voix s'élevaient demandant à le venger.

III.

Plus de vingt mille citoyens se portèrent spontanément chez des officiers publics pour y signer une pétition qui demandait justice de ces crimes. L'administration du département décida qu'il y avait lieu de poursuivre les auteurs des désordres. L'Assemblée décréta qu'à l'avenir les rassemblements armés, sous prétexte de pétition, seraient dispersés par la force. Les Jacobins et les Girondins réunis tremblèrent, se turent, ou se bornèrent à se réjouir, dans le secret de leurs conciliabules, de l'avilissement du trône. La sensibilité s'éteignit dans le cœur même des femmes. L'esprit de parti rendit une fois cruel un cœur d'épouse et de mère devant le supplice d'une mère et d'une épouse outragée. « Que j'aurais voulu voir sa longue humiliation et >> combien son orgueil a dû souffrir! » s'écria madame Roland en parlant de Marie-Antoinette. Ce mot était un crime de la politique contre la nature. Madame Roland le pleura plus tard; elle en comprit la cruauté le jour où des femmes féroces firent leur joie de son martyre et battirent des mains devant la charrette qui la conduisait à l'échafaud.

Péthion publia une justification de sa conduite.

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