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sonnablement consommer pendant la durée de ce même travail.

Ces idées ont fait naître de graves discussions au sein de votre société.

Plusieurs membres ont fait ressortir les difficultés qui s'opposent à la réalisation pratique des théories qui vous ont été soumises jusqu'à ce jour dans le but de remplacer le salaire par l'association.

La fixation d'un minimum de salaire n'est autre chose qu'une intervention de l'état dans les conventions particulières entre le chef d'industrie et les ouvriers; ce serait une grande atteinte portée à la liberté, et par suite au développement naturel des conditions auxquelles se rattachent la prospérité des affaires publiques et privées.

L'appréciation des besoins de l'homme, qui sont si variables et qui dépendent de ses habitudes, de sa santé, du nombre de ses enfants, ne peut servir de base unique à la fixation du salaire, comme l'entend M. Lelong, lorsqu'il demande qu'une disposition législative assure à l'ouvrier que, toutes les fois que son travail sera accepté, il lui sera accordé un salaire qui le mette à même de se procurer les choses nécessaires pour vivre pendant l'exécution de son ouvrage. Aujourd'hui le salaire payé aux ouvriers par les chefs d'industrie, si faible qu'il soit, résulte non pas uniquement de la connaissance des besoins de l'ouvrier, mais encore de plusieurs autres considérations de la plus grande importance, telles que le degré d'aptitude et d'activité

de cet ouvrier, le rapport à établir entre le prix de vente des marchandises et le prix de revient, dont le salaire de l'ouvrier est un élément.

On voit par là que si l'on adoptait la base unique proposée par M. Lelong dans les grands centres de population, où les besoins de l'ouvrier sont plus dispendieux qu'ailleurs, le minimum actuel du salaire de l'ouvrier inhabile devrait être considérablement augmenté, d'où il suit que cet ouvrier ne trouverait plus de travail. D'ailleurs, l'industriel pourrait être conduit à fermer ses ateliers, n'ayant pas l'espoir de vendre ses nouvelles marchandises, en concurrence avec celles fabriquées par d'autres au moyen d'un salaire moins élevé. Ainsi, les ouvriers au secours desquels on croit venir en fixant un minimum de salaire conforme à leurs besoins, se trouveraient privés complètement de travail, et il en résulterait une crise terrible qui pourrait produire les plus fâcheux effets.

On a objecté que si pour un temps l'ouvrier se trouvait privé de son travail habituel, il ne tarderait pas à se créer une autre position et à trouver d'autres moyens d'existence.

Mais comment les ouvriers qui seraient privés de leur travail habituel par suite de la mesure proposée, pourraient-ils trouver à s'occuper ailleurs de manière à gagner assez pour vivre, lorsqu'il est constant que ces mêmes ouvriers, aujourd'hui qu'ils ne gagnent pas assez dans l'industrie, cherchent vainement ailleurs un salaire proportionné à leurs besoins.

Entièrement privés de travail, ils se trouveraient forcés d'avoir recours à la charité, non pas seulement comme aujourd'hui pour la différence entre ce qu'ils gagnent et ce qui leur est nécessaire, mais pour la totalité des dépenses qu'ils auraient à faire en vivant sans travailler.

Il faudrait donc, avant d'appliquer la règle du minimum de salaire, avoir su donner naissance à de nouvelles branches d'industrie et de travaux particuliers en rapport convenable avec les besoins de l'ouvrier; il faudrait commencer par trouver les moyens de créer des ressources inconnues jusqu'ici, afin de pouvoir les offrir à l'ouvrier qui ne gagne pas assez pour vivre.

Mais quels sont ces moyens, et comment les trouver? voilà le problème à résoudre.

M. Bresson, en rendant compte d'une brochure publiée par M. Patron, sur la boulangerie de Rouen, est entré dans de longs développements, et a traité la question de la boulangerie en France d'une manière générale. Il a pensé qu'il fallait réglementer entièrement cette profession; qu'on ne pouvait la laisser libre dans les villes populeuses, sans exposer les habitants aux plus grands dangers; M. Patron avait émis la même opinion dans sa brochure; quant aux communes rurales non industrielles de moins de 3,000 habitants, M. Bresson ne voit pas le même danger; il préfère la libre concurrence dans ces petites localités.

La boulangerie devant être réglementée dans les

grandes villes, il est évident, dit M. Bresson, que la taxe du prix du pain est indispensable; qu'il en est de même du dépôt de garantie et d'approvisionnement des boulangers; que le nombre des fournées qu'ils cuisent doit être déterminé; que le boulanger ne peut cesser de travailler sans avoir averti l'autorité en temps suffisant à l'avance, pour que celle-ci puisse se mettre en mesure de remplir le vide qui se fera par cette cessation de travail; que le syndicat, lien naturel entre tous les boulangers et l'autorité municipale, doit être maintenu; enfin, que le poids et la qualité du pain doivent être sous la surveillance de l'autorité.

M. Bresson examine successivement toutes ces questions, et termine son travail en formulant un projet de loi qui résume en quelque sorte les opinions qu'il a développées.

Votre Société a discuté ce projet de loi article par article, et l'a modifié; la durée de cette séance publique ne me permettrait pas d'entrer dans ces discussions; qu'il me suffise de dire qu'elles ont rempli un très-grand nombre de vos séances particulières.

Avant de terminer ce rapport, je dois vous rappeler, Messieurs, que vous avez été heureux d'accueillir au milieu de vous MM. Cavelier-Joly et Sourdois, MM. Ernest Dossier et Lefort jeune, auxquels vous avez conféré le titre de membres résidants.

Vous avez admis aussi au nombre de vos membres

correspondants, M. Raymond, de Bordeaux, avocat à Evreux, et M. Lefebvre, professeur au collége de Dieppe.

Mais vous avez à déplorer la perte d'un membre résidant, qui, depuis son admission parmi vous, s'était distingué par une grande activité.

M. Morin, bachelier ès-lettres et ès-sciences, ingénieur des ponts et chaussées, né à Rouen en 1791, est mort dans la même ville au mois de décembre dernier, emportant les regrets de ses collègues.

Après avoir fait ses études au collége de Rouen, il était entré à l'âge de seize ans à l'Ecole polytechnique. Nommé ingénieur des ponts et chaussées, il fut à même, dans le cours de sa carrière, d'étudier les diverses régions de la France, comme le prouvent ses nombreuses publications.

Il fut ingénieur à Saint-Brieux, Nevers, Vesoul, Saint-Etienne, Mulhouse, etc., etc. Il était membre de plusieurs sociétés savantes.

La Société industrielle de Mulhouse lui avait décerné, dans sa séance du 28 mai 1830, une médaille pour ses travaux statistiques; et les bulletins de cette société contiennent plusieurs mémoires et rapports dus à celui que nous regrettons aujourd'hui.

Enfin plusieurs ouvrages de M. Morin vous ont été récemment adressés par sa veuve.

Vous voyez, Messieurs, combien notre confrère est digne de nos regrets, et combien il eût rendu de services à la Société d'Emulation de Rouen, si la mort

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