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maritime et commercial au moyen-âge. L'une de ses plus anciennes applications est le bail à cheptel, appelé alors avec grande raison commande de bestiaux. Un propriétaire donne un troupeau à un berger, qui le soigne et le fait pâturer, et ils en partagent les produits c'est le capital associé au travail, c'est la commandite en miniature. De là, le contrat de pacotille, qui est grandement en usage à cette même époque. On confiait des marchandises à un marin ou à un voyageur, afin de les vendre ou d'en faire un échange; au retour, on partageait les gains. Celui qui donniat la marchandise n'était pas responsable, au-delà de sa mise, des engagements pris par le voyageur. Donnez un capital en numéraire au licu de marchandise, et vous avez la commandite.

C'est surtout en Italie que ce contrat joue le plus grand rôle. Dès le X ou le XI° siècle, les Florentins, sous le nom de Lombards, se répandent en Europe, y exploitent tout le commerce, et font élever dans leur patrie, avec le fruit de leurs spéculations, ces magnifiques palais, chefs-d'œuvre de l'art, et éclipsent les têtes couronnées de leur faste et de leur opulence. Ce sont ces mêmes hommes qui se forment en sociétés pour affermer les impôts des états du pape, et les immenses tributs que la cour de Rome levait par toute la chrétienté.

Les compagnies de Lombards tenaient dans leurs mains tout le crédit des états d'Occident; elles prêtaient aux princes, et enlaçaient dans le réseau de

leurs prêts sur gages, les nobles et les monastères. Aussi, les rois de France et les barons, lorsqu'ils étaient trop obérés dans leurs finances, falsifiaient la monnaie, ou, sous prétexte d'usure, proscrivaient les Lombards et confisquaient leurs propres biens. L'église, de son côté, leur lançait l'anathème et les repoussait comme un fléau. Témoin l'ordonnance de saint Louis de 1268, et celle de Philippe-le-Bel de 1311.

C'est donc à l'aide du levier puissant de l'association que les Italiens se sont emparés durant des siècles du commerce de l'Europe, et ont édifié des fortunes colossales qui valaient à elles seules des royaumes..

Suivons, Messieurs, le contrat de société dans toutes ses phases, et nous verrons que le mode de diviser le capital social par actions n'est pas nouveau. On diffère sur l'époque précise où naquit la société par actions; on en trouve l'origine vers le XII° siècle, dans une compagnic fondée pour l'exploitation de moulins à Toulouse; les parts des sociétaires étaient divisibles et aliénables. Sous le pontificat de Paul IV, en 1555, on voit la ferme des impôts du pape divisée

en actions.

Au commencement du XVIe siècle, les découvertes successives des grands navigateurs dans les deux Indes ouvraient au commerce d'Europe une ère nouvelle. De grandes sociétés se forment, l'argent circule, la richesse mobilière acquiert de l'importance;

les rois donnent à la noblesse des lettres-patentes pour lui permettre le négoce; alors on ne déroge plus pour exercer cette profession. Le préjugé s'efface. On voit des négociants s'associer pour fonder des colonies; le Canada, Cayenne, Madagascar, le Bastion de France, Pondichery sont occupés, abandonnés, repris tour à tour par des compagnies françaises. Richelieu, Colbert, encouragent de tous leurs efforts les associations. Si nous n'avons pas été aussi heureux que nos voisins des Hollandais et les Anglais, il faut s'en prendre plus à un concours fatal de circonstances qu'à l'idée qui était bonne en elle-même. Eh bien! toutes ces sociétés étaient fondées par actions, jusqu'à la trop fameuse banque de Law, cette entreprise gigantesque qui avait absorbé dans une seule main le privilége de la compagnie des Indes et la ferme des impôts, ce qui faisait dire à Voltaire, que toutes les finances de l'état dépendaient d'une compagnie de commerce. On sait le reste; le système croula sous sa propre exagération et ruina la France.

La révolution engloutit les compagnies dans le cataclysme social; mais leur histoire, comme vous le voyez, a survécu au naufrage du temps, et les législateurs du code de commerce n'ont pas, assurément, manqué de modèles ni de matériaux pour” édifier sur de larges bases le contrat de société. C'est donc à tort que, dans ces derniers temps, on a accusé la loi d'insuffisance sur ce point; elle est aussi complète, aussi prévoyante qu'elle devait l'être, et

suffit aux besoins de l'époque; que si quelques fripons, abusant audacieusement de la commandite, ont, par des manoeuvres frauduleuses, volé la fortune de quelques gens trop crédules, et peut-être aussi trop avides de gain, il fallait recourir au code pénal plutôt que de faire un mauvais procès au code de

commerce.

De cet aperçu rapide découle pour nous cet enseignement, Messieurs, que rien n'est stable dans ce monde; que la fortune des peuples comme celle des citoyens, s'élève et s'écroule tour à tour; qu'après plusieurs siècles d'oubli, quand nous croyons bâtir à neuf, nous ne construisons que sur des ruines. • L'homme s'agite et Dieu le mène. Cependant le domaine de la science est sans bornes, et loin de nous décourager, souvenons-nous que le travail, qui est la loi de notre nature, est aussi la source de toute vraie richesse, comme la richesse de la plupart des hommes: que chacun de nous remplisse donc sa mission avec espoir, courage et loyauté.

DU

PROJET DE DÉCRET

SUR LA

RÉFORME DES MONTS-DE-PIÉTÉ

PAR

M. A. POULLAIN,

AVOCAT,

Président de la Société libre d'Emulation de Rouen.

Depuis longtemps de bons esprits avaient signalé des réformes à introduire dans l'organisation et l'administration des Monts-de-Piété. Nous-même, à une autre époque, avons aussi appelé l'attention publique sur certains vices de ces établissements. Le 24 août dernier, le ministre de l'intérieur a pré

La Société d'Émulation de Rouen a décidé, dans sa séance du 1" décembre 1848, que ce travail serait envoyé au ministère et à la chambre des représentants, en temps opportun.

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