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L'appel que l'an dernier, à pareil jour, vous avez fait publiquement à la charité privée en vue de l'institution des crèches, a été entendu. Vous aviez cru ne pas pouvoir mieux employer les 800 fr. provenant du legs du vénérable abbé Gossier, votre bienfaiteur, qu'à un encouragement pour les deux premières crèches qui seraient fondées à Rouen dans les meilleures conditions de durée et d'organisation. Immédiatement la philanthropie de nos compatriotes vous a répondu, et aujourd'hui votre vœu est satisfait. La promptitude qu'on a mise à réaliser cette œuvre ne nous étonne pas. Rouen, quoi que fasse la

centralisation des sciences et des arts, a su conserver à travers les siècles une honorable et intacte individualité. De même tout ce qui touche aux préoccupations morales l'anime toujours d'un pur enthousiasme. Bien des fois elle a pris la première une route féconde ; et son foyer est sans cesse ouvert au savant qui cherche la raison des choses, au manufacturier qui crée ou perfectionne de nouveaux moyens d'action, à l'artiste et au poëte qui jettent sur tout cela la poussière d'or de l'imagination, enfin au philosophe et au philanthrope qui s'efforcent de trouver la vérité dans le bien, le progrès moral dans l'ardente charité!

C'est que lorsque nous avons indiqué ce nouveau progrès à accomplir (la Crèche pour les enfants de l'ouvrier) tout le monde a été frappé des bienfaits de cette institution et a compris que notre compagnie, la Société Industrielle d'Emulation, avait acquis le droit de demander cette satisfaction matérielle et morale pour la famille du travailleur ; c'est qu'on a compris que l'ouvrier est d'autant plus apte aux progrès de son industrie, à l'amélioration de ses instruments, qu'il est plus dégagé des préoccu pations du vivre, des obstacles irritants qui résultent pour lui des mille incidents de la famille. A ce point de vue la crèche devait obtenir l'assentiment de tous. Il ne s'agit plus aujourd'hui que de la propager, de la vulgariser au sein de notre population industrielle, et nous ne faillirons pas à cette tâche.

La visite, que nous avons faite le 2 juin, de la Crèche de Saint-Jean, fondée et administrée par le Comité Maçonnique, et qui est placée faubourg Saint-Sever, rue de la Pie-aux-Anglais, nous a donné lieu de constater que cet établissement a été fondé dans de bonnes conditions d'administration.

Le local est placé dans un endroit aéré, fort salubre; il y a un puits abondant, un jardin relativement vaste, avec de beaux ombrages; un gazon où les enfants pourront jouer au soleil. Intérieurement la maison se compose, au rez-de-chaussée, d'une salle d'attente pour les visiteurs et les réunions de l'administration, d'une cuisine; au premier étage de deux pièces, l'une dans laquelle on reçoit les enfants, l'autre où se trouve la 1" division de la crèche proprement dite, contenant onze berceaux; au second étage se trouve une seconde division de dix berceaux; et, à côté, ce que l'on appelle la pouponnière, endroit destiné à l'alimentation et à la récréation des petits enfants.

Calorifère, poêles, casiers à linge numérotés (un pour chaque berceau), horloge, thermomètre, rien ne manque. Les berceaux sont tous en fer recouverts d'étoffe. En desserrant une vis, les berceuses pourront agir facilement; la pesanteur des lits est assez grande pour qu'ils ne soient pas renversés par maladresse, pas assez pour qu'on ne puisse les déplacer au besoin. Les objets de literie dont chaque berceau est pourvu sont sains, chauds et bien dis

posés. Certainement, sans la crèche, aucun des petits êtres qui doivent y trouver le repos n'aurait jamais joui d'un pareil luxe bien simple et bien raisonnable pourtant, car à qui les jouissances matérielles de la vie seraient-elles justement accordées, si ce n'était à la première innocence, cette vie si pure et si courte ?.....

La crèche, dont le local est loué pour dix ans possède, nous l'avons dit, de bons règlements, qui sont une garantie d'ordre, de méthode, de régularité administrative et de durée.

Ces règlements sont à peu de chose près la reproduction de ceux que l'expérimentation de Paris à

consacrés.

Un comité directeur, nommé au scrutin par la commission de surveillance; une réunion de dames patronesses appelées à surveiller l'intérieur, à recueillir les renseignements, à diriger l'économie domestique; une dame honorable, sous-directrice rétribuée, relevant du comité supérieur et ayant sous ses ordres autant de berceuses qu'il conviendra; tels sont les éléments de l'administration, dont les registres nous ont paru bien établis.

Les dons sont déjà assez considérables pour subvenir au moins pendant un an à toutes les dépenses de la crèche. Quant à l'avenir, le grand nombre de personnes charitables qui l'ont fondée ne laisse aucun doute sur la sécurité de son existence.

Six médecins se répartissent chaque jour la visite

des enfants. Un pharmacien de Saint-Sever livre à la crèche tous les médicaments aux prix qu'ils lui coûtent. La sous-directrice et une berceuse (à tour de rôle ) passent la nuit dans l'établissement. Voilà pour l'organisation.

Quant aux charges qu'elle impose à la mère de famille, c'est tout juste assez pour que l'ouvrière dise qu'elle a contribué pour sa part, conjointement avec la société, à la dépense de son enfant :

Dix centimes par jour et par enfant, et l'obligation de venir l'allaiter aux heures des repas, ou bien, si l'enfant est sevré, de lui garnir le matin son petit panier pour la journée; encore sommes-nous convaincus que la crèche ne se montrera pas rigoureuse sur ce point.

Au moment de notre visite, il y avait cinq enfants âgés de six semaines à vingt mois, deux berceuses, une jeune fille et une jeune femme, mère elle-même de plusieurs enfants. Six nouvelles demandes d'admission étaient formées.

Trois des enfants existants dans la crèche appartenaient au faubourg Saint-Sever; deux au quartier Martainville, un à la rue Saint-Romain. C'étaient les enfants d'ouvriers travaillant au dehors et se conduisant honnêtement, les seules conditions indispensables pour profiter de la crèche.

En effet, on y reçoit les enfants sans acception de religion.

Les jeunes femmes dont la position n'a pu être ré

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