il se borne à quelques renseignements généraux, et, dans ce dernier tas, la partie nouvelle de l'auditoire ne se rend pas bien compte de l'existence de la compagnie, du but qu'elle se propose, de la pensée qui domine ses études et influe sur le choix de ses membres. Nous allons essayer de marcher entre ces deux écueils sans espoir de les éviter. Beaucoup d'hommes remarquables ont été entendus à cette même place qui se trouve aujourd'hui occupée sans être remplie : veuillez les oublier un instant, et ne pas perdre de vue que celui qui a l'honneur de vous adresser la parole, accomplit un devoir impérieux. Cette idée seule a pu lui donner le courage de réclamer votre attention. Au siècle de Louis XIV, la littérature était un but; sous Louis XV, elle devint un moyen; de nos jours, c'est une nécessité. La compagnie qui s'assemble en ce moment, fondée à une époque de transition, dut revêtir, néanmoins, des formes littéraires ; car il est à remarquer que les corps, savants ou non, s'attachent, en général, de préférence, aux idées anciennes, et que, chez eux, surtout, et pendant longtemps, les mots survivent aux choses. Le règne des madrigaux était passé, on le savait bien, mais on n'osait pas dire encore. D'ailleurs il était une gloire qui devait rallier beaucoup d'hommes séparés par les circonstances. Le nom de Corneille fut invoqué, et pas un cœur rouennais n'aurait voulu déserter le drapeau de cette illustre renommée. Des spécialités diverses, ri le vales ailleurs, vinrent s'incliner devant le buste du père du théâtre français, qui apprit la politique en étudiant l'histoire et en pratiquant la morale; qui peignit si bien les grands hommes parce qu'il était grand poëte; qui prêta de si mâles accents à Rome, parce que lui-même il aimait sa patrie. Aussi, fut-il décidé que, tous les ans, l'anniversaire de la naissance du Sophocle moderne serait un jour de fête pour la Société d'Emulation, et, qu'à cette époque, elle rendrait compte au public, aussi bien de ce qu'elle avait fait que de ce qu'elle se proposait de faire. Mais en même temps la compagnie ne s'abusait pas sur la situation : elle comprit que ces démonstrations justes, honorables et approuvées, ne suffisaient pas; que les esprits altérés d'améliorations, avaient besoin d'être guidés; que l'industrie, longtemps stationnaire et né gligée, ouvrait au pays une source de prospérité, et que ses progrès, ses perfectionnements pouvaient seuls amener le bien-être des masses. Pour obéir à cette pensée, elle institua son concours des médailles, qui ajoute nécessairement un grand intérêt à cette solennité. Dans un temps où cette opinion était encore controversée, elle proclama le principe de l'avantage des machines sur le travail manuel; elle démontra que l'homme a une autre mission que d'être employé cnmme simple moteur; que, roi par l'intelligence, c'est à des travaux intellectuels qu'il doit s'appliquer, et qu'à lui seul il appartient de calculer, de réfléchir et d'inventer, pour faire ensuite exécuter ses desseins par les forces nombreuses répandues dans la nature: celle-ci s'est trouvée désormais asservie aux lois d'un maître, habile à en surprendre les secrets comme à en imiter les chefs-d'œuvre. On a vu les bras humains successivement remplacés par les animaux, les chutes d'eau, et enfin par les prodiges de la vapeur. Qui sait quels miracles sont réservés à nos neveux ! Si nous interrogeons le passé pour connaître l'avenir, comparons l'état de la société il y a trois cents ans, avec ce que l'intelligence humaine en a fait aujourd'hui; et, laissant notre imagination franchir le même espace, essayons maintenant d'entrevoir, par prévision, ce qu'elle sera devenue dans trois cents autres années! La pensée se perd dans cet océan de perfectibilité indéfinie; car, ne nous y trompons pas, nous assistons seulement à l'enfance du génie, nous sortons à peine des ténèbres de l'ignorance; et la progression, lente jusqu'à nos jours, va croître désormais avec une rapidité incalculable. Les perfectionnements moraux suivent une marche parallèle aux améliorations matérielles; et, quelles que soient les déclamations répétées à ce sujet, nul ne peut nier que les mœurs ne gagnent réellement. Ces désordres, ces scandales passés autrefois en habitude, sont maintenant des exceptions. Le vice n'ose plus se montrer effrontément; ou, s'il l'essaie, la réprobation publique le frappe à l'instant on ne fait point parade d'immoralité comme en ces temps honteux dont l'his - toire est obligée de souiller ses pages inexorables, pages que nous nous garderons bien de dérouler à vos yeux, parce que, d'une part, vous les connaissez, et que de l'autre nous ne voulons pas vous affliger; mais la philosophie les enregistre et les conserve pour les opposer à ses adversaires, si elle en a, et s'ils tentaient de l'attaquer. Oui, messieurs, nous ne craignons pas de le répéter avec Me de Staël, parce que c'est chez nous une conviction profonde, acquise après un long et sérieux examen: « Nous valons « mieux que nos pères, et nos enfants vaudront « mieux que nous. » Pour suivre ce mouvement du cœur humain et le seconder, la Société d'Émulation récompense, depuis plusieurs années, les œuvres de haute moralité qui viennent à sa connaissance. Nous n'ignorons pas que les bons esprits sont divisés à ce sujet. La vertu, dit-on, fuit le grand jour ; loin de rechercher les éloges et le bruit, elle aime à accomplir ses actes dans la solitude, à semer ses bienfaits dans l'ombre. La modestie est son essence; et, s'il lui faut les applaudissements de la foule, elle n'est plus la vertu, elle devient orgueil et vanité. On cite un malheureux qui, après avoir obtenu le prix Montyon, est descendu, de chute en chute, jusque sur les bancs de la cour d'assises; et lorsque le président, étonné de ce contraste, lui a fait quelques remontrances paternelles, le misérable a eu le cynisme de répondre: «La probité ne pouvait plus me << rien rapporter, alors je me suis fait voleur! » —— Ah! messieurs, ne rendons pas la vertu responsable d'une pareille effronterie! ne la deshéritons pas de sa plus noble couronne ici-bas, l'estime des gens de bien et les larmes des cœurs sensibles! Si, de temps en temps, nous proclamons dans cette enceinte des actes de dévouement, de générosité ou de conduite exemplaire, ce n'est pas pour en récompenser les auteurs, ils n'en ont pas besoin, ils ne demandent rien; c'est pour montrer que, même sur la terre, la vertu est honorée; pour prouver que la Société a les yeux ouverts sur tous ses membres, prête à saluer les bons et à flétrir les méchants; c'est pour activer cette disposition naturelle qui, lorsque l'homme n'est pas aveuglé par les passions, le porte à marcher dans la voie de la droiture et de la vérité; c'est enfin pour amener à les imiter, et pour vous donner à vous-mêmes le plaisir de dire : « Nous en eussions fait autant! Tout-à-l'heure, un de nos confrères va vous raconter la vie d'une jeune fille qui, nous en sommes sûr, obtiendra toutes vos sympathies. En écoutant son histoire, nous étions heureux de penser que nous devions ces douces émotions au vote par lequel la compagnie a élargi son programme ce programme propose maintenant à nos méditations les chefs-d'œuvre de la littérature, les merveilles des arts, les prodiges de l'industrie et les miracles de la vertu. Nous sommes fiers d'avoir inscrit en tète le nom de Corneille; et puisque nous venons d'évoquer encore une fois l'ombre de celui dont nous célébrons l'anniver |